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Interpellé, un manifestant peut-il refuser de déverrouiller son téléphone ?

Publié le 29 mars 2023 à 16h31, mis à jour le 29 mars 2023 à 17h41

Source : Sujet TF1 Info

Lors des manifestations contre la réforme des retraites, plusieurs participants ayant été interpellés par les forces de l'ordre se sont vus réclamer l'accès à leur téléphone portable.
Cette demande est-elle légale ?
Si la question a longtemps divisé la justice, elle a finalement conclu que s'opposer à cette demande constituait un délit.

En marge des mobilisations contre la réforme des retraites, de nombreux manifestants ont été interpellés par les forces de l'ordre, un peu partout en France. Une fois placés en garde à vue, ils ont fréquemment été invités à déverrouiller leur téléphone, afin d'en étudier le contenu. Un geste en apparence intrusif, qui peut être perçu comme une violation de la vie privée. Faut-il obtempérer dans pareille situation ? La législation, restée floue durant plusieurs années, a été clarifiée il y a quelques mois. 

Un délit potentiel lors d'une garde à vue

Par le passé, plusieurs affaires ont déjà posé la question de l'accès au contenu d'un téléphone lors d'une garde à vue. Ce fut par exemple le cas avec une personne arrêtée pour possession de stupéfiants et dont les smartphones étaient suspectés d'avoir été utilisés dans le cadre d'un trafic. Le refus de communiquer les codes d'accès a été étudié par plusieurs juridictions, jusqu'à ce que la Cour de cassation, via une décision du 7 novembre 2022, ne clarifie le droit et son interprétation.

Le Code pénal (via son article 434-15-2) stipule que "le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre" se révèle passible "de trois ans d'emprisonnement et de 270.000 euros d'amende". Une peine alourdie "si le refus est opposé alors que la remise ou la mise en œuvre de la convention aurait permis d'éviter la commission d'un crime ou d'un délit ou d'en limiter les effets". La loi prévoit alors jusqu'à "cinq ans d'emprisonnement et à 450.000 euros d'amende". 

Voilà pour la théorie, puisqu'en pratique, un doute persistait quant à la définition de la "convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie". La Cour de cassation a estimé qu'une convention de déchiffrement "s'entend de tout moyen logiciel ou de toute autre information permettant la mise au clair d'une donnée transformée par un moyen de cryptologie, que ce soit à l'occasion de son stockage ou de sa transmission", comme l'a résumé la direction des Affaires juridiques du ministère de l'Économie. Par extension, "le code de déverrouillage d'un téléphone mobile peut constituer une clé de déchiffrement si ce téléphone est équipé d'un moyen de cryptologie". Cela vaut tout autant pour une empreinte digitale ou un schéma de déverrouillage.

Des conditions à respecter

L'avocat au barreau de Paris Julien Brocheau expliquait en novembre dernier que "le délit prévu à l’article 434-15-2 n’est caractérisé que si le moyen de cryptologie a été susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit". En d'autres termes, les forces de l'ordre ne peuvent pas demander un déverrouillage pour n'importe quel motif. Dans le cadre des manifestations, la garde à vue est souvent invoquée par la "participation à un groupement en vue de commettre des violences", des actes pour lesquels il est possible que les suspects aient eu recours à un téléphone (afin de définir un point de rassemblement, des modalités d'action, de documenter des infractions...).

"Tout avocat pénaliste a déjà été témoin de cette scène où le fonctionnaire de police demande au gardé à vue de fournir son code de téléphone pour qu’ils regardent ensemble si l’appareil ne contient pas des messages ou des photos susceptibles de corroborer l’existence de l’infraction pour laquelle la personne est auditionnée", souligne un autre avocat, Me Alexis Baudelin. Un cas de figure où il est donc conseillé de ne pas faire de zèle. La Ligue des droits de l'Homme, qui a rédigé une fiche sur les droits des gardés à vue, invite à répondre à une demande de déverrouillage : "Je ne refuse pas, mais j’attends mon avocat." Ce dernier permettra de définir "si ce délit s’applique à votre cas"

Notons enfin que la procédure à suivre pour les forces de l'ordre est stricte. La personne interpellée doit s'être vue signifiée sa garde à vue, l'officier doit s'assurer que son téléphone dispose bel et bien d'un moyen de chiffrement (ce qui est quasi systématique de nos jours), et notifier clairement que s'opposer à un déverrouillage sera considéré comme un délit (cf. le texte évoqué plus haut). Notons enfin que si la présence d'un avocat n'est pas indispensable pour solliciter un accès aux données d'un téléphone, cela doit être réalisé obligatoirement en présence de la personne détentrice de l'appareil. 

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Thomas DESZPOT

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