DÉJÀ VU ? - Le mouvement des Gilets jaunes s'est encore durci ce samedi. Scènes d'émeute, profanation de l'Arc de Triomphe, destruction du mobilier urbain, barricades, pour la maire de Paris, "c’est du jamais-vu depuis mai 1968". Un parallèle est-il vraiment possible ? Nous avons posé la question au sociologue Jean-Pierre Le Goff.
La journée du 1er décembre a été particulièrement mouvementée. Les Français ont assisté à des scènes de chaos : affrontements violents avec les forces de l'ordre autour de la place de l’étoile à Paris, voitures renversées et incendiées, mobilier urbain démonté pour en faire des barricades, la préfecture de Haute-Loire et la sous-préfecture de Narbonne incendiées...
"Ces scènes de violence sont inouïes", a réagi Anne Hidalgo dès le lendemain dans les colonnes du Parisien. "C’est du jamais-vu depuis mai 1968. La situation est très grave. La crise que nous traversons est une crise majeure. Il faut donc en prendre tout le sens et toute la portée."
Ce lundi sur LCI, Daniel Cohn-Bendit a ironisé sur cette comparaison : "Oui, il y a une similitude, parce que vous voyez des voitures brûler", avance l'ex-"Dany le Rouge", "mais les voitures brûlées en 68, c'était dans le quartier latin, aujourd’hui c'est sur les Champs-Élysées et aux alentours. Il y a une différence, ça exprime quelque chose politiquement de complètement différent. La géographie des affrontements n'est pas innocent", poursuit l'ancien député européen, en référence au fait que, depuis quelques temps, les manifestations et les violences se déroulent dans les "beaux quartiers".
Le sociologue Jean-Pierre Le Goff a fait Mai-68, lui aussi, et esquissé cette année une critique sévère du mouvement. Il estime que les différences entre les deux mouvements sont bien plus profondes... et plus inquiétantes. Entretien.
LCI - Comprenez-vous le parallèle qu'a dressé Anne Hidalgo entre les manifestations de samedi dernier et les événements de Mai 68 ?
Jean-Pierre Le Goff - Il y a des ressemblances mais elles sont superficielles. Tout d'abord, on a connu en mai 68 des nuits de barricades assez violentes. Il y a peut-être des aspects communs dans les difficultés à maîtriser ce qu'on peut appeler "les enragés". D’autre part, nous n'avions pas les télés en continu mais on avait "la radio en continu" qui multipliait, comme c'est le cas avec les médias aujourd'hui, l’impact du mouvement, les barricades en feu. On avait l’impression que tout Paris était en insurrection, quand vous écoutiez certains commentateurs exaltés à la radio. Et puis, il y a une crise sociale. Mais le parallèle s'arrête là. Quand vous regardez le fond des choses, c’est totalement différent.
LCI - Quelles sont ces différences majeures ?
Jean-Pierre Le Goff - En mai 68, nous étions en période des 30 Glorieuses, l’avenir était positif, nous étions portés par une dynamique de société de consommation depuis la guerre, et la notion de progrès social était ultra prenante. C'était une marche de l’histoire en positif, les acteurs qui étaient dans les rues avaient en tête des idéologies, il y avait une espérance et il y avait même un côté joyeux dans la communauté étudiante malgré les affrontements. Ce n’était pas la déprime, ce n’était pas le désespoir. Il n'y avait pas de problème de chômage de masse. C’était l'exact opposé de la situation actuelle.
Dans le mouvement des Gilets jaunes, si il y a des formes extérieures qui peuvent faire penser à Mai 68, la dynamique interne n’est pas la même, et puis, les acteurs ne sont pas structurés de la même manière. En mai 68, on est encore dans un mouvement ouvrier structuré, avec des syndicats. La CGT encadre les manifestations, il y a un service d’ordre, elle empêche les débordements, voire, elle veille aux débordements. A l'époque, l’Etat a des partenaires avec qui dialoguer, Pompidou a pu se tourner vers les syndicats pour trouver une issue au conflit. Il y avait "du grain à moudre". Aujourd'hui, il y a quoi ?
C’est beaucoup plus chaotique, plus informe, la France est complètement morcelée, il y a de véritables fractures sociales et culturelles alors qu’en mai 68, il y a des ruptures mais moins prononcées. Même Malraux le dit : "Ce n’est pas une guerre civile". Là, on a un mouvement protéiforme, divisé de l’intérieur, face à un Etat qui ne comprend plus tellement. L’état s’est coupé du peuple. Je ne vais pas me réjouir en disant : "C'est un mouvement citoyen, c’est formidable", parce que la situation est beaucoup plus chaotique qu'en 68 et, à mon avis, beaucoup plus inquiétante.
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LCI - Que peut-on craindre ?
Jean-Pierre Le Goff - Quand c’est le chaos, au bout d’un moment, les gens en ont marre et à ce moment-là, un parti de l’ordre et une personnalité sortie de je ne sais où peut s’imposer. C’est en tout cas, les leçons que je peux tirer de l’histoire.
LCI - Vous pensez qu'Emmanuel Macron ne parviendra pas à trouver une sortie de crise ?
Jean-Pierre Le Goff - Avant, la littérature, l’expérience professionnelle et l’humain faisait qu’on pouvait rencontrer, comprendre des personnes issues d’autres classes sociales. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que la fracture est plus profonde. C’est un mouvement général qui se voit au niveau européen. Il suffit de voir comment Emmanuel Macron a été élu. Grâce au "dégagisme’". C’était "dégagez les tous" et Macron, c’était la forme démocratique, rassurante du dégagisme. De l’autre côté, vous aviez Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Les gens y ont cru, ils se sont dit "voilà du neuf, mais attention, qu’il nous déçoive pas, c'est la dernière fois" ou encore "ce n'est pas parfait, mais c’est quand même des nouvelles têtes". Ça, je l’ai entendu des centaines de fois en province. Un an et demi après, on est dans une crise sociale et politique et je ne sais pas s’il y a de marche arrière possible.
Je suis inquiet, j’attends qu’Emmanuel Macron s’exprime et lâche des éléments concrets. Il y a un décalage entre les éléments de langage qui ont existé jusqu’à présent avec un aspect ‘vous n’avez pas compris, on va vous expliquer ‘, ça ce n’est plus possible. Il y a un côté hors sol. Il faut des actes très concrets car le terrain est extrêmement inflammable, mais je me demande s’il n’est pas trop tard.
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