Ma vie après... avoir dit stop aux voyages en avion

Publié le 3 juin 2019 à 17h01

Source : Sujet TF1 Info

POLLUTION - C'est un phénomène qui a vu le jour en Suède : la honte de prendre l'avion, le "flygskam". Et qui fait des petits en France, au point qu'un groupe de députés de tous bords a déposé, lundi 3 juin, une proposition de loi visant à interdire les vols intérieurs au profit du train à certaines conditions. Une proposition qu'ont devancée, et largement, deux Français, qui ont décidé d'arrêter de prendre l'avion. LCI les a rencontrés.

Julien Goguel prenait l’avion "au moins une fois par an pour partir en vacances". "Mon dernier trajet c’était il y a trois ans pour aller en Ecosse" explique-t-il à LCI depuis Bordeaux, où il habite. Puis il décide de tirer un trait sur ce moyen de transport lors d’une marche pour le climat. "J’y rencontre un ami que je n’ai pas vu depuis un moment ; il m’explique qu’il rentre de Guyane et repart dans quelques jours à La Réunion pour passer une semaine avec des amis. Je comprends tout de suite qu’il y a un problème : nous sommes en train de marcher pour le climat, et nous nous comportons comme des irresponsables", explique ce professeur des écoles, dont la motivation principale est de mettre fin à cette incohérence.

Léna Lazare, 20 ans, a eu l’habitude de prendre très souvent l’avion avec ses parents, au moins deux fois par an. "Nous restions très peu en France pour les vacances, nous partions en Europe, donc nous prenions l’avion. Nous voyagions aussi régulièrement en Amérique du Nord et j’ai fait deux échanges au Japon. Au total, j’ai dû prendre une dizaine de long-courriers dans ma vie", énumère l’étudiante en physique à Sorbonne université. Très vite, les engagements écologistes de la jeune femme, investie au sein de Youth for climate France lui font prendre conscience de l’impact de ce moyen de transport sur la nature, et elle décide d’arrêter. "Je mangeais bio, local, j’essayais de réduire au maximum mon impact carbone. Or, prendre l’avion réduisait à néant tous mes efforts du quotidien."

Ses deux derniers trajets sont une vraie souffrance. "L’avant-dernier, c’était un Paris-New York que ma maman m’avait offert pour mes 18 ans pour aller voir mon parrain outre-Atlantique. Ça m’a vraiment dégoûté comme cadeau. Je n’avais aucune envie de polluer autant pour aller voir mon parrain deux semaines", explique l’étudiante à LCI. L'agence européenne de l’environnement a calculé que, sur un kilomètre parcouru en avion, un passager émet 285 grammes de CO2, contre 158 en voiture et 14 en train. Son dernier trajet est un Paris-Téhéran, l’été dernier, pour rendre visite à son petit ami. "J’avais prévu d’y aller en voilier et en train, mais l’ami qui devait faire le voyage avec moi a cassé le moteur de son bateau, et je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre l’avion. J’ai succombé à des arguments émotionnels mais maintenant, ça me paraît vraiment impensable de refaire ce que j’ai fait cet été."

Partir près de chez soi ou prendre son temps

Depuis qu’il a pris cette décision, Julien Goguel, auteur d’une pétition en ligne pour ne plus prendre l’avion déjà signée par plus de 1500 personnes intitulée "Stay on the ground" ("Rester au sol" en français), n’est jamais vraiment parti très loin de l’Aquitaine. "Ces trois dernières années je n’ai pas voyagé loin. Mais partir une semaine à vélo près de chez soi avec une tente, ce sont de super vacances", assure-t-il . Actuellement, il planifie un futur voyage qu’il effectuerait avec ses trois enfants. Et il l’admet, c’est "forcément plus dur et plus cher à organiser". "J’ai regardé quelques destinations. Par exemple pour aller à Lisbonne, un train de nuit part de Hendaye, mais de Bordeaux, il faut donc d’abord que j’aille à Hendaye. Alors que des Bordeaux-Lisbonne, des compagnies low-cost en proposent à des prix dérisoires. Mais voilà tout le dilemme de notre monde actuel."

Léna Lazare a elle déjà un peu plus d’expérience dans l’organisation des longs voyages sans avion. "Je suis actuellement en année de césure et mon but est d’aller dans des fermes écologiques un peu partout en Europe. J’ai déjà fait des déplacements en France, mais aussi en Italie et en Finlande. L’Italie est assez accessible en train de nuit et en trains régionaux et ça ne coûte pas très cher. La Finlande, ça a été plus compliqué ! J’ai pris le train jusqu’à Stockholm avec de nombreux changements et en enchaînant les trains régionaux allemands. A Stockholm j’ai pris le ferry, pour une traversée de 12 heures. J’ai mis trois jours, mais j’ai pris mon temps et j’en ai profité pour faire des haltes. En planifiant à l’avance, ça m’a coûté moins cher que l’avion, une petite centaine d’euros", explique l’étudiante, qui souhaite montrer aux sceptiques que se passer de l’avion est possible, parfois plus rapide qu’imaginé, et pas toujours plus cher.

10 à 15 jours de voyage pour rejoindre le Japon

Mais son plus grand défi est à venir : dans quelques mois, elle se rendra au Japon. "Je commencerai par prendre le train jusqu’à Moscou avec le plus petit billet inter-rail européen, pour une centaine d’euros. Puis j’enchaînