"La vérité pour Adama" : Assa Traoré, la soeur devenue militante contre les violences policières

Publié le 13 juin 2020 à 12h04, mis à jour le 13 juin 2020 à 12h10

Source : Sujet TF1 Info

PORTRAIT – En tête de cortège mardi 2 juin devant le palais de justice, à l'origine d'une nouvelle mobilisation samedi 13 juin, Assa Traoré s'illustre une nouvelle fois dans le combat qu'elle mène pour élucider la mort de son frère. De quoi faire de cette trentenaire, créatrice du "Comité vérité et justice pour Adama", une figure de proue de la lutte contre les violences policières et de l’antiracisme.

"Aujourd’hui, ce n’est plus le combat de la famille Traoré, c’est votre combat à vous tous (…) La liste est trop longue. Ce qui se passe aujourd’hui aux Etats-Unis a mis en lumière ce qui se passe en France. Aujourd’hui, vous devez être le porte-voix de ce qui se passe en France." Dos au tribunal de Paris, après avoir fendu la foule entourée d'un service de sécurité auto-organisé, Assa Traoré interpelle celles et ceux qui lui font face. Sa voix porte, son discours est rythmé par les applaudissements et les sifflements encourageants. Nous sommes le 2 juin 2020 et voilà près de quatre ans que la jeune femme de 35 ans mène un combat sans relâche pour faire reconnaître la responsabilité des forces de l'ordre dans la mort de son frère Adama.

Aujourd’hui, elle souhaite que le combat qui est le sien s’inscrive dans la dynamique mondiale provoquée par la mort de Georges Floyd, le 25 mai dernier aux Etats-Unis. En France, les circonstances du décès d’Adama Traoré dans les locaux de la gendarmerie de Persan (Val d’Oise), après son interpellation à Beaumont-sur-Oise le 19 juillet 2016, ne sont toujours pas élucidées. Les expertises médicales et les contre-avis s'enchaînent, jetant le flou sur ce qui s’est passé ce jour-là et retardant la clôture de l'instruction.

"Je sais comment tu as vécu Adama. Nous voulons tous savoir comment tu es mort", écrit-elle en 2017 dans Lettre à Adama, un ouvrage co-écrit avec la journaliste de L'Obs Elsa Vigoureux. Assa Traoré y raconte comment elle se trouve à Rabac, en Croatie, lorsqu’elle apprend qu’il est arrivé quelque chose à son frère à la suite de son arrestation, le jour de ses 24 ans. Après la mort d’Adama, la jeune femme est naturellement désignée porte-parole de la famille et contribue à la création du comité "Justice pour Adama", dont la devise est la suivante : "Sans justice, vous n’aurez jamais la paix". 

Une convergence des luttes avec les Gilets jaunes

Ce rôle de cheffe, Assa l’endosse dès l’adolescence, après le décès en 1999 de son père, d’origine malienne, des suites d’une exposition à l’amiante, raconte Le Monde qui dresse son portrait en 2016. Issue d’une fratrie de 17 enfants nés de quatre mères différentes, la jeune femme a elle-même trois enfants et travaille, jusqu’en 2016, comme éducatrice spécialisée à Sarcelles. Animée par une quête de vérité qu’elle matérialise par des prises de parole publiques au nom du comité Adama, elle organise des marches blanches chaque été et obtient des soutiens de célébrités, comme Omar Sy, Kery James ou JoeyStarr. Son militantisme lui vaut d’ailleurs des démêlés avec la justice, et notamment une plainte pour diffamation en 2019, déposée par les gendarmes impliqués dans la mort d’Adama.  

Malgré ce que le comité considère comme de "l’acharnement judiciaire" et le peu d’écho que l’affaire rencontre lorsqu’elle disparaît de l’actualité, Assa Traoré n’a jamais cessé le combat. Alors, pour donner plus de résonance à sa cause, elle revendique l’an dernier une convergence des luttes avec le mouvement des Gilets jaunes, à qui elle apporte son soutien. Lors de la troisième marche en hommage à Adama, en juillet 2019, des figures notoires du mouvement défilent ainsi dans les rues de Beaumont-sur-Oise, tels que Maxime Nicolle, Jérôme Rodriguez ou Priscillia Ludosky. "On a vraiment réussi à faire quelque chose d’inédit, à faire déplacer tout le monde dans les quartiers populaires, en banlieue", confie-t-elle alors, comme le rapporte Mediapart.

Politique mais pas partisane

Politique mais pas partisane, Assa Traoré ne ménage pas les responsables de gauche. C'est ainsi qu'elle reprochera à François Ruffin, député LFI, sa prudence face à l'affaire en 2017. Ou interpellera François Hollande, alors chef de l’Etat, dans Le Gros Journal, en septembre 2016 : "Votre position sur cette affaire doit être claire (...) Ces bavures policières, ces violences policières s'agrandissent de jour en jour en France et ce n'est pas normal". La jeune femme reste ainsi prudente, refusant les photos avec des politiques, qui multiplient pourtant les gestes à son égard, ou d'allier ses forces avec des associations antiracistes.

Dernièrement, Assa Traoré a affiché son soutien à la chanteuse Camélia Jordana, qui avait suscité la polémique en partageant son ressenti face à la police, en lançant le hashtag #MoiAussiJaiPeurDevantLaPolice, devenu rapidement viral sur Twitter. Aujourd’hui, elle se fait la figure de proue du mouvement de dénonciation des violences policières en France, au-delà du cas d'Adama Traoré. Pour continuer d'honorer la promesse faite à son frère et formulée dans Lettre à Adama : "Nous devons raconter, nous devons écrire ton histoire". 


Caroline QUEVRAIN

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