La suppression de l'argent liquide est-elle "actée pour 2022" ?

Publié le 20 février 2020 à 22h49, mis à jour le 21 février 2020 à 9h21
La suppression de l'argent liquide est-elle "actée pour 2022" ?

Source : PHILIPPE HUGUEN / AFP

À LA LOUPE – Des publications partagées au sein des réseaux de Gilets jaunes évoquent la fin programmée de l'argent liquide d'ici la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron. Si rien n'est acté, il s'agit néanmoins de pistes de réflexion issues d'un rapport commandé par Matignon.

Les pièces et billets en euros s'apprêtent à disparaître. Voilà, en substance, le message qui circule sur des groupes Facebook de Gilets jaunes. "C'est acté les amis", lance une internaute, "pour 2022". En lien, elle renvoie vers une pétition intitulée "Au secours, l’art. 16 prévoit la fin de l’argent liquide dès 2022 !". Jeudi après-midi, on dénombre un peu plus de 80.000 signatures.

Un rapport uniquement consultatif

L'article 16 dont il est question provient-il d'un texte de loi ? Non : il est en réalité tiré d'un rapport rendu en juin 2018 par le "Comité action publique 2022" et qui suggère d'aller "vers une société 'zéro cash' pour simplifier les paiements tout en luttant mieux contre la fraude fiscale". Formé en octobre 2017 par Edouard Philippe, ce comité visait à "interroger en profondeur les missions exercées par la puissance publique" et aboutir à "un grand programme de transformation de l’administration". Il a compté jusqu'à 34 membres. 

Selon la pétition, ce groupe qualifié "de 34 apparatchiks représentant les banques (Rothschild), le big data et l’État - mais pas vous - a décidé dans votre dos de vous priver d’argent liquide dès 2022". Composé en grande majorité de personnalités politiques, d'économistes et de hauts fonctionnaires, le comité a bien intégré des membres du secteur privé (chez Rothschild, mais aussi BlackRock) et s'est chargé de plancher sur des propositions pour façonner l'administration du futur. Purement consultatif, il a livré en plus de 150 pages une synthèse de ses réflexions.

Si le texte évoque une société où le cash aurait disparu, il vise surtout, via les réformes qu'il propose, à s'attaquer aux paiements en liquide dans les administrations, avec une dématérialisation des "paiements fiscaux et sociaux". La suppression plus massive de la monnaie fiduciaire est de son côté envisagée à plus long terme, en commençant par les pièces de 1 et 2 centimes. Des pays comme la Belgique, l'Irlande ou la Finlande ont déjà franchi le pas en se débarrassant des plus petites pièces rouges. 

Avant que ne soit publié ce rapport, le gouvernement avait pressenti que ces recommandations pourraient attiser des tensions sociales. Il en a donc retardé la publication et souhaitait préciser d'emblée ses arbitrages. "On va s’éviter un mois de controverses sur un document dont la moitié des propositions n’ont pas vocation à être reprises", glissait à l'orée de l'été 2018 une source gouvernementale à Libération

La dématérialisation de la monnaie, une tendance de fond

Si ce fameux article 16 n'a pas nécessairement vocation à être traduit dans la loi et n'est en tout cas pas du tout "acté pour 2022", faut-il pour autant conclure qu'une remise en cause des paiements en liquide est à exclure ? Pas forcément, surtout si l'on en croit de hauts représentants de la Banque de France. 

Érick Lacourrège, directeur général chargé des services à l'économie et du réseau, lançait sans hésitation en octobre 2017 à La Tribune : "Le cash finira par disparaître". Le gouvernement, encore prudent, reste discret sur le sujet, mais accompagne en douceur l'évolution des moyens de paiement. Avec un plafond maximum abaissé pour les achats en liquide notamment, passé de 3.000 à 1.000 euros. Des mesures toujours justifiées par la lutte contre la fraude et le blanchiment. En parallèle, il faut souligner que l'Autorité de la concurrence vient d'autoriser une augmentation de 56% de la commission interbancaire de retrait pour l'année 2020.

Les retraits en liquide au distributeur vont-ils bientôt coûter plus cher ?Source : JT 20h Semaine

La hausse des règlements par carte bancaire s'accompagne ainsi d'un recul progressif du chèque et du liquide. Les banques, encouragent logiquement la dématérialisation : non seulement parce que les chèques leurs coûtent plusieurs milliards d'euros par an, mais aussi parce que les utilisations de cartes bancaires entraînent le versement de commissions interbancaires, sources de bénéfices. Signal notable de cette incitation des banques : la forte diminution du nombre de distributeurs automatiques de billets à travers le territoire, - 2.932 en trois ans, de 2015 à 2018, pour "52.697 distributeurs automatiques de billets et 23.323 points d’accès privatifs", précise la Banque de France.

Du côté des opposants, on dénonce l'influence du lobby bancaire tout en mettant en avant les impacts potentiels pour les usagers. Si l'impact sur la lutte contre les trafics et la fraude fiscale est globalement entendu, des citoyens s'interrogent sur la conséquence d'une disparition du liquide en cas de panne des dispositifs électroniques. Sans compter la difficile adaptation pour les plus âgés fidèles à la monnaie fiduciaire, ou encore à l'impossibilité de pouvoir faire des dons à des personnes sans domicile fixe. 

Distributeurs de billets : bientôt la fin ?Source : La matinale

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Thomas DESZPOT

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