"Quelque part, on a gagné" : quinze jours après l'affaire de la Ligue du LOL, comment vont celles qui en ont été victimes ?

Publié le 21 février 2019 à 12h21, mis à jour le 21 février 2019 à 14h22

Source : Sujet TF1 Info

TÉMOIGNAGES - Voilà près de deux semaines que la Ligue du LOL a été outée et que les témoignages de victimes se multiplient dans les médias. Comment faire pour qu’un tel déferlement de haine en bande organisée ne se reproduise plus jamais ? LCI a évoqué "l’après" avec la journaliste Mélanie Wanga et la blogueuse Kenza Sadoun el Glaoui.

Elles ne s’étaient jamais rencontrées. Pourtant leur premier contact fut chaleureux, naturel. Peut-être parce que chacune avait lu les témoignages de l’autre dans les médias. Et qu’en tant que victimes de la Ligue du LOL, elles avaient un lien, un triste point commun. Ce mercredi matin dans un bar d’hôtel du 8e arrondissement de Paris, nous avons donné rendez-vous à la journaliste Mélanie Wanga et à la blogueuse Kenza Sadoun el Glaoui. Nous voulions savoir, près de deux semaines après les révélations sur la ligue du LOL, comment elles avaient vécu ce grand déballage, et ce qu’elles attendaient de la suite.

 

Kenza Sadoun el Glaoui a été harcelée de 2013 à 2015 par la Ligue du LOL. Ses membres, une trentaine de journalistes et communicants, sont accusés d’avoir cyber-harcelé d’autres journalistes et blogueurs, notamment des femmes et militantes féministes au début des années 2010, en tenant des propos sexistes, racistes, antisémites, homophobes. "Je recevais des tweets tous les jours, j’avais des notifications non-stop. Ils m’envoyaient des insultes, des montages photos et vidéos à caractère pornographique, ils détournaient certains de mes textes. Je me disais ‘je tiens un blog, je me mets en avant, j’en paye le prix’. Je me suis vraiment énervée une fois, quand un compte m’a traité de pute gratuitement" rappelle la jeune femme, qui craignait que les marques de luxe avec qui elle travaillait tombent sur ces images obscènes et rompent leur collaboration. "Puis progressivement, ça s’est arrêté."

 

Mélanie Wanga, cofondatrice de la newsletter Quoi de meuf et du podcast LeTchip, a subi les assauts de la Ligue du LOL sur Twitter de 2011 à 2013.  Elle est prise pour cible parce qu’elle tweete sur le féminisme, le racisme. Les harceleurs arrivent à lui faire perdre confiance en elle, lui faire croire qu’elle n’est pas assez compétente pour s’exprimer sur ses sujets de prédilection, l’éloigner de son rêve professionnel, et lui faire quitter Twitter. "J’y suis revenue ces derniers jours pour parler d’eux. Comme ça la boucle est bouclée" dit-elle dans un sourire.  

Depuis presque deux semaines, les jeunes femmes n’ont pas vraiment le temps de penser à autre chose qu’à la Ligue du LOL. Et ce n’est pas toujours une partie de plaisir. "Tout le monde me dit ‘Tu es contente ?’ Certes, il y a une part de justice, c’est important que ce soit sorti. Mais ça a aussi fait remonter pleins de choses en moi que j’avais oubliées. Je n’ai pas été bien pendant plusieurs jours, j’ai beaucoup pleuré, la première nuit, je n’ai dormi que 4 heures. Non, je n’ai pas sabré le champagne, il y a beaucoup de souffrance" explique Mélanie Wanga. "Moi non plus je n’étais pas très bien. Je pense que j’avais tout gardé en moi. A l’époque je me disais ‘Ok, ça fait partie du jeu, ça va passer, ça les amuse, je suis une proie facile’ mais en fait ça m’avait vachement affectée et je ne m’en étais pas rendu compte. Mais personne ne les a poussés à faire ce qu’ils ont fait et ce qu’il se passe aujourd’hui, c’est uniquement de leur faute" continue Kenza Sadoun el Glaoui. 

