La vie sans permis de conduire : "Vous vous sentez comme un délinquant qui fait un virage quand il croise la police"

Publié le 12 avril 2019 à 21h41, mis à jour le 15 avril 2019 à 9h20

Source : Sujet TF1 Info

TÉMOIGNAGES - Alors que 680.000 conducteurs circulent aujourd'hui sans papillon rose, soit deux fois plus qu'il y a dix ans, nombreux sont les contrevenants à s’accommoder de cette situation. Jusqu’à l’oublier souvent. Des raisons qui ont conduit au retrait, à la routine du "hors la loi", en passant par le déclic pour s’en défaire, ils racontent.

Les points qui s’envolent un à un de leur permis de conduire, parfois par paires voire par demi-douzaines, jusqu’au retrait définitif, ils assurent ne pas les avoir vu venir. Pas plus que le nombre d’années à conduire sans le fameux papier rose. Alors que, comme l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) le rappelle, 680.000 conducteurs roulent aujourd’hui dans l’illégalité, contre 300.000 il y a dix ans, nombreux sont les contrevenants qui semblent s’accommoder de cette situation. Jusqu’à l’oublier complètement prétendent certains, et perdre la notion du temps.

"Au début, c’est très stressant de conduire sans permis. Le problème, c’est qu’au fur et à mesure, on s’y habitue voire on n’y pense plus du tout : prendre la voiture redevient un réflexe comme si on avait le permis", explique Jérémie*. A 36 ans, ce Grenoblois a davantage roulé sans permis au cours de sa vie qu’en sa possession. Plus de dix ans exactement. 

"Je l’ai perdu en 2005, cinq ans après l’avoir passé, à la suite de plusieurs infractions : alcool, vitesse, téléphone", détaille-t-il. A l’époque, celui qui vient de lancer son entreprise n’envisage pas une seconde de le repasser. "Pas le temps", résume simplement le contrevenant, précisant qu’il se met alors à parcourir en voiture, sans en avoir le droit, les trois kilomètres qui séparent son domicile de son lieu de travail. Pour se prémunir en cas de contrôle, il décide même de faire une déclaration de perte : "Donc j’avais toujours mon papier rose sur moi". 

10 ans sans permis et 500 euros d’amende, "basta"

Une ruse qui montrera ses limites lorsque, il y a trois ans, en sortant du bureau, il se fait contrôler par la police, en train de téléphoner au volant. "Après le contrôle routier, ils m’ont appelé pour me dire : Monsieur, il va falloir passer au poste parce que vous n’avez plus de points sur votre permis", se souvient-il, amusé, précisant que les policiers "ont été très gentils" alors que lui s’était toujours imaginé finir "en garde à vue" le jour venu. Et d’ajouter : "Bien sûr, je ne me suis pas vanté d’avoir circulé pendant dix ans, j’ai prétendu à une exception". 

Coup de chance pour le "hors la loi", il s’était inscrit quelques jours plus tôt dans une auto-école, finalement décidé à repasser son permis. "C’est clairement ce qui m’a sauvé devant le juge", souligne-t-il, évoquant "un déclic, après l’annonce de la première grossesse de sa femme". Il écopera finalement de 500 euros d’amende. "Basta", s’étonne-t-il encore : "Et le code à repasser".

Durant toutes ces années, celui qui utilisait quotidiennement les avertisseurs de radars et de contrôles de police, recense deux accrochages qui ne l’ont pas pénalisé. "Pour le premier, c’était une voiture qui m’était rentré dedans mais, heureusement, j’avais un passager avec moi et on a pu échanger nos places", raconte-t-il. 

"Quand on conduit sans permis, on est beaucoup plus vigilant"

"Exemple typique", s'attarde-t-il : "Quand je dis qu’on oublie qu’on n’a plus le permis, combien de fois j’ai eu la possibilité de faire conduire la personne à coté de moi mais ça ne me traversait même pas l’esprit ?"  Quant au second accrochage , c’est bien lui qui était en tort. "Je suis rentré dans la voiture de devant dans un bouchon mais le conducteur n’était pas assuré et on n’a pas fait de constat". Malgré ces deux anecdotes, de cette décennie dans l’illégalité, Jérémie retient une chose : "Finalement, quand on conduit sans permis, on est beaucoup plus vigilant. J'avais souvent l’impression de conduire mieux que tout le monde parce que je faisais attention à tout".

