"Les enfants, on les fait à deux, ils ont droit à leurs deux parents" : la garde alternée examinée devant l'Assemblée

par Sibylle LAURENT
Publié le 30 novembre 2017 à 8h00
"Les enfants, on les fait à deux, ils ont droit à leurs deux parents" : la garde alternée examinée devant l'Assemblée

Source : Illustration / AFP

TÉMOIGNAGE - Les députés vont débattre ce jeudi dans l'hémicycle de la proposition de loi du MoDem qui pose la résidence alternée comme principe de base en cas de séparation des parents. LCI a demandé à Emmanuelle, maman de trois enfants, séparée depuis quatre ans, qui a fait ce choix avec son ex-conjoint, comment elle vivait la garde alternée.

Emmanuelle s’est séparée il y a quatre ans. 34 ans, trois enfants, trois filles. Une grande en CP, une deuxième de 4 ans, un bébé de six mois. Dès le début, elle et son ex-conjoint ont opté pour la garde alternée "à 50-50". Une évidence. "On n s’est même pas posé la question, raconte-t-elle. Ni pour lui ni pour moi, pas question que les enfants soient plus avec l’un des deux parents." Emmanuelle est dans la tendance : la résidence alternée a fortement progressé, depuis sa reconnaissance officielle par la loi en 2002. 

Aujourd’hui, un enfant de couple divorcé sur cinq vit en résidence alternée. Si le sujet relève habituellement de la sphère de l’intime et du juge aux affaires familiales, le Modem a remis le sujet sur la table la semaine dernière, avec une proposition de loi qui pose la double résidence comme principe de base en cas de divorce. Proposition de loi  examinée ce jeudi, mais qui risque d’être rejetée. 

Il ne faut pas que les parents soient en guerre, sinon ce n’est pas gérable

Emmanuelle, maman de trois enfants

La garde partagée, raconte Emmanuelle, c’est compliqué. Disons qu’il faut s’adapter. Au point qu’elle le dit d’entrée : "Il ne faut pas que les parents soient en guerre, sinon ce n’est pas gérable. Il faut aussi garder une bonne communication, être assez proche en distance et se dépanner mutuellement si besoin." Au début, à cause de contraintes professionnelles des deux côtés, Emmanuelle et Victor gardent les enfants un jour chacun. Depuis cette année, les petites tournent chaque semaine. "On a un planning fait à l’année, avec les semaines bleues et les semaines roses. Après, c’est souple : quand il y a besoin de changer un week-end ou un dimanche, on s’arrange." Lui et elle ne se voient pas. "On n’a pas besoin. L’un dépose les enfants le lundi matin à l’école, l’autre les récupère le soir. Mais on s’appelle, on s’envoie des mails." 

VIDÉO - Garde alternée prioritaire : la proposition qui fait débatSource : Sujet JT LCI
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Parce qu'au final, il y en a souvent besoin, d'échanges. Notamment pour gérer de la logistique. "Parler de ce qu'il s'est passé à l'école, de la réunion avec la maîtresse, des factures de la cantine, des vêtements, de la photo de classe à commander mais aussi les déclarations d’impôts, sur les frais de garde, qui déclare quoi... Il y a plein de petits trucs bêtes auxquels on ne pense pas." Et ça avance à tâtons, les ajustements se font petit à petit. "Au début, on partageait tout en deux, raconte encore Emmanuelle. Et puis il y avait des disputes, sur le pantalon que l’un n’avait pas acheté..." Du coup maintenant, c’est chacun pour soi : "Je paie ma cantine, mes pantalons, il paie la sienne, on fait tout comme ça. Chacun se débrouille." Et puis surtout, au fil des années, Emmanuelle et Victor ont chacun refait leur vie. Lui, très vite après la séparation. Elle un peu plus tard. Il attend un enfant, elle a un fils de 17 mois. "Au début, on fait un peu nos vies par rapport à l’autre et après, les priorités changent", reconnaît Emmanuelle. Le lien reste, forcément. Leurs vies sont liées. Mais d’un peu plus loin. "Il faut être proche mais pas trop non plus", dit-elle. Trouver le bon équilibre. Fragile.

C’est un peu comme si on changeait de maîtresse toutes les semaines. Il faut se réhabituer à chaque fois

Emmanuelle

Car le conflit rôde. "On n’a pas toujours la même manière de voir les choses, estime la jeune femme. Par exemple, lui est anti-médecin, j’ai tendance à les emmener très tôt. Du coup, ça m’est arrivé souvent de récupérer des enfants maladifs et dès que je soupçonne quelque chose." Forcément, ça créé des différends. Et forcément, les méthodes d’éducation ne sont pas les mêmes : 'Il est strict, je suis plutôt mère poule', détaille Emmanuelle. On fait beaucoup de choses avec les enfants ; lui a plus tendance à prendre beaucoup de vacances avec sa compagne, en laissant les enfants. Il faut qu’elles s’adaptent des deux côtés." Mais, toujours, ils sont liés. Et chacun subit le contrecoup, de ce qu’il s’est passé la semaine d’avant. Les récupère parfois énervés ou cassés : "Par exemple, ma dernière de 4 ans est considérée là-bas encore comme un bébé. Chez nous, elle est comme tout le monde. Du coup, quand elle revient après une semaine chez son père, elle fait des caprices, pleure pour rien. Puis elle reprend le rythme, au bout de quelques jours. C’est un peu comme si on changeait de maîtresse toutes les semaines. Il faut se réhabituer à chaque fois." 