 

Après les témoignages, que comptent-elles faire pour poursuivre leur action ? "Je réfléchis à plusieurs options" commence Kenza. "Porter plainte c’est aller au bout du processus donc ça peut être une option. Mais est-ce vraiment la solution, qu’ils soient pénalisés ? L’idée c’est que ça ne se reproduise plus. Comment faire ? Tu en penses quoi toi ?", demande-t-elle à Mélanie. "Moi je pense qu’il faut créer un précédent, qu’un antécédent juridique pénalise ce genre de choses. Mais à titre personne,l est-ce que je vais porter plainte ? Beaucoup de faits sont prescrits (le délai de prescription est de 6 ans, ndlr), ils ont effacé beaucoup de preuves…. L’effacement de preuves, c’est la seule chose sur laquelle on pourrait les faire payer mais c’est complexe. En fait, on est dans un truc un peu compliqué : quand j’ai été harcelée entre 2011 et 2013, il n’y avait pas de loi sur le cyber-harcèlement. Aujourd’hui, les faits sont prescrits, mais à l’époque il n’y avait pas de loi. J’étais censée faire quoi ?", s’interroge Mélanie. "On aura déjà avancé si les victimes se rendent compte de leur statut de victime", ajoute Kenza.

Ils reviendront, ces mecs ne seront jamais au chômage"
Mélanie Wanga

 "En fait, je me dis que quelque part on a déjà gagné parce que ces mecs-là, le truc auquel ils étaient le plus attachés, c’était leur position sociale et leur cool. Ils ont perdu ces deux choses-là", se réjouit Mélanie Wanga, sans se faire d’illusion sur leur avenir et leur probable retour dans la profession, dans 5 ou 10 ans. "Ils reviendront, j’en suis convaincue. Pour l’instant ils sont radioactifs, personnes n’a envie d’être associé à eux. Mais ces mecs ne seront jamais au chômage. Il y aura toujours quelqu’un pour dire ‘T’inquiètes, je suis de ton côté, c’est horrible ce que tu as vécu’. Pourquoi pas... Mais qu’ils ne soient plus élevés au rang de mecs cool d’internet, qu’ils n’écrivent plus de papiers sur le féminisme !", espère la jeune femme, sans rancœur. 

 

D’ici là, elles nourrissent le vœu que les choses changent en profondeur dans la société, mais aussi dans le monde professionnel. "Nous, blogueurs, sommes à nos comptes donc nous n’avons pas les mêmes problèmes que les journalistes, nous n’avons pas de hiérarchie. Mais il ne faut pas que le fait d’aller taper sur une blogueuse parce qu’elle est belle, grosse, maigre, moche, soit considéré comme quelque chose de normal. Effectivement, on parle de sujets parfois futiles. Mais on ne mérite pas pour autant de se faire maltraiter", estime Kenza Sadoun el Galoui. 

Mélanie pense elle que les rédactions doivent se remettre en question et revoir jusqu'à leur mode de recrutement. "J’entends souvent des rédacteurs en chef dire 'On ne va pas recruter les gens en fonction de leur sexe, de leur couleur de peau…' Mais je leur réponds que c’est ce qu’ils font déjà, ils n’embauchent que des mecs blancs ! Le journalisme sera toujours un métier de réseau, mais il faut absolument publier les annonces d’emplois par exemple. Sinon l’entre soi n’en finira jamais. Il faut aussi que chacun soit pro-actif, se dise ‘Dans ma rédaction il y a 90% de personnes blanches, qu’est-ce que je peux faire pour rééquilibrer les choses ?’ Et à niveau égal poste égal, donnons la priorité à quelqu’un qui ne vient pas du même milieu, qui n’est pas nécessairement blanc, qui n’a pas la même culture !"

Maintenant, on va pouvoir avancer"
Mélanie Wanga

Maintenant qu’elles ont parlé, Kenza Sadoun el Galoui et Mélanie Wanga ont-elles peur des conséquences que cela pourrait avoir auprès de recruteurs, de marques ? "Certainement pas !", assure la première. "Je n’ai plus peur", ajoute la seconde. "Il peut arriver ce qui arrivera, je sais qu’on avait raison et que ce qu’on a vécu  n’était pas normal. J’ai l’impression d’avoir récupéré une partie de moi que j’avais laissé à cette époque-là. Maintenant on va pouvoir avancer."


Justine FAURE

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