Choc entre deux Rafale en plein vol : "Quand on touche comme ça, le pilote ne le perçoit parfois même pas"

Propos recueillis par Emmanuel BOUSQUET
Publié le 23 mai 2022 à 15h00

Source : JT 13h Semaine

Deux avions de chasse de l'armée de l'Air se sont frôlés en plein vol, dimanche lors d'un meeting aérien à Cognac (Charente).
Un accident rarissime mais "inhérent" au métier de pilote de chasse, comme nous l'explique le général Jean-Patrick Gaviard.

Dimanche 22 mai, lors d'un meeting aérien à Cognac (Charente), deux Rafale de la 30e escadre de chasse Mont-de-Marsan se sont heurtés en pleine exhibition. À leurs bords, des chefs de patrouille de l'armée de l'Air affichant plus de 1000 heures de vol. Au cours de l'accrochage, une pièce métallique d'un des deux engins se détache et finit sur le toit d'une maison de Gensac-la-Pallue, sans faire de blessés. 

Les pilotes parviennent à poser leurs avions sans difficulté. La catastrophe a été évitée. Trois enquêtes sont en cours pour déterminer les causes, mais comment un incident de cet ordre a-t-il pu se produire ? On en parle avec le général Jean-Patrick Gaviard.

"Lorsque deux avions sont proches, ils peuvent se toucher"

Qu'a-t-il pu se passer en l'air ?

C'est un incident qui arrive parfois, qui survient lorsque deux avions sont proches. Ils peuvent se toucher, c'est un peu comme si on roulait à 130 km/h sur l'autoroute à côté d'une autre voiture. Là, dans une configuration appelée "patrouille serrée", les deux avions évoluent à 2 ou 3 mètres l'un de l'autre à des vitesses entre 180km/h et 600km/h. Ce n'est pas un problème. Ce qui compte, c'est surtout la vitesse relative entre les deux avions (soit la différence de vitesse entre les 2 aéronefs, ndlr). Comme dans un "rassemblement", les pilotes ont des points de repère qu'ils doivent garder sans arrêt avec l'autre avion. C'est ce qu'on apprend à l'école, ça fait partie des gammes que doivent savoir faire les pilotes de chasse. 

Les pilotes n'ont-ils rien perçu ?

Quand on touche comme ça, parfois, on ne le perçoit même pas à l'intérieur du cockpit. Quand on percute un gros canard à basse altitude, on entend un boum... mais il arrive aussi qu'on ne s'en rende compte qu'après avoir atterri. A priori, je pense que le pilote a dû l'entendre, ou que son leader l'a vu. Dans ces cas-là, le pilote essaie avant tout de voir si l'avion reste pilotable, si c'est le cas il va se poser rapidement en procédure d'urgence au cas où l'avion se dégraderait. 

Comment un avion qui se retrouve privé d'une partie importante de sa dérive - qui mesure plus d'un mètre - peut-il rester maniable ? 

Ce morceau peut ne pas être directement lié aux commandes de vol. En haut de la dérive du Rafale, il y a un "pilier" d'un mètre de haut qui permet de laisser passer les ondes, avec des capteurs, pour récupérer ce que fait un radar adverse. Sans cette partie, l'avion peut toujours se poser.  S'il s'agit de la partie haute, mobile, elle n'est pas primordiale au vol. On peut voler avec un morceau de dérive en moins, ce n'est pas comme avec un bout d'aileron en moins. Là, visiblement, ça fait un gros morceau, mais l'avion est resté pilotable. Des accrochages comme ça j'en ai connu aussi...  C'est inhérent à notre métier. Mais il faut savoir que des avions, même très endommagés, sont déjà parvenus à se poser : j'ai déjà vu un F-15 qui avait pratiquement perdu une aile et le pilote a quand même réussi à atterrir. Les pilotes ici s'en sortent bien, ils ont bien réagi, le terrain d'atterrissage n'était pas loin. 

À quoi ces manœuvres servent-elles ? 

Il y a une vraie utilité opérationnelle, ce n'est pas un exercice de style. La patrouille serrée nous sert, par exemple, pour intercepter un avion de ligne ou récupérer un petit avion de tourisme qui est au-dessus des nuages et qui peut se retrouver en panne de radio. On est les motards des airs, donc on peut aller le chercher. Donc, on arrive très près de lui, on se met à côté de lui et puis on va le guider jusqu'à 20h, jusqu'à la descente ou l'atterrissage. Le ravitaillement en vol requiert également à peu près les mêmes qualités. Ce n'est pas un amusement, ce savoir-faire se révèlera très utile, ces manœuvres sont les basiques de notre métier.


Propos recueillis par Emmanuel BOUSQUET

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