REVENDICATIONS - Un militant a fait irruption au Louvre et s'est emparé d'une statue, réclamant que soient restituées des biens culturels "volés à l'Afrique". Si des œuvres s'avèrent en effet provenir de sources controversées dans nos musées, cette question agite davantage le monde politique que celui de l'art.
Un militant panafricain s'est introduit au Louvre le 22 octobre pour dénoncer la présence dans le musées d'œuvres "volées à l'Afrique". Sur les réseaux sociaux, une séquence le montrant en action a été consultée plusieurs centaines de milliers de fois, on le voit enlever une statue de son socle et l'emmener sous le bras. "On est venu reprendre ce qui nous appartient, je suis venu reprendre ce qui a été volé", a-t-il notamment lancé.
L'homme à l'origine de cette opération est un activiste congolais, Emery Mwazulu Diyabanza. Il avait déjà été condamné en octobre pour une tentative similaire au Quai Branly. Il a comparu en début de semaine devant le tribunal de Paris, qui a décidé de le maintenir en liberté avant un procès prévu le 3 décembre prochain. Certains internautes ont raillé son action au Louvre, s'amusant notamment du fait que le militant défende la récupération d'œuvres africaines... en essayant de voler une poteau sculpté en bois originaire d'Indonésie. Pour autant, cette action soulève la question de l'origine des biens culturels exposés dans les musées, et des demandes de restitution qui peuvent être formulées.
Le musée du Louvre hier: Un militant panfricain est rentré ds le musée et a déclaré qu'il était venu réclamer les biens "volés à l'Afrique" #Paris pic.twitter.com/xgTWILu01u — Le Général 💎 (@LE_GENERAL_OFF) October 23, 2020
Un sujet mis sur la table par Emmanuel Macron
Des œuvres "volées" sont-elles exposées dans les musées français ? Pour le savoir, LCI a contacté l'anthropologue et muséologue Audrey Doyen, chercheuse à l'université Sorbonne Nouvelle Paris 3. Elle explique dans des musées, "beaucoup de pièces ont été acquises illégalement, volées. On le sait." Des écrits le prouvent d'ailleurs parfois, à l'instar de rapports de missions rédigés durant l'entre-deux-guerres lors d'expéditions en Afrique.
La France est loin d'être le seul pays concerné : la chercheuse note par exemple que la Grèce réclame à la Grande-Bretagne la restitution de frises du Parthénon. Un bataille diplomatique qui n'a pour l'heure pas abouti, Londres se refusant à accéder aux demandes répétées d'Athènes. Sans surprise, une bonne partie des œuvres obtenues de manière litigieuse l'ont été lors de la période coloniale, mais les pays africains ne sont pas les seuls concernés. La France, si elle n'est pas coutumière des restitutions, a rendu à la Corée du Sud près de 300 manuscrits royaux en 2010 ainsi que 20 têtes maories en 2012 à la Nouvelle-Zélande.
Les autorités françaises sont au fait de ces sujets, même si elles n'ont jusqu'à présent pas mené de politique massive de restitution. Emmanuel Macron lui-même est sensibilisé à cette problématique, en témoigne son discours du 28 novembre 2017 à Ouagadougou, au Burkina Faso. Quelques mois à peine après son élection, le président de la République surprenait son auditoire en indiquant souhaiter que "d’ici cinq ans", toutes les conditions "soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l’Afrique". Un dossier qui devait être l'une de ses "priorités".
Suite à cette déclaration, un rapport "sur la restitution du patrimoine culturel africain" a été mené par un duo de chercheurs et universitaires, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. Ce travail a abouti à une série de constats, évaluant notamment à environ 90.000 le nombre d'œuvres sub-sahariennes obtenues par la France dans des conditions douteuses. Ses conclusions, controversées, plaidaient en faveur de vastes restitutions.
Un enjeu politique avant tout
Emmanuel Kasarhérou, nommé au printemps président du musée du quai Branly, a expliqué à l'AFP que le rapport Savoy-Sarr avait impulsé un mouvement nouveau. "Il nous a enjoints à une sorte d'examen de conscience", a-t-il expliqué, son musée étant celui qui regroupe le plus grand nombre d'œuvres à l'origine trouble. Pour autant, "les restitutions sont l'une des réponses qui doivent être apportées à la question plus large sur la manière dont les objets du patrimoine peuvent permettre aujourd'hui une meilleure compréhension entre les différentes cultures, de par leur circulation, leur étude, leur valorisation", a-t-il estimé.
