Les violences contre les forces de l'ordre ont-elles connu une "aggravation spectaculaire" depuis 20 ans ?

Publié le 13 octobre 2020 à 16h57, mis à jour le 13 octobre 2020 à 18h21
Les violences contre les forces de l'ordre ont-elles connu une "aggravation spectaculaire" depuis 20 ans ?
Source : AFP

STATISTIQUES - Marine Le Pen a déploré les violences dont sont victimes les forces de l'ordre, dont elle signale la hausse majeure depuis 2005 et, plus globalement depuis 20 ans. Si les chiffres du ministère de l'Intérieur vont dans son sens, ceux-ci doivent toutefois être maniés avec précaution.

Très critique vis-à-vis du gouvernement, Marine Le Pen multiplie les sorties pour dénoncer la montée de l'insécurité. Sur le plateau de BFMTV, la présidente du Rassemblement national a ainsi partagé une série de chiffres pour illustrer ses propos. En se focalisant sur les agressions physiques ou verbales commises à l'encontre des policiers ou des gendarmes. "Est ce qu'il y a une aggravation des actes [...] ? Oui, spectaculaire. On est aujourd'hui à 65 000 agressions par an contre les forces de l'ordre, gendarmes et policiers. On était à 55 000 pendant les émeutes de 2005. Vous vous rendez compte ? C'est considérable. Ça a augmenté de 60% en vingt ans. Donc oui, nous payons des années de laxisme, de culture de l'excuse", a-t-elle lancé, fustigeant en passant une fois de plus le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti.

Pour vérifier les propos de la députée RN, LCI a consulté des données officielles, fournies par le ministère de l'Intérieur et accessibles sur la plateforme "Data.gouv.fr". Celles-ci détaillent les chiffres départementaux mensuels relatifs aux crimes et délits enregistrés par les services de police et de gendarmerie depuis janvier 1996, et mettent en évidence une progression des agressions envers les personnes dépositaires de l'autorité public, en particulier en ce qui concerne les violences physiques.

Une tendance claire à la hausse

Avant toute chose, il est nécessaire de souligner que les chiffres ne concernent pas uniquement les policiers et gendarmes victimes d'agressions. L'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) souligne en effet que derrière le terme de personne dépositaire de l'autorité publique, on désigne quelqu'un qui "détient un pouvoir de décision et de contrainte qu'elle exerce au nom de la puissance publique. Il s'agit par exemple  des représentants de l'État, des policiers et gendarmes, des douaniers, des fonctionnaires et agents des préfectures, sous-préfectures et mairies, des officiers ministériels ou publics tels que les magistrats, les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, les inspecteurs du travail ou encore les personnes assimilées comme les sapeurs-pompiers, les gardiens d'immeubles ou agents exerçant des fonctions de gardiennage ou de surveillance des immeubles à usage d'habitation."

Cette précision effectuée, il est possible d'observer des données agrégées à l'échelle de tout le territoire. L'on constate ainsi que la tendance est à la hausse en matière d'agressions, grâce à des statistiques qui permettent notamment de distinguer les outrages des violences.

Outrages et violences confondus, on déplorait en l'an 2000 pas moins de 39.606 procédures pour agression. Pour l'année 2019, ce chiffre est de 68.267, soit une hausse de 72%. Entre 2000 et 2019, l'augmentation est même de 148% en ce qui concerne les seuls faits de violences. Le nombre d'outrages a, quant à lui, connu une augmentation beaucoup plus modérée. Notons aussi en passant que Marine Le Pen a raison d'indiquer que les agressions sont ces dernières années plus importantes que celles (un peu plus de 55.000) enregistrées en 2005, année durant laquelle des émeutes majeures avaient fait la Une de l'actualité.

Le découpage territorial des données peut permettre d'effectuer d'autres observations. Afin notamment de déterminer si cette évolution a été homogène à travers le territoire. Si l'on considère que Paris constitue un point central des contestations d'ordre social, par exemple, et que la capitale est donc susceptible de concentrer de nombreux cas d'agressions, l'étude des données nous indique pourtant que la hausse est en fait marquée à l'échelle de l'Hexagone tout entier.

La graphique ci-dessus compile les chiffres pour la France entière, à l'exception de l'Île-de-France. On constate que la hausse se révèle là aussi notable (+83%), et une fois encore plus marquée en ce qui concerne les faits de violences (+172%). Il serait ainsi trompeur de penser que ces actes n'ont été commis qu'à Paris ou dans sa région.

Une tendance à la hausse à pondérer

Comme toujours lorsque l'on manie des chiffres, il convient de faire preuve d'une certaine prudence. Si l'on se penche sur l'évolution des agressions envers les personnes dépositaires de l'autorité publique, il faut notamment souligner que celle-ci est bien moindre si l'on se concentre uniquement sur les dix dernières années. Entre 2010 et 2019, la hausse des violences et outrages a en effet été moindre, s'établissant à 15%. Remonter plus loin en arrière demeure bien sûr possible, mais requiert de préciser que la France comptait à l'époque 7 millions d'habitants en moins, ce qui peut avoir un impact notable sur la hausse de la délinquance.

Par ailleurs, comme souvent avec des séries de données aussi longues, il est indispensable d'observer les potentiels biais méthodologiques. En l'occurrence ici, ceux relatifs à la méthode de collecte des informations. L'Intérieur lui-même pointe dans une note annexe le fait que "les systèmes d’enregistrement des infractions ont beaucoup évolué ces dernières années : à la gendarmerie nationale en 2012 et en 2013, à la police nationale entre 2013 et 2015. Une partie des évolutions dans les chiffres correspond donc moins à l’évolution réelle des phénomènes qu’à celle des pratiques d’enregistrement." Contacté, le ministère indique que les données relatives aux agressions envers des personnes dépositaires de l'autorité publique "n’ont pas connu de changement dans les pratiques d’enregistrement". Il rappelle également que les chiffres avancés ne désignent pas le nombre total de victimes, mais se réfèrent aux procédures qui ont été engagées.

Si la fiabilité des données semble éprouvée, il convient d'indiquer que des changements organisationnels peuvent avoir un impact sur les analyses statistiques. En effet, il suffirait que de nouvelles consignes soient formulées par les différentes hiérarchies afin de systématiser les dépôts de plaintes en cas d'agression pour que le nombre de faits déclarés bondisse. Le nombre réel de faits constatés pourrait ainsi avoir été jusqu'alors à un niveau très élevé, sans que ces chiffres officiels n'en rendent compte.

En résumé, et en gardant en tête les précautions nécessaires dès lors que l'on se penche sur un tel sujet, il est possible de confirmer les éléments indiqués par Marine Le Pen. Les outrages (et surtout les violences) envers des personnes dépositaires de l'autorité publique sont en nette hausse en France, et s'établissent aujourd'hui à des niveaux supérieurs à ceux observés en 2005.  

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Thomas DESZPOT

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