REPORTAGE – Ils s'appellent Thony, Sébastien ou Yveline, et ils sont en première ligne face au froid. LCI était allé il y a tout juste un an à la rencontre de ces sans-abris qui luttent contre la rigueur de l'hiver. Nous republions ce reportage, réalisé près de la gare Saint-Lazare à Paris, alors que les températures glaciales gagnent à nouveau le territoire depuis plusieurs jours.
"Les nuits sont très longues", souffle Sébastien, 25 ans, quand nous l'abordons sur un trottoir à proximité de la gare Saint-Lazare (9e arrondissement de Paris). Les traits tirés sous sa casquette en ce début d'après-midi, le jeune homme a les lèvres tremblantes malgré la grosse parka noire et la polaire qui l'emmitouflent. "L'hiver je survis, tout simplement", lâche-t-il en entamant le récit de son combat quotidien contre le froid. Les journées où il s'occupe comme il peut : quelques heures de manche et beaucoup d'autres passées à lire, "au chaud", à la Fnac. Et les nuits, encore plus longues donc, à attendre la fermeture du métro avant de chercher un abri pour dormir. Ou plutôt tenter de dormir, "deux ou trois heures tout au plus" quand les températures descendent sous zéro.
"Un repas chaud le soir, c'est essentiel pour ne pas cailler"
Grâce à un pass qu'il a conservé de l'époque où il faisait du ramonage, celui qui s'est retrouvé sans-abri il y a sept mois, après la fin d'un CDD de cantonnier à Neuilly-sur-Seine et une rupture amoureuse (mais il avait déjà connu deux périodes de rue), parvient à entrer dans les halls d'immeuble - "J'en change tous les soirs pour ne pas me faire repérer par les habitants", glisse-t-il.
Ce précieux sésame, c'est sa meilleure arme contre l'hiver : Sébastien n'a ni duvet ni tente, beaucoup trop rares dans les dons associatifs assure-t-il. Parfois une couverture de survie, mais "elles se déchirent vite". "Quoi qu'on fasse de toute façon, on a toujours froid, soupire-t-il. Il y a quinze jours un matin, je suis même allé à l'hôpital car j'étais en hypothermie après une nuit dans les courants d'air. La température de mon corps était descendue à 33 degrés". Mais tout ça, ce sera bientôt fini, espère-t-il : le jeune combattant attend une carte professionnelle qui devrait lui permettre de devenir vigile.
"Tous les SDF vous le diront : l'hiver pour nous, c'est l'enfer. Là, il se met à faire vraiment froid et je redoute les prochains jours", s'inquiète un peu plus loin Thony, qui fait la manche devant la gare. Lui aussi est jeune sans-abri, mais du haut de ses 29 ans il a déjà une longue expérience de la rue : les hasards de la vie l'ont fait plonger sur le bitume il y a déjà onze ans. Depuis quelques semaines, ce jeune au look rasta, qui fait chaque année les vendanges et parfois "des petits boulots au noir", dort la plupart du temps dans un parking de la Madeleine, avec la bénédiction du gardien de nuit. Sinon, il se cherche un abri de fortune, sur des cartons dans l'entrée d'un immeuble ou sous un simple auvent pour se protéger de la pluie - une "casquette" comme disent les sans-abri.
Lui possède un duvet, roulé en boule et protégé des vols dans son sac à dos, qui lui permet d'affronter des températures inférieures à 5 degrés. Mais sans l'aide des associations, très présentes autour de la gare Saint-Lazare, il ne s'en sortirait pas. "Ici, il y a toujours des bénévoles, le Samu social, la Croix-Rouge ou des organisations musulmanes pour nous apporter un repas chaud le soir. C'est essentiel pour ne pas cailler". Le 115 ? Il le compose parfois, quand "c'est vraiment dur". "Mais il y a toujours beaucoup d'attente pour trouver un hébergement d'urgence, alors ça va plus vite de trouver un local par moi-même..."
"Dans quinze jours, nous dormirons à nouveau à l'hôtel"
Aller à la rencontre des sans-abris, c'est la promesse de faire des rencontres inattendues. "Vous pouvez écrire que je remercie la personne qui, la semaine dernière, est venue me donner des boots et une doudoune alors que je dormais dans la rue. Elle m'a sauvé la vie !", lâche en passant Hermino, à peine 40 ans mais des rides que l'on devine creusées sous une épaisse barbe noire. Occupé à fouiller dans les poubelles, il refusera de nous en dire plus.
On croise ensuite Yveline et Olivier, 60 et 53 ans, assis sur un banc à côté d'un sac débordant d'affaires en tout genre. "Comment avez-vous su qu'on était SDF ?", nous interrogent-ils. Bientôt, leur fils Sylvain, 34 ans, les rejoint. "Une personne vient me demander de l'argent. Quand je lui ai dit que j'étais moi aussi à la rue, il n'en revenait pas", plaisante-il, des écouteurs vissés aux oreilles. La famille, qui a basculé dans l'extrême précarité en 2013 ("C'est moi qui ai pété les plombs et quitté mon travail après un grave accident de voiture", explique Yveline) et s'est à nouveau fait expulser du logement qu'elle sous-louait en octobre dernier, s'apprête en fait à passer sa première vraie nuit d'hiver dehors.
"Ces quinze derniers jours, on était à l'hôtel à Chilly-Mazarin, dans le 91. Mais là, on n'a plus d'argent. Il faut donc qu'on se débrouille jusqu'à ce qu'on en reçoive au début du mois prochain." Yveline et Olivier touchent pourtant une pension de réversion et une autre d'invalidité (Olivier s'est fait amputer d'une jambe en début d'année, la faute à "une mauvaise circulation sanguine, à la rue et au froid..."), et Sylvain occupe un emploi d'insertion aux espaces verts de la mairie des Mureaux, payé 820 euros en plus de ses 500 euros de RSA. Mais c'est trop peu pour parvenir à payer chaque semaine les 322 euros que leur coûtent sept nuits d'hôtel.
Aujourd'hui comme les jours suivants, ils tueront donc le temps dans la gare. Et la nuit, ils la passeront dans un Noctilien – "en espérant que le conducteur laisse le chauffage" –, les bus de nuit de la RATP . "Mais je ne le vis pas mal car je sais que dans quinze jours, nous dormirons à nouveau à l'hôtel, positive Yveline. Et puis on a déposé un dossier pour un logement social à Dreux (Eure-et-Loir), où il y a moins de demandes qu'en région parisienne. Et puis, on a pris une résolution pour cette année : sortir de la rue."
Sur le
même thème
Tout
TF1 Info