Insultées dans la rue, discriminées au travail... les victimes de grossophobie veulent sortir du silence

Anaïs Condomines
Publié le 16 décembre 2017 à 11h00, mis à jour le 16 décembre 2017 à 11h45
Insultées dans la rue, discriminées au travail... les victimes de grossophobie veulent sortir du silence
Source : AFP / Illustration

DISCRIMINATIONS - La mairie de Paris organise vendredi 15 décembre une journée de lutte contre la grossophobie, cette discrimination envers les personnes grosses. L'occasion d'en apprendre davantage sur les militants de cette cause encore méconnue et peu politisée.

Le mot qui qualifie leur souffrance n'existe pas formellement dans le dictionnaire. La grossophobie - décrite dans les milieux militants comme une discrimination envers les personnes grosses - est une violence encore trop méconnue aujourd'hui en France. C'est en tout cas le constat de la mairie de Paris qui organise, vendredi 15 décembre dans les locaux de l'Hôtel de Ville, l'événement "Grossophobie, stop !". Au programme : tables rondes, "défilé militant" et dévoilement d'un manifeste.

C'est une première et pour cause ; la grossophobie, on en parle peu comparativement au nombre de personnes potentiellement exposées à cette discrimination : en France, le taux d'obésité est de 15% chez les adultes, selon les derniers chiffres de l'OCDE. Il y a bien l'association "Allegro Fortissimo" - qui existe depuis près de trente ans - mais aujourd'hui encore elle peine à réunir du monde dans la rue quand il s'agit de crier un ras-le-bol commun face au regard porté sur les personnes en surpoids.

Favoriser la parole des personnes discriminées

Ce cri, c'est encore sur les réseaux sociaux qu'iil est le plus audible. Sur Twitter, précisément, le mouvement de lutte contre la grossophobie est plus actif, plus politisé qu'ailleurs. Daria Marx est co-fondatrice du collectif Gras politique. Si elle organise depuis deux ans des sorties inclusives et des groupes de parole entre personnes grosses, elle contribue aussi largement à faire entendre la cause sur les réseaux sociaux. "Ils permettent deux actions", résume-t-elle auprès de LCI. "Sur les réseaux sociaux, on ouvre la parole des personnes concernées qui n'osent pas se reconnaître comme discriminées 'dans la vraie vie'. Elles peuvent exprimer une rage, une colère. Par ailleurs, via Twitter on peut faire de l'éducation, ouvrir les yeux de tout le monde."

Car il y a fort à dire quand on est victime de grossophobie. "C'est une discrimination qui s’immisce dans la vie quotidienne" poursuit-elle. "Dans les relations familiales où on est harcelé pour maigrir. Au travail où il existe clairement des discriminations à l'embauche. Dans la rue, dans les transports où il y a des situations de malaise quand on s’asseoit. Dans ces cas-là alors, on reste debout."

"Un biais dans le regard des gens"

Ces remarques dans la rue, Ahkim* y fait face lui aussi. En surpoids depuis l'enfance, il se présente sur les réseaux sociaux sous le pseudo de @GrosCorpsSocial. Lui entend régulièrement des insultes - "gros porc!" - fuser sur son passage. "On sent un biais dans le regard des gens quand ils nous voient arriver" explique-t-il, "alors j'ai créé ce compte parce que la grossophobie me pourrissait la vie". Ce qu'il retient surtout de son militantisme en ligne, c'est le gain "d'outils théoriques". "J'ai été confronté à des personnes présentes depuis plus longtemps, très sensibilisées, et j'ai compris l'importance de la politisation de la lutte contre la grossophobie."

Par "politisation", comprendre "convergence des luttes". Pour Ahkim, son combat est désormais indissociable "des questions de classes, de solidarités, de féminisme...". "Mais tout cela, je l'ai compris en faisant des recherches. Et ce "bagage théorique", il compte un jour s'en servir pour partir vers le monde associatif et l'éducation du plus grand nombre.

Insultes exacerbées sur les réseaux sociaux

Ne pas circonscrire le militantisme aux réseaux sociaux, c'est exactement ce que prône Gabrielle Deydier, auteure d'une enquête sur la grossophobie "On ne naît pas grosse" (éditions Goutte d'or, 2017). Elle précise auprès de LCI : "Les communautés militantes sur les réseaux sociaux sont importantes, d'autant plus qu'il est difficile de faire sortir les personnes grosses, parce qu'il y a beaucoup de honte et de culpabilité. Mais il ne faut pas que le combat reste cantonné en ligne, car il y est trop peu visible." D'après elle, il faut désormais "vulgariser ce qu'est la grossophobie, pour que les pouvoirs publics s'en saisissent". 

D'autant plus qu'il existe sur les réseaux sociaux ce que Daria Marx qualifie de "revers de la médaille" : les insultes, sur le physique et sur le poids des personnes militantes. Cruelle ironie, elles montrent ce que dénonce, justement, le mot de grossophobie. "Tout est exacerbé sur Internet" reprend Daria Marx, "il n'y a pas de filtre. Mais cela montre quelque chose de vrai : la réalité que la société française reste grossophobe".

* prénom d'emprunt


Anaïs Condomines

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