La levée de l'anonymat nous sauvera-t-elle du cyber-harcèlement ?

Anaïs Condomines
Publié le 12 février 2019 à 16h07, mis à jour le 12 février 2019 à 20h52
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Source : Sujet TF1 Info

VIOLENCES EN LIGNE - Le gouvernement souhaite lever l'anonymat sur les plateformes de réseaux sociaux afin d'endiguer le phénomène du harcèlement en ligne. Cette disposition sera-t-elle efficace ? Pour les différents acteurs contactés par LCI, on passe à côté du vrai problème.

Emmanuel Macron l'a répété devant un parterre de lycéens attentifs le 7 février dernier : "Je ne veux plus de l'anonymat sur les plateformes Internet." Une réponse formulée après que le président a été interpellé sur la problématique du cyber-harcèlement, ô combien d'actualité aujourd'hui.

L'affaire de la Ligue du Lol, révélée par Libération vendredi 8 février et mettant en cause plusieurs journalistes parisiens et communicants dans des faits de violences en ligne, est d'ailleurs une occasion en or pour les membres du gouvernement de faire la promotion de cette proposition de mesure. La députée et porte-parole d'En marche Laetitia Avia y voit en tout cas, si l'on en croit un de ses tweets, une idée providentielle pour mettre un stop au harcèlement sur les réseaux sociaux. Son argumentaire : l'anonymat "encourage un sentiment d'impunité" et "autorise" donc cette violence. 

La levée de l'anonymat, remède miracle ? Jean-Baptiste Delhomme, communiquant et analyste, se montre sceptique. Avec son associé, il s'est penché sur la provenance des comptes Twitter à l'origine d'un harcèlement envers la femme politique Cécile Duflot. Celle-ci a subi un déferlement de haine impressionnant après sa déposition lors du procès Baupin, début février. "Cette affaire est complexe" nous explique-t-il. Car si les internautes impliqués agissent en effet sous couvert d'anonymat, ils semblent d'abord renvoyer à des tweets achetés via des plateformes d'astrosurfing (c'est-à-dire une diffusion à grande échelle grâce à des algorithmes). "Dans ce cadre, on voit bien que la levée de l'anonymat ne réglerait pas le problème" reprend Jean-Baptise Delhomme. "Le problème, ce sont davantage ces services payants qui permettent de publier depuis l'étranger" résume-t-il. 

Quant à l'exemple de la désormais fameuse Ligue du Lol, il est encore plus parlant. "Toutes les personnes impliquées étaient depuis longtemps identifiées par leurs noms, prénoms et profession. même leurs employeurs étaient connus. Donc dans ce dossier, l'anonymat ne joue pas du tout un rôle décisif" indique encore Delhomme. "De toute manière, l'anonymat sur les réseaux sociaux n'existe pas vraiment. De plus en plus, la justice est en mesure d'échanger avec les plateformes pour retrouver les adresses IP d'internautes soupçonnés de délits" ajoute-t-il. Même si les procès pour cyber-harcèlement restent marginaux, il est vrai que quelques internautes ayant harcelé la journaliste Nadia Daam ou encore l'actrice du X Nikita Bellucci, ont récemment été condamnés. Dans le cas de Cécile Duflot, une plainte a été déposée par son avocat. Peut-être, à l'avenir, un procès permettra-t-il de faire toute la lumière sur l'origine de ces tweets.

Une protection pour les victimes

Non seulement donc, pour Jean-Baptiste Delhomme, la levée de l'anonymat ne serait pas "suffisante". Mais en plus, elle pourrait se révéler néfaste dans certains cas. Le collectif féministe contre le cyber-harcèlement développe un argumentaire en ce sens. Selon ce collectif, l'anonymat est d'abord une protection... pour les victimes. D'ailleurs, on l'a bien vu, dans l'affaire de la Ligue du lol, plusieurs femmes se sont réfugiées dans l'anonymat pour échapper aux harceleurs. 

Le collectif poursuit : "L'anonymat est un moyen de protection pour les personnes vulnérables, les femmes victimes de violences au sein du couple par exemple, les personnes marginalisées par la société, certain activistes, militants ou lanceurs d'alerte. Pour ces personnes, l'anonymat peut être un moyen de s'exprimer sur Internet et de dénoncer des violences tout en préservant leur sécurité et leur emploi." 

Surtout, pour ces militantes, une telle réglementation - au-delà de mettre à mal la liberté d'expression - passerait complètement à côté du vrai sujet : "Interdire l'anonymat sur Internet n'est pas une bonne solution pour lutter contre les cyberviolences et les discours de haine. Ne nous trompons pas de cible : c'est contre l'impunité des cyber-harceleurs qu'il faut lutter et non contre l'anonymat. C'est aux puissants qu'il faut demander plus de transparence, aux plateformes, aux institutions, notamment par exemple sur les procédures d'enquête après un dépôt de plainte pour cyber-harcèlement."

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Depuis août 2018 néanmoins, une disposition est déjà venue renforcer la lutte contre le cyber-harcèlement. La loi Schiappa prévoit en effet de qualifier autrement le harcèlement aux yeux de la justice. Désormais, plus besoin d'avoir posté des messages de manière récurrente pour être poursuivi. Il suffit d'avoir participé, même une seule fois, à un "raid numérique", de manière concertée ou non, pour être passible de poursuites judiciaires. 


Anaïs Condomines

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