L'encadrement des loyers fait son retour : tiendra-t-il ses promesses ?

par Mathilde ROCHE
Publié le 1 juillet 2019 à 8h31

Source : 24H PUJADAS, L'info en questions

IMMOBILIER - L'encadrement des loyers, déjà expérimenté à Paris et à Lille puis annulé par la justice fin 2017, est de retour dans la capitale. A la suite d'un décret du 12 avril, le préfet de région Michel Cadot a signé mardi les arrêtés permettant une nouvelle expérimentation au 1er juillet 2019, prévue pour cinq ans. Le dispositif contient toutefois des aménagements.

Obtenir un appartement décent en location à Paris peut s'avérer être un vrai parcours du combattant. Ceux qui sont passés par là en parlent comme d’une plaie : les annonces prises d’assaut en quelques minutes, les visites groupées sur un seul horaire au beau milieu de la journée, les agences intransigeantes, les propriétaires impolis. 

Une caricature, certes, mais qui n’éclipse pas les faits : dans la capitale, des taudis proposés à des prix exorbitants trouvent preneurs, car les meilleurs appartements récoltent des centaines de dossiers et seuls les candidats avec un salaire trois fois supérieur au montant du loyer ont une chance d'être retenus. Pour endiguer ce phénomène loin d'être récent - et l'explosion des prix allant avec - des tentatives d'encadrement des loyers sont expérimentées depuis plusieurs années. 

Les loyers de la capitale de nouveau encadrés

L'encadrement des loyers a été mis en place pour la première fois en 2014  grâce à la loi "pour ­l'accès au logement et un urbanisme rénové" (Alur). L’objectif était donc d’éviter les loyers excessifs, dans les villes où la demande est supérieure à l’offre, comme Paris ou Lille. La mesure avait d'abord été limitée par le gouvernement à un statut "expérimental" dans ces deux villes, puis annulée fin 2017 par la justice. Celle-ci n'avait pas rejeté le principe même du plafonnement des loyers, mais seulement son application limitée à des territoires intramuros. Un recul de taille, la loi Alur exigeant une mise en place sur l'ensemble d'une agglomération.

Depuis, son retour était attendu par plusieurs villes, Paris et Lille en tête, et promis par le gouvernement. La mesure a été intégrée dans l'article 140 de la loi Elan. La nouvelle loi invite les intercommunalités à faire la demande d'un plafonnement de loyer pour leur territoire, en pouvant délimiter certains quartiers, sous certaines conditions. Paris a donc fait sa demande d'encadrement dès le mois de janvier, et l'Etat le lui a accordé. Le décret du 12 avril 2019 instaure le dispositif sur tout le territoire de la ville de Paris, via un décret signé en mai par le préfet de région Michel Cadot, pour une application depuis le 1er janvier.

Comment ça marche ?

Le principe de l'encadrement des loyers repose sur un "loyer de référence", exprimé par un prix au mètre carré de surface habitable. Il est calculé et fixé par arrêté par le préfet pour chaque quartier ou arrondissement de chaque ville. Pour définir ce loyer de référence, la préfecture s'appuie sur le recensement de l'Observatoire des loyers. Ensuite, en fonction de la catégorie de logement et du secteur géographique de leur appartement, les propriétaires fixent le montant demandé aux locataires entre le loyer de référence minoré (-30%), le loyer médian et le loyer de référence majoré (+20%). La capitale est répartie en 14 zones. 

Les villes doivent répondre à quatre caractéristiques : un important écart entre le niveau moyen de loyer dans le parc locatif privé et celui pratiqué dans le parc locatif social, un niveau de loyer médian élevé, un faible taux de logements commencés rapporté aux logements existants sur les cinq dernières années, des perspectives limitées de production pluriannuelle de logements inscrites dans le programme local de l'habitat et de faibles perspectives d'évolution de celles-ci.

Pour les locataires parisiens, la situation semble urgente. Après avoir effectué des recherches sur les deux principaux sites d'annonces de location d'appartements tels que Seloger.com et Particulier à Particulier, nous avons observé de nombreuses offres dont le montant du loyer est supérieur aux préconisations du précédent encadrement des loyers. Selon la mairie de Paris, l'interruption de l'expérimentation fin 2017 s'est traduite par une hausse mécanique des prix - 52% des annonces présenteraient un montant supérieur au dispositif - et "les loyers du parc privé ont augmenté de 50% à Paris sur la dernière décennie". 

Un dispositif sous contrainte

Par rapport à l'ancien dispositif, la loi Elan renforce les sanctions pour ceux qui ne respecteraient pas l’encadrement des loyers. Le préfet pourra notamment ordonner une amende administrative de 5.000 euros pour un bailleur privé refusant de se mettre en conformité avec l’arrêté des loyers et une amende de 15.000 euros pour une personne morale, soit un groupe ou une entreprise.

Le ministère du Logement nous avait toutefois confirmé en avril que le préfet ne pourrait prononcer une amende à l'encontre du bailleur qu'après avoir constaté que le contrat de bail ne respectait pas l'encadrement des loyers. Autrement dit, l'encadrement des loyers n'a pas de moyen de pression en amont, et aucune modération des annonces ne pourra être faite. Les locataires n'auront que deux solutions face à une offre de logement proposée à un prix dépassant le loyer de référence majoré : passer leur chemin, ou accepter de signer le bail puis tenter une action en justice. Deux options peu satisfaisantes lorsque la concurrence est rude et que le locataire est en position de faiblesse.

Par ailleurs, l'alinéa III. B. de l'article 140 laisse une marge d'action assez intéressante aux propriétaires : les compléments de loyers. Appliqué lorsque le logement présente des "caractéristiques exceptionnelles de localisation et de confort", ce montant supplémentaire pourra facilement être réclamé en plus d'un loyer de référence majoré. Puisque aucune liste légale ne détermine ce qui peut être considéré comme une "caractéristique exceptionnelle", le loyer pourra être augmenté au-delà de la limite maximale, selon les avantages que présentent le logement aux yeux de son propriétaire. Le dispositif reposera donc pour partie sur le bon vouloir des bailleurs.


Mathilde ROCHE

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