INTERVIEW - À l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre, Florence Thune, directrice générale de Sidaction, nous alerte sur la chute du dépistage en période de crise sanitaire. Une situation qui met en péril la prévention et la prise en charge des patients.
De prime abord, les chiffres publiés par Santé Publique France dans son dernier bulletin pourrait rendre optimiste : 4856 cas de séropositivité ont été décelés en 2020, soit 22% de moins qu'en 2019. Mais l'agence révèle que le nombre de sérologies, qui monte à 5,2 millions l'année passée, a diminué de 14% en un an. Ce qui pourrait bien être une conséquence directe de la crise sanitaire du Covid-19. De quoi inquiéter, alors que la montée en puissance du dépistage s'accompagnait depuis 2013 d'une diminution des contaminations.
Ces résultats, publiés sur le site de Santé Publique France, inquiètent les associations de lutte contre le VIH, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre le sida, organisée ce mercredi 1er décembre 2021. Elles craignent surtout que le retard de diagnostic recule la possibilité de prise en charge des personnes contaminées, explique Florence Thune, directrice générale du Sidaction.
Cette baisse des cas de séropositivité repérée en 2020 est-elle de bon augure ?
Hors du contexte de la crise sanitaire, nous l’aurions prise effectivement comme une très bonne nouvelle, car on stagnait à 6000 découvertes de séropositivité par an environ depuis plusieurs années. Mais suite aux confinements et aux consignes de distanciation sociale, c'est un chiffre que l’on prend avec beaucoup de pincettes, puisqu'il faut craindre une baisse du nombre de dépistages : c'est une fausse bonne nouvelle. Par ailleurs, en lien aussi avec la crise sanitaire, les remontées de données ont été moins performantes que les années précédentes, des indicateurs dont nous n'étions déjà pas très satisfaits. Cette épidémie risque de nous faire repartir en arrière, ce qui serait dramatique.
Cela nous inquiète au niveau de la France - même si on a la chance d’avoir un système de santé performant -, mais aussi à l’international. L'Onusida a fait récemment une déclaration très alarmante : elle s'attend à plus de sept millions de morts pour les années à venir, dus aux différents retards pris à cause de la crise sanitaire. Avant celle-ci, l’ONU espérait passer sous les 500.000 nouvelles infections en 2020, alors que c'est finalement 1,5 million de cas qui a été enregistré. L’objectif de garder l’épidémie sous contrôle d'ici à 2030 semble de plus en plus hors de portée.
"Pour le VIH, comme pour d’autres pathologies, les personnes contaminées ont peut-être laissé passer des diagnostics, reculé leurs soins, parce qu’elles n’ont pas osé aller à l’hôpital."
Florence Thune, directrice générale du Sidaction
Pourquoi cette baisse possible de dépistage vous inquiète-t-elle ?
Ce que l'on craint, c'est avant tout que le nombre de personnes qui vont découvrir leur séropositivité trop tardivement n'augmente à cause de la baisse du dépistage - un nombre déjà trop important aujourd’hui. Parmi les personnes qui découvrent leur séropositivité, 30% la découvrent actuellement alors qu’ils sont déjà en stade sida, ou du moins avec une immunité très dégradée, après avoir été contaminées il y a plusieurs années.
Les études montrent que lorsqu’on est infecté par le VIH, il est vraiment important de pouvoir être pris en charge et mis sous traitement très rapidement, pour éviter une trop grande propagation du virus dans le corps. Pour ce virus, comme pour d’autres pathologies, les personnes contaminées ont peut-être laissé passer des diagnostics, reculé leurs soins, parce qu’elles n’ont pas osé aller à l’hôpital.
Quel effet la crise sanitaire a-t-elle pu avoir sur les traitements contre le VIH ?
On avait quand même réussi ces deux ou trois dernières années à donner à davantage de personnes un traitement préventif, la PrEP (prophylaxie pré-exposition), qui permet aux personnes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas utiliser de préservatif d’être très bien protégées malgré tout. Un bon élan commençait à se mettre en place depuis 2018. Mais en 2020, il y a eu également une baisse de ces prescriptions par rapport à ce qui était attendu.
En revanche, le cas de figure est différent dans le cas des traitements antirétroviraux, qui permettent aux personnes contaminées de rester en bonne santé et de ne pas contaminer leur partenaire, mais aussi de ne pas contaminer son enfant lorsque l’on est enceinte. En France, comme dans des pays à ressources limitées, les efforts déployés par les médecins et par les associations ont été très importants et ont permis que les personnes déjà sous traitement le restent. Selon les données de la Sécurité sociale en 2020, la délivrance de traitements est restée stable : à part quelques cas individuels, des gens qui étaient déjà sous traitement le sont restés, et c’est plutôt une bonne nouvelle.
Par contre, le problème de l’accès à ces traitements concerne ceux qui auraient dû en profiter, mais ne l’ont pas obtenu, faute de dépistage. Ce qui était déjà un enjeu avant même la crise sanitaire : on estime qu’il y a en France entre 20.000 et 25.000 personnes qui sont contaminées sans le savoir, sur 180.000 personnes contaminées en tout.
Les personnes contaminées sans traitement sont très vulnérables face au Covid, puisque leur immunité dégringole. Tout est lié à la question du dépistage : une personne qui a du diabète ou de l’obésité sait qu’elle doit se protéger, alors qu’un individu séropositif et qui ne le sait pas n’a pas toujours de symptômes. On a déjà reçu le témoignage d’une personne qui a découvert sa séropositivité en étant hospitalisée à cause du Covid.
Les restrictions sanitaires ont-elles pu réduire le risque de transmission du VIH ?
On peut logiquement se dire que s'il y a moins d'interactions avec la distanciation sociale, le risque diminue, puisqu'il y a moins d’occasions de rapports sexuels. Mais je reste un peu sceptique parce que, si cela est vrai lors du premier confinement, très strict, il y a eu un grand relâchement pendant l'été 2020, au cours duquel on a eu ces quelques jours de liberté. Je pense qu’il faut laisser passer l'année 2021, pour vérifier si cette baisse est une vraie bonne nouvelle ou si les contaminations sont au contraire reparties à la hausse.
Depuis deux ans, on observe des effets de hauts et de bas, et pas que sur la sexualité : avec le masque par exemple, on fait attention pendant des mois puis on se relâche. On reste aussi très prudent parce que malgré tout, le Covid reste un sujet très présent dans le quotidien des Français, et on craint que le VIH soit un peu mis de côté dans les préoccupations.
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