Ce décalage a pu poser problème au point que l’an dernier, sa fille aînée ne voulait plus aller chez son père. "Il a refait sa vie, il aime beaucoup les bébés et est moins câlin avec les grands. Elle s’est sentie moins à sa place", raconte Emmanuelle. "Elle avait des maux de ventre, des hurlements quand il fallait repartir chez lui." La question s’est posée de change de mode de garde pour elle. Mais finalement, "on en a discuté, avec elle, avec lui. Elle a pris sur elle, il a fait des efforts. On essaie de lui dire qu’elle a de la chance, d'avoir deux parents."

Les enfants ont droit à leurs deux parents, ce n’est pas un mal d’avoir deux éducations

Emmanuelle

Car l’idée est d’essayer, malgré tout, de présenter un front commun parental aux enfants. De prendre sur soi, même quand l’autre vous fait sortir de vos gonds. "C’est parfois un peu compliqué de ne pas prendre parti. Il faut jongler sans se mettre en désaccord avec l’autre", dit Emmanuelle. "Parce qu’évidemment, on ne peut pas s’entendre sur tout. Mais il faut être discret par rapport aux enfants. L’enfant se construit, c’est à lui de se faire son propre avis. Il n’a pas à subir toutes nos envies de vengeance, de règlement de comptes." Mais protéger ses enfants demande de la maturité. D’avoir digéré certaines choses. Fait le deuil d'une relation. D'être aussi prêt à ce que l’autre refasse sa vie, accepter que le nouveau venu ait une place dans la vie de ses enfants. Pas facile. "Une mère a du mal à accepter qu’une autre femme entre en jeu dans l’éducation de ses enfants, reconnaît Emmanuelle. Mais quand on se sépare, il faut être prêt à ça."

Reste que pas un instant, pour ses enfants, elle ne regrette. "Les enfants ont droit à leurs deux parents, ce n’est pas un mal d’avoir deux éducations, elles peuvent comparer, dit Emmanuelle. On essaie aussi de leur montrer qu’elles ont aussi la chance d’avoir un beau-père et une belle-mère formidables, ce qui n’est pas toujours le cas. Pour moi, on est quatre à éduquer les enfants." Même s’il demande une logistique affûtée, ce principe de garde est pour elle le plus égalitaire. "Les enfants, on les fait à deux. Alors on entend souvent dire que la mère a plus de feeling, parce qu’elle a porté les enfants. Mais l’éducation se fait aussi des deux côtés. Parfois, les hommes sont un peu déboussolés, ils n’ont pas l’habitude, mais c’est surtout parce qu’ils ont pris l’habitude que ce soit la femme qui fasse tout ! Et finalement, ils s'en sortent très bien tout seuls."

Une semaine sur deux, cela permet aussi de souffler un peu pour les parents

Emmanuelle, maman de trois enfants

Et ses filles, sont-elles déstabilisées de ce changement de maison chaque semaine ? Impossible à dire pour l'instant. Emmanuelle et Victor ont fait en sorte de rester dans le même village, dans le sud de la France, de laisser les enfants dans la même école. "Et suivant les âges, les réactions diffèrent, réfléchit-elle. Ma petite qui avait six mois, est celle qui a le moins subi. Elle n’a jamais été habituée à nous voir ensemble, elle ne se pose pas de questions. Elle s’en posera peut-être plus tard." C'est peut-être celle du milieu qui a eu plus de mal : "Elle me dit qu’elle aime bien que j’ai refait ma vie, mais que ce serait quand même mieux si c’était avec son papa... Quant à ma grande, elle nous a connu nous disputer, donc elle comprend mieux la séparation." 

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Cette garde partagée a une autre conséquence : "Cela permet aux parents d’avoir du temps libre !". Pour elle, surtout, le changement de rythme a été immédiat. Dans le bon sens. "En couple, je m’occupais des enfants, du ménage, du boulot, et me faisais engueuler parce que ce n’était jamais bien comme il fallait. J’étais tellement débordée, tellement stressée que ce système-là m’a plutôt soulagé", estime-t-elle. A l'inverse, son ex-conjoint a "vu ce que c’était que courir pour aller à l’école, faire le ménage, prévoir les repas... " Et a réussi à faire face. Mais ce nouveau planning permet donc, une semaine sur deux, de souffler. "On profite : quand je ne les avais pas, je sortais avec les copines, je mangeais comme je voulais, je profitais de la vie, je mangeais sur le canapé, détaille encore Emmanuelle. Cela fait du bien parfois de souffler un peu !" Bref, toujours sur un fil, mais qui ne rompt pas . Emmanuelle souffle. Et a appris à relativiser : "Pour l’instant ça va. Pour le reste, on verra, on croise les doigts !"


Sibylle LAURENT

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