OPINION - Si la recherche de vaccins contre le covid accélère, une partie de l'opinion française s'y montre hostile. Une note de la fondation Jaurès en dresse un portrait, qui nécessite quelques nuances, sur fond de défiance envers les autorités politiques mais aussi scientifiques.
Les enquêtes se suivent et se ressemblent. Les Français, en particulier depuis l'épisode du H1N1 en 2009, figurent parmi les populations les plus sceptiques au monde face à l'arrivée de nouveaux vaccins sur le marché. La démonstration est à nouveau faite avec le Covid-19. Alors que plusieurs laboratoires ont annoncé ces derniers jours des succès déterminants dans la recherche vaccinale, avec l'espoir d'une campagne courant 2021, l'opinion exprime plus que jamais sa défiance.
Un sondage Odoxa Consulting publié le 12 novembre faisait déjà apparaître qu'une moitié de Français seulement consentirait à se faire vacciner contre le Covid-19, et que 15% des interrogés refuseraient systématiquement tout vaccin.
Un note de la fondation Jean Jaurès publié mardi 17 novembre, sur la base de l'enquête "Fractures françaises", réalisée par Ipsos /Sopra Steria, arrive aux mêmes conclusions. Pas moins de 43% des sondés se montrent opposés à l'idée de se faire vacciner contre le virus, dont 19% affirment qu'ils n'accepteraient certainement pas. Le taux d'acceptation en France (54%) est largement inférieur à celui d'autres pays comme l'Inde (87%), la Chine (85%), l'Allemagne (69%) ou les Etats-Unis (64%).
"Ce chiffre n'est pas étonnant tant depuis tant d'années, la France est devenue un des Etats d'Europe, voire du monde, les plus sceptiques à l'égard de la couverture vaccinale", écrit l'auteur de l'étude, Antoine Bristielle, professeur agrégé de sciences sociales à l'IEP Grenoble.
Des différences selon le sexe, l'âge et l'orientation politique
La note de la fondation Jean-Jaurès observe toutefois de fortes disparités au sein de la population française. L'âge joue un rôle moteur, puisque les plus jeunes sont les plus hostiles à l'idée de se faire vacciner - 52% des 25-34 ans -, et que l'acceptation augmente avec l'âge - les seniors étant plus durement touchés par le Covid.
Des résultats qui corroborent le sondage Odoxa du 12 novembre, selon lequel 34% des 25-34 ans consentiraient à se faire vacciner, contre 58% des plus de 50 ans.
"Il est largement acquis que plus la peur ressentie est importante, plus les citoyens vont avoir tendance à se conformer à la politique sanitaire, et cela vaut autant chez les jeunes que chez les citoyens plus âgés", note au passage l'auteur, qui estime toutefois qu'une politique fondée sur la coercition et la peur serait contre-productive.
Le deuxième déterminant serait le sexe. Selon l'étude, une différence importante se fait jour entre le refus de la vaccination chez les femmes (50%) et chez les hommes (35%). Pour autant, la note de la fondation Jean-Jaurès n'apporte pas d'éclairage sur les raisons qui pousseraient les femmes à craindre davantage les effets indésirables d'un tel vaccin.
"Antivax" ou prudence ?
Ces résultats interrogent toutefois sur l'appréciation que portent les sondés sur le potentiel vaccin contre le Covid-19. La défiance semble dépasser le simple cadre des "antivax", qui s'opposeraient par essence à l'idée de se faire vacciner. En effet, parmi les raisons invoquées pour justifier cette défiance, le motif qui revient le plus concerne le doute quant à l'efficacité du vaccin, dont le développement a fait exploser les records de rapidité, et le manque de recul à son sujet (63%). Vient ensuite la peur des effets indésirables (46%). Des motifs qui semblent loin d'être l'apanage des seuls "anti-vaccins".
Les autres motifs invoqués dans une moindre mesure renvoient davantage au sentiment de ne pas avoir besoin de se protéger. Le sentiment de respecter suffisamment les gestes barrières (14%), et de ne pas être soi-même à risque (10%), vient alors soutenir le refus de la vaccination.
"C'est donc bien une entreprise de pédagogie de la part des pouvoirs publics, tout comme des scientifiques et des laboratoires pharmaceutiques, qui semble indispensable afin de susciter davantage de confiance concernant l'efficacité et la sûreté du vaccin", avance l'auteur de l'étude.
Une défiance nouvelle à l'égard des scientifiques
Si le milieu socio-professionnel et le niveau d'étude ne semblent pas jouer dans l'appréciation du futur vaccin, la proximité politique distingue les appréciations. Parmi les plus défiants figurent en effet les électeurs de Marine Le Pen (52%) et de Jean-Luc Mélenchon (43%). Plus généralement, le refus de se faire vacciner vient majoritairement des Français qui ont une faible confiance dans les autorités politiques.
La défiance à l'égard du politique n'est pas nouvelle. En revanche, et c'est probablement son principal enseignement, l'étude fait apparaître une évolution beaucoup plus frappante : l'explosion, depuis le printemps dernier, de la défiance à l'égard du monde scientifique. Si trois quarts des Français continuent de lui accorder leur confiance, "entre le début de l'épidémie et le mois d'octobre 2020, la confiance des Français envers les scientifiques a baissé de plus de 20 points".
Une évolution "alarmante", selon l'auteur, qui y voit notamment un effet de la médiatisation des controverses scientifiques autour du Covid-19, et notamment des prises de position du professeur Didier Raoult contre les autorités sanitaires. Il y voit aussi l'effet de la diffusion massive "des thèses conspirationnistes anti-vaccins" via les réseaux sociaux.
"Sur les réseaux sociaux britanniques, français et espagnols, les principales discussions concernant le vaccin montrent une inquiétude concernant les motivations des laboratoires, des responsables politiques et des scientifiques à propos du vaccin, qui seraient davantage économiques que sanitaires", conclut l'auteur. "La transparence est donc bien ici la clé de la confiance."