Laïcité et religion à la Ville de Paris : "Forcément, ça crée des tensions"

par Sibylle LAURENT
Publié le 10 décembre 2015 à 18h09
Laïcité et religion à la Ville de Paris : "Forcément, ça crée des tensions"

TEMOIGNAGE – Alors que la Ville de Paris va diffuser un "Guide de la Laïcité" pour aider ses cadres à affronter des situations où la laïcité ne serait pas respectée par des agents, un encadrant raconte à metronews comment il vit cette situation, où le service public doit composer avec la religion.

Thomas (le prénom a été changé) est cadre à la Ville de Paris. Il travaille dans ces services depuis une dizaine d’années, et a écumé à peu près autant d’ateliers en lien avec son activité. Après ce qu’il a vu, la délicate question de la laïcité au travail, le fait doucement rigoler aujourd’hui. Parce que derrière le beau concept, la réalité n’est pas si tranchée.

"Il ne faut pas se voiler la face", raconte-t-il à metronews en réaction à l'article que nous avons publié mercredi . "Il n'y a pas un seul atelier où je sois passé, où il n’y ait pas un ou des agents qui prient. Cela a toujours existé." Il le note, mais "c’est sans souci", fait-il remarquer. "En général les limites posées font que cela se fait sur les heures de pause et discrètement. C'est habituel et sans souci. Personnellement, je n'ai aucun problème avec ça."

"Cela crée des tensions dans nos ateliers"

Mais ce qui gêne plus particulièrement cet encadrant, qui se catégorise "plutôt d'extrême gauche", est une circulaire appliquée à la fonction publique, qui octroie aux salariés qui le demandent des autorisations d’absence pour les fêtes religieuses . Chaque année, un document envoyé dans les services donne la liste des dates - une petite quinzaine -, correspondant à des fêtes juives, musulmanes, arméniennes, bouddhistes, orthodoxes. Les principales fêtes catholiques et protestantes sont déjà prises en compte dans le calendrier.

Sur le papier, pas de problème. Mais en pratique, c’est plus dur à gérer. "Cela crée des tensions dans tous nos ateliers car ça fait des différences entre les salariés", explique Thomas, qui ne veut viser aucune religion. Car d’après lui, cette autorisation d’absence est souvent le prétexte à des abus. "En théorie, c'est limité avec la nécessité du service, mais en réalité aujourd'hui c'est accordé à tous ceux qui le demandent", explique-t-il encore. "Et nous ne pouvons pas demander à quelqu’un de nous prouver qu’il est de telle confession ou pas. C’est impossible à vérifier et ce serait mal vu. Alors souvent, des agents que nous savons pourtant ne pas être de telle confession sont autorisés à s’absenter."

"Les religions ne devraient pas impacter sur l'organisation du travail"

Un détail ? Pas tant que ça. "Cela pose de gros problèmes d’organisation du service, cinq à six fois par an. La religion relève du domaine privé. On ne devrait pas avoir à en tenir compte quand cela impacte la qualité du travail." Et tout ça joue sur l’ambiance de l’équipe : "Des salariés se retrouvent avec des jours de congé sous couvert de fête religieuse. Et ceux qui n’abusent pas du système se retrouvent lesés. Forcément, ça crée des tensions, et dans ce milieu ouvrier, se développent rapidement des réflexes identitaires et des amalgames."

Le sujet est sensible, très sensible. La Ville a montré qu’elle le prenait au sérieux. L’an dernier, Thomas, comme les autres cadres, a bénéficié d’une formation sur la laïcité. D’ici quelques jours, un "Guide de la laïcité" va également être diffusé à tous les cadres, et de nouvelles formations seront proposées. Là-dessus, Thomas est satisfait : "Ce sont vraiment des bons outils. Cela nous remet à plat l’histoire des religions, le principe de laïcité, on étudie des cas pratiques et les bases légales. Cela nous a permis de désamorcer beaucoup de conflits." Même s’il sait qu’il y a toujours des compromis à faire sur le terrain. "Le rôle du chef d’équipe est de maintenir une sorte de paix, de bon climat. Si on veut mettre le feu, on affiche la Charte de la Laïcité dans les locaux… Mais personne ne nous y encourage ! Il faut être flexible." Il n’est pas loin de voir une "certaine dose d’hypocrisie" dans la position des supérieurs. "Personne ne veut mettre les pieds dans le plat. Mais ça me fatigue. Ça met vraiment à mal le vivre-ensemble."

A LIRE AUSSI >> Comment la mairie de Paris veut lutter contre la radicalisation chez ses agents


Sibylle LAURENT

Tout
TF1 Info