Sollicité par LCI, le musée du quai Branly rappelle par ailleurs que ses collections "appartiennent à l’État français". Dès lors, "la décision d’un éventuel transfert de propriété des œuvres relève de la compétence exclusive de l’État et de la décision du Gouvernement, et non du musée". La balle se trouve ainsi dans le camp des politiques : comme le note la chercheuse Audrey Doyen, les demandes de restitutions "s'effectuent d'état à état". Il s'agit à ses yeux "moins d'un problème muséal que d''un problème politique", puisqu'entre acteurs culturels, "les points de vue se rejoignent souvent et l'on parvient à trouver diverses solutions". Des échanges d'œuvres notamment entre musées, où des expositions qui permettent de faire dialoguer les cultures.
"Ça dépend vraiment des pays", observe Audrey Doyen, "certains n'ont instruit aucune demande. Il faut dire que cela génère des frais, et quand des certains cas, les œuvres sont peut-être mieux conservées ailleurs. Qu'elles soient exposées à l'étranger peut également être perçu comme faisant partie partie d'une forme de rayonnement." Sans compter le fait que les pièces mises en avant dans les pays européens peuvent être vus plus facilement par la diaspora, et donc contribuer à ce que cette dernière puisse s'approprier une partie de son histoire et de son patrimoine. Des arguments auxquels ne semble pas souscrire le Bénin : son ambassadeur à l'Unesco estime en effet que "4.500 à 6.000 objets" sont aujourd'hui dans des collections françaises, et plaide pour leur restitution à Cotonou.
L'art comme enjeu diplomatique ? Rien de nouveau sous le soleil. Si les manuscrits coréens ont été restitués en 2010, Le Monde rappelle que durant son mandat à l'Elysée, François Mitterrand avait "promis de rendre ces archives en échange d'un contrat de construction d'un TGV sur le territoire coréen". Une opération effectuée sur fond de négociation commerciale, donc, qui dépassait de loin le cadre culturel.
De multiples obstacles aux restitutions
S'il est avéré que des milliers d'œuvres ont été acquises de manière douteuse voire illégale par l'Etat, il n'est pas forcément aisé d'entreprendre des restitutions massives. Outre les enjeux économiques (ces pièces ont acquis de la valeur et attirent du public dans les musées, générant de l'activité), il convient de noter qu'un grand nombre de pays ne font parvenir aucune réclamation à la France.
Un obstacle doit par ailleurs être pris en compte : le fait que les œuvres, lorsqu'elles sont récupérées par l'Etat, acquièrent un statut d'inaliénabilité et entrent dans le domaine public. Dès lors, il est impossible de les céder ou des les vendre, que ce soit à un particulier ou à un état. Un cadre juridique strict qui oblige une commission de déclassement ou une loi à statuer pour autoriser le transfert d'une œuvre.
Avant d'accéder à une demande, il convient également de s'assurer que les pièces réclamées pourront être conservées dans des conditions satisfaisantes, et que le pays qui veut les récupérer pourra en assurer la conservation. On imagine mal par exemple la Syrie ou un autre pays en guerre parvenir à garantir l'intégrité de ce patrimoine. "Parmi les arguments opposés à la restitution, il y aussi le fait de savoir à qui on rend", souligne Audrey Doyen. "Plus les œuvres sont anciennes, plus les chances qu'elles aient transité par d'autres mains sont grandes. Là où elles ont été pillées par la France, elles avaient parfois été pillées avant. Dès lors, à qui rendre ? Au premier possesseur ou à celui qui les réclame aujourd'hui ?" Des questions qu'il est difficile de trancher, malgré les efforts entrepris par les musées pour retracer l'origine des œuvres, et que mettent en avant des institutions telles que le quai Branly.
En résumé, il est donc vrai que des milliers d'œuvres aujourd'hui exposées dans des musées nationaux ont été obtenues par la France de manière illicite. Leur restitution apparaît aujourd'hui avant tout comme un enjeu politique et diplomatique, se heurtant à une multitude d'obstacles. Seuls quelques pays mènent aujourd'hui une politique active pour récupérer une partie de leur patrimoine sur leur sol, des procédures longues et délicates rendues compliquées notamment par le statut juridique des œuvres. Celles-ci, dans le domaine public, sont en pratique très difficile à restituer, ce qui explique pour partie le faible nombre de pièces à avoir effectivement été restituées lors des dernières décennies.
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