L'info passée au crible

La guerre d'Algérie et la colonisation ont-elles longtemps été passées sous silence à l'école ?

Publié le 21 janvier 2021 à 18h39
Les premières évocations du conflit auprès des élèves remontent aux années 1970.

Les premières évocations du conflit auprès des élèves remontent aux années 1970.

Source : AFP

MÉMOIRE - La France, explique un historien, a tardé à évoquer des sujets douloureux comme la colonisation ou la guerre d'Algérie auprès des élèves. Un constat qu'il faut nuancer.

En juillet dernier, l’Élysée a confié à l'historien Benjamin Stora la rédaction d'un rapport, afin de réconcilier les mémoires sur les questions relatives à la décolonisation et à la guerre d'Algérie. Un travail sur un sujet toujours sensible, que le spécialiste vient de rendre au président de la République Emmanuel Macron. Il dresse une série de constats et de recommandations, et s'est exprimé à plusieurs reprises dans les médias afin de présenter les grandes lignes de ses observations. 

Au micro de France Inter ce jeudi, Benjamin Stora a notamment déploré que "des générations entières" soient "passées sur les bancs du lycée et de l'université sans même savoir ce qu’était la colonisation, la guerre d'Algérie". Un déficit de communication observé auprès des jeunes générations qui contribue notamment au besoin de commémorer davantage aux yeux de l'historien.

De premières occurrences dès les années 1970

L'Éducation nationale a-t-elle mis sous le tapis ces sujets clivants, dans une société où ces épisodes de l'histoire sont restés très controversés ? "Jusqu'en 1983, la guerre d'Algérie n'est pas au programme du lycée", indiquait il y a quelques années dans l'Obs Benoit Falaize, professeur agrégé d'histoire. "En revanche, elle est présente au collège dans les années 1970", sous des formes variables. Des gros plans de "trois ou quatre pages qui évoquent très clairement la guerre d'Algérie avec de longs développements", on passe en effet quelques années plus tard à "quelques documents" peu développés. S'il est logique que quelques années s'écoulent entre la fin de la guerre d'Algérie et son étude par les élèves, il semble assez vrai d'expliquer que plusieurs générations de lycéens n'ont pas abordé en cours cette question.

1983 marque en tout cas un tournant. La guerre d'Algérie fait son apparition dans les programmes des lycéens, pour ne plus jamais en sortir. Un sujet épineux : "L’espace public, à ce moment, résonne déjà non seulement des débats vigoureux sur l’enseignement de l’histoire mais aussi des premières demandes mémorielles émanant à la fois des victimes de la Shoah, des anciens combattants, et déjà de certains groupes de rapatriés", souligne l'historienne et essayiste Laurence De Cock. "La réécriture des manuels fait donc l’objet d’une vigilance extrême de la part des associations d’anciens combattants mais aussi du monde politique."

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Rendre obligatoire l'étude de cette période de l'Histoire ne signifie pas forcément qu'elle est abordée de manière complète et détaillée. "De 1985 à 2005 environ", une certaine "forme d'effacement apparaît, même si le conflit reste évoqué", souligne Benoît Falaize. Si bien que cette guerre n'apparaît pas comme "un enjeu de mémoire". De longues années durant, certains aspects du conflit son présenté d'une manière qui peut surprendre aujourd'hui, la torture en particulier. "L’interprétation dominante est celle d’un engrenage entre massacres des uns et des autres. Les manuels renvoient dos à dos les belligérants, sans analyser ce qui a conduit un État démocratique à utiliser la torture comme méthode de gouvernance afin de maintenir sa domination", écrit Françoise Lantheaume, sociologue et spécialiste de la transmission de la mémoire coloniale.

Un rôle de la France à géométrie variable

Au fil des époques, la manière dont fut présenté le conflit a évolué de manière notable. En suivant de plus ou moins près l'évolution des débats au cœur de la société. Laurence de Cock souligne dans un texte consacré à l'enseignement du "fait colonial" dans le secondaire de 1902 à nos jours, que "sans que l’Inspection générale n’admette de véritable corrélation ente les débats mémoriels et la réécriture des programmes scolaires, ceux-ci font tout de même l’objet d’aménagements au début des années 2000."  Elle explique, par exemple, qu'en classe "de terminale S, le 'fait colonial' est regroupé en un seul moment :  'Colonisation/décolonisation'". 

Et note aussi que "la formation des enseignants augmente sur les questions coloniales dans les plans de formation académique", tandis qu'en 1994, "la question d’agrégation en histoire contemporaine porte sur l’'Europe et l’Afrique de la veille de la 1ère Guerre Mondiale aux années 1970'". Une nouvelle lecture de l'Histoire s'amorce, à une époque ou la France multiplie les réflexions relatives aux questions mémorielles, incarnée par le discours de Jacques Chirac en 1995 lors de la cérémonie commémorant la rafle du Vel' d'hiv du 16 et 17 juillet 1942. On se souvient que le chef de l'État prononçait alors cette phrase devenue célèbre : "Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français."

Françoise Lantheaume conclut que "l’enseignement de l’histoire est passé au XXe siècle du roman national au morcellement mondial, d’une histoire hagiographique à une histoire plus critique, mais qui fait l’économie d’une réflexion sur la façon dont le lien unissant la France et l’Algérie entortille les deux pays, contribue à la construction d’identités nationales incluant une part de l’autre. La décolonisation est présentée comme le dénouement alors que le lien demeure." Elle ajoute que "les manuels, objets 'passeurs', ont joué un rôle de 'refroidisseur' de questions chaudes et ont contribué à rendre enseignable un sujet difficile". Au moyen "de choix parfois audacieux", mais également "au prix [...] de l’euphémisme et du silence", que ce soit via "la faible présence du point de vue du colonisé" ou encore du "silence sur certaines pratiques de l’État colonial".

"L’enseignement de l’histoire en France [...] n’a pas réussi à construire un récit public permettant à chacun de reconsidérer son expérience et la mémoire dont il a hérité, en fonction d’un horizon d’attente commun", estime cette spécialiste. Un point de vue qui permet aussi d'éclairer la position de Benjamin Stora, jugeant les enseignements longtemps faillibles. Ce dernier se réjouit d'ailleurs des évolutions positives observées depuis une vingtaine d'années. Si l'Éducation nationale n'a pas forcément remisé par le passé la décolonisation ou la guerre d'Algérie dans ses programmes, elle a mis du temps pour en livrer un récit nuancé et approfondi. Une évolution lente qui concerne de nombreux sujets mémoriels. 

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Thomas DESZPOT

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