Une certitude également pour Romain*, 29 ans. Cela faisait trois ans que ce Biterrois avait son papier rose,  quand il lui a été retiré. "Quand vous êtes jeune conducteur, vous faites un peu le beau, vous doublez tout le monde", regrette celui qui estime "avoir grandi" et "faire plus attention au compteur" depuis qu’il roule sans permis. "Vous recevez des lettres on vous dit 'vous avez perdu un point, puis un autre, puis encore un', mais on ne résume pas votre situation et on ne vous met pas en garde mais un beau jour vous n’avez plus de permis, on vous demande de le rendre à la préfecture", se souvient-il, invoquant uniquement des petits excès de vitesse. 

"A 80, 81, 82 ou 92, c’est compliqué de respecter la limitation de vitesse", estime celui qui n’a pas réfléchi longtemps avant de prendre sa décision : "Je me suis dit : 'Ça ne sert à rien de le repasser pour me le faire retirer 6 mois'." 

"C'est comme les gens qui volent, un jour ils se font attraper et ils arrêtent"

Comme Jérémie, l’automobiliste en infraction ne comptera finalement plus les années qui défilent jusqu' à atteindre sa sixième. Un laps de temps suffisant pour compiler des anecdotes. "J’avais fait des photocopies de mon permis que j’ai toujours sur moi  et quand je bossais en boite d’intérim je présentais ça en disant que j’avais perdu mon permis et que j’attendais le nouveau. Parfois, ça a marché", se félicite-t-il, précisant que ça lui est même arrivé de décrocher des missions "en tant que chauffeur poids lourd". Et de poursuivre : "Je me suis déjà fait arrêter le soir en rentrant du travail, on m’a demandé de souffler dans un ballon mais pas de présenter mon permis". 

Persuadé d’un certain nombre de paradoxes induits par le "système", Romain ne manque pas de souligner par exemple qu’il s’est "acheté une voiture à crédit" sans qu’on ne lui ait "jamais demandé (son) permis". Et de ponctuer : "C'est tendre le bâton pour se faire battre". Si le presque trentenaire entend bien repasser l'examen un jour, il compare l’engrenage dans lequel il est pris à celui dans lequel se trouvent "les gens qui volent. Un jour, ils se font attraper et ils arrêtent".

A l'apparition de la police, "vous vous sentez comme un délinquant recherché"

Et puis il y a ceux, comme Raymond, retraité qui, loin d’assumer cette illégalité, la redoutent plus que tout. "Fin 2016, j’ai roulé à l’étranger pendant près de quatre mois avec un permis non valable et si je m’étais fait arrêter par la police étrangère, j’étais considéré comme roulant sans permis", raconte-t-il, peu fier, avant de détailler les circonstances qui l’ont conduit, malgré lui à cette situation. 

"J’ai toujours conduit un camping-car avec une remorque pour lequel j’avais le permis BE, qui autorise à conduire un véhicule avec remorques de plus de 750 kilos. Alors que la date qui figurait dessus arrivait à échéance, je me suis rendu en préfecture pour faire renouveler le document, mais cela m’a été refusé au motif que ces démarches se font désormais sur internet." Il s’exécutera mais les délais de délivrance le conduiront tout de même, à l’époque, à enfreindre la loi quelques mois. 

"Vous vous sentez comme un délinquant recherché qui, quand il aperçoit la police, fait un virage à droite", confie-t-il, se comparant à un "fuyard" contraint de "ne plus emprunter les grandes routes et les ronds-points tout comme de circuler les samedis soirs où les contrôles d’alcoolémie sont fréquents." Encore marqué par cette expérience, Raymond a pris les devants il y a quelques mois, voyant que le nouveau permis qui lui a été délivré à l’époque arrivait à son tour à expiration en septembre 2019. "J’ai demandé à le renouveler sans aucune date dessus, le permis a été envoyé, on m’a d’ailleurs donné le numéro d’expédition de La Poste mais le courrier été perdu", se désole celui qui est sans nouvelle de l’administration qu’il a informé depuis plusieurs semaines, et qui se voit déjà revivre en "hors la loi" malgré lui dans quelques mois. Pour rappel, circuler sans permis en France peut coûter jusqu’à 15.000 euros d’amende.

* Tous les prénoms figurant dans l'article ont été modifiés


Audrey LE GUELLEC

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