INTERVIEW - Selon un rapport publié ce mercredi par la Défenseure des droits, plus de 20% des 15-24 ans présentent un syndrome dépressif. Souvent compris dans cette tranche d'âge, les étudiants ont été très fragilisés par la crise sanitaire, alerte Florian Tirana, président de l’association Nightline.
Le constat est alarmant : plus d’un jeune âgé de 15 à 24 ans sur cinq souffre d’un syndrome dépressif en 2020, contre un sur dix en 2019, une conséquence directe de la crise sanitaire, selon le rapport annuel sur les droits de l'enfant de la Défenseure des droits Claire Hédon, publié mercredi 17 novembre. Parmi les syndromes qui se sont amplifiés : les "troubles anxieux" et autres "phobies sociales", détaille cette étude dévoilée à l'occasion de la Journée internationale des droits de l'enfant, le 20 novembre.
Des troubles dont pâtissent notamment les étudiants, explique Florian Tirana, président de l’association Nightline, service d'écoute reposant sur un réseau de 200 écoutants étudiants, réparti sur cinq antennes en France : Paris, Lille, Lyon, Saclay, Toulouse, et bientôt Amiens et dans les Pays-de-la-Loire. Lui-même a été écoutant pendant une partie de la crise sanitaire.
Quels sont troubles dont les étudiants vous ont le plus fait part depuis le début de l'épidémie ?
Il s’agissait surtout de problèmes relationnels et liés aux études. La solitude est également devenue un gros catalyseur à cause des confinements, avec des conséquences sur l’ensemble de l’équilibre mental des étudiants : beaucoup ont subi un stress prenant la forme de symptômes dépressifs ou anxieux, et un manque de motivation. Il semble vraiment qu'avoir des proches à qui l’on peut parler permet de désamorcer les choses, de vider son sac et de trouver des solutions. Dès que tout cela s’arrête, qu'on ne peut plus les voir, le moindre problème prend de l’ampleur et tout devient beaucoup plus pesant et stressant.
Il y aussi avait une angoisse particulière liée aux études, puisqu’il est beaucoup plus difficile de pouvoir suivre les cours en distanciel ou sous un format hybride. En bref, beaucoup de choses se sont accumulées : c'était une détresse qu’on avait déjà identifiée avant la crise sanitaire, mais qui s’est renforcée de manière assez inquiétante. Le deuxième confinement a été un vrai moment de bascule. Cette détresse a bondi, et elle s'est ensuite installée dans le temps.
Être étudiant pendant le confinement représentait un vrai choc psychologique, sans doute plus que pour le reste de la population
Florian Tirana, président de l’association Nightline
La santé mentale des étudiants a-t-elle plus pâti au cours de cette période que celle d’autres catégories de population ?
Oui : comme l’indique une étude de l’Inserm publiée le 9 novembre dernier, les étudiants ont été beaucoup plus touchés que les non-étudiants par les troubles psychologiques, à savoir les symptômes dépressifs et anxieux. On partait déjà de haut, mais ça continue de monter. C’est près de 40% des personnes interrogées qui ont déclaré des symptômes dépressifs, soit quasiment deux fois plus qu’en population générale. Un signal d’alerte que nous avons ressenti dans les témoignages reçus.
Il est clair qu’être étudiant pendant le confinement représentait une rupture particulièrement violente, un vrai choc psychologique, sans doute plus que pour le reste de la population. Les autres Français ont déjà en général un réseau social plus stable, un cercle d’amis formé, ils savent ce qu’ils vont faire dans la vie, ce qui est beaucoup moins le cas pour les étudiants, en particulier ceux qui sont en début d’études.
Avez-vous remarqué une plus grande attention portée par les étudiants à leur santé mentale au cours de cette période ?
La crise sanitaire a eu un rôle fort pour déstigmatiser ce sujet et libérer la parole, grâce à l’action d’associations comme la nôtre mais aussi des messages passés sur les réseaux sociaux et dans les médias. On a ainsi reçu 9000 appels l’an dernier, contre 3000 en 2019 et 1500 en 2018. Et en ce début d’année, on a encore eu énormément d’appels, on augmente le nombre de bénévoles toutes les semaines et on ouvre de nouvelles antennes. Nous avons aussi lancé un site de ressources et une série immersive, destinés à la fois aux étudiants en souffrance et aux proches. La période a donc révélé beaucoup de détresse, mais il vaut mieux finalement qu’elle soit rendue visible plutôt qu’elle ne dise pas son nom.
Contrairement à la situation sanitaire, la fragilité psychologique des étudiants va se maintenir
Florian Tirana, président de l’association Nightline
L’initiative du gouvernement de mettre en place un Chèque Psy, dispositif proposant jusqu’à six séances gratuites chez un psychologue, a-t-elle permis de soulager les étudiants ?
C’est une mesure d’urgence qui va dans la bonne direction, parce qu’elle permet à plus de personnes d’avoir accès à des soins, tout comme la récente annonce d’Emmanuel Macron de rembourser les séances de psychologie. Mais cela externalise un peu le problème, car selon plusieurs études, la majorité des étudiants qui estiment avoir un trouble psy ne consultent pas. Même s'ils le voulaient, ils ne pourraient pas se le permettre. La plupart des personnes qui nous appellent ne sont pas suivies par un professionnel de la santé mentale.
On partage aussi un constat avec celui du rapport de la Défenseure des droits : l’incapacité des structures de soutien à aller vers les étudiants et à la prendre en charge, car elles sont déjà surchargées. Même si elles font leur maximum, il y a déjà des mois d’attente. Et dans les universités françaises, on compte en moyenne un psychologue pour 30.000 étudiants selon le ministère de l’Éducation supérieure, ce qui est dramatiquement bas. Alors que dans de nombreux pays européens, les taux sont jusqu’à quatre à cinq fois meilleurs. Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des niveaux de détresse particulièrement hauts s'il n’y a personne pour écouter les étudiants.
On propose donc de renforcer les moyens au sein des universités et des écoles pour dépister le plus tôt possible les problèmes et fournir une aide adaptée, au plus près des étudiants. Il faudrait mettre en place une aide graduelle : par les pairs d'abord, puis une thérapie de groupe, et ensuite des consultations individuelles. Notre association assure la première étape, mais on a besoin que les suivantes soient renforcées, sinon on renvoie des étudiants qui sont le plus en détresse vers un système qui est saturé et contre lequel ils vont buter.
Nous avons besoin de structures qui vont fonctionner bien au-delà du Covid-19 : contrairement à la question sanitaire liée au virus, qui finira sûrement par être réglée à un moment donnée, la fragilité psychologique des étudiants va se maintenir tant que les études supérieures en France ressembleront à ce qu’elles sont aujourd’hui.
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