INTERVIEW - Les violences entre les murs des établissements scolaires peuvent se transposer sur la Toile, sur les réseaux sociaux, alerte Justine Atlan, directrice de l'association e-Enfance, tandis que jeudi 18 novembre sera la Journée nationale de lutte contre le harcèlement à l'école.
Le fléau touche plus d'un adolescent sur dix : le harcèlement en ligne fait de nombreuses victimes, révèle une étude publiée mardi 16 novembre par le Lab HEYME, fonds de dotation destiné à des actions à but non lucratif, en partenariat avec l'association de lutte contre les violences numériques contre les enfants e-Enfance. Et cette violence est souvent une forme de prolongement virtuel du harcèlement scolaire, qui touche quant à lui 700.000 élèves en France selon le ministère de l'Éducation, soit 5 à 6% des élèves au total.
Avec les applications de messagerie et les réseaux sociaux, les victimes n'ont souvent plus de répit, même en dehors de l'école, mais il est plus facile d'obtenir des preuves des agressions sur Internet, explique Justine Atlan, directrice de e-Enfance.
Dans quelle mesure le harcèlement scolaire peut-il se poursuivre en ligne ?
Il y a une intersection possible entre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, parce que les élèves se rencontrent dans les établissements scolaires, mais ils prolongent leur relation sur les réseaux sociaux, qui peuvent devenir des outils supplémentaires pour continuer à harceler des victimes sans les voir physiquement.
C'est très violent pour elles, car il n'y a plus de pause dans le harcèlement : la victime n'a plus la capacité de se protéger quand elle est hors de l’école, chez elle ou ailleurs. Elle continue d’être persécutée à toute heure du jour ou de la nuit, le week-end, pendant les vacances, etc.
La difficulté avec le cyberharcèlement, c’est aussi qu’il agrège des communautés qui ne connaissent pas nécessairement les victimes. Même lorsqu’elles changent d’établissement, il y a le risque que leurs nouveaux camarades inspectent leur "e-réputation" : s’ils découvrent que la personne a déjà subi du harcèlement, cela peut réenclencher des violences.
Par ailleurs, on est dans une société de l’image, renforcée par les réseaux sociaux qui donnent encore plus de poids au physique, poussant les jeunes à publier des photos de leur corps, de leur apparence. Il y a un effet boule de neige, car le harcèlement scolaire a toujours été lié au physique, une question très sensible au cours de l'adolescence, marquée par les changements hormonaux de la puberté.
Quelles formes peut prendre le cyberharcèlement ?
Elles sont très diverses. Le harcèlement repose sur la répétition, alors les agresseurs peuvent envoyer sans relâche des messages malveillants, insultants, s’y mettre à plusieurs et même créer des conversations de messagerie dédiées à s’attaquer à une personne. Il peut aussi s’agir de poster des commentaires sous des publications sur les réseaux sociaux ou repartager des contenus en se moquant.
Le harcèlement passe aussi par les rumeurs qui se créent autour d’une personne, pour lesquelles les réseaux sociaux sont malheureusement une large caisse de résonance. Des photos ou vidéos intimes d’une victime peuvent aussi être diffusées à son insu. Certains actes de violence physique sont également susceptibles d'être relayés en ligne : le happy slapping consiste à filmer une agression pour la diffuser sur Internet ensuite, pour humilier encore davantage l’adolescent persécuté. C’est d’autant plus dangereux que toutes ces attaques peuvent être cumulées.
Les agresseurs peuvent avoir des comportements encore plus désinhibés en ligne, parce qu’ils ont l'impression d'être tout seul devant un écran"
Justine Atlan, directrice de l'association e-Enfance
Est-il plus difficile pour les agresseurs de prendre conscience des conséquences de leurs actes sur les réseaux sociaux ?
Oui, car le harcèlement en ligne ne les confronte pas immédiatement aux effets de leurs messages sur la victime : on ne voit pas si elle pleure, si elle a peur, si elle tremble, on ne voit aucun signe. Les agresseurs peuvent donc avoir des comportements encore plus désinhibés en ligne, parce qu’ils ont l'impression d'être tout seul devant un écran. Mais certains auteurs savent très bien ce qu’ils font, et plus on avance dans l’expérience du numérique, plus on sait les dégâts que cela peut avoir.
Par ailleurs, contrairement à ce que l'on croit, une victime qui n’est pas bien prise en charge peut aussi chercher à se reconstruire en répétant ce qu’elle a subi. Selon nos estimations, 60% environ des auteurs de harcèlement ont aussi été victimes.
Dans votre étude, vous révélez que 9 adolescents sur 10 ont déjà réagi pour faire cesser des violences en ligne. Est-ce-un bon signal ?
C’est plutôt positif de se rendre compte qu’aujourd’hui, les victimes s’autorisent à se révéler et à s’exprimer, mais la question, c'est à qui elles en parlent. En parler avec des amis, c'est bien, mais ça ne va pas changer grand-chose. Il faut en parler avec adultes de confiance.
On est dans une société aujourd'hui où il y a une prise de conscience autour de toutes formes de violences : on écoute davantage les victimes, alors qu’il y a encore 10 ou 15 ans, le mot de "harcèlement scolaire" n’existait pas. Mais les victimes manquent encore de confiance pour s'adresser à des adultes. Les parents ne sont souvent pas au courant, car les enfants ont peur que leur réaction n'envenime la situation. Alors que ce n’est pas en parlant que cela empire, mais en en parlant pas.
Comment peut-on mener ce travail d'information, en particulier au sujet du harcèlement en ligne ?
L'avantage du numérique, c'est qu'il y a des preuves tangibles, des messages, alors qu’à l’école, les violences sont souvent assez peu visibles des adultes, car faites pour être cachées, insidieuses et mesquines : bousculer l’élève à la cantine, arracher ses pages de cahier...
Comme les victimes sont statistiquement minoritaires - on en compte deux ou trois par classe -, ce sont surtout les témoins et les agresseurs qu'il faut sensibiliser et responsabiliser. Sur internet, cela passe par ne pas liker ni partager des contenus malveillants pour tarir ce flot de harcèlement. On les encourage aussi à parler pour la victime, qui a souvent du mal à s’exprimer. Cette victime, elle, ne doit pas rester seule, et en allant chercher de l’aide auprès d'amis mais aussi d’adultes de confiance.
L'association e-Enfance a aussi mis en place le numéro 3018*, plateforme d’écoute confidentielle. On est aussi joignable sur les réseaux justement, sur le chat de notre site internet et sur WhatsApp, Messenger, Instagram et Twitter. Cette plateforme permet de signaler des problèmes aux réseaux sociaux, faire supprimer les contenus et faire la boucle avec l’école si besoin.
L’école, elle, ne peut pas tout faire, car elle se bat déjà contre le harcèlement entre les murs des établissements. Mais si un harcèlement entre élèves se déroule aussi en ligne, cela fait partie des éléments qui seront pris en compte par les équipes pédagogiques.
* Numéro gratuit et anonyme, joignable du lundi au samedi de 9h à 20h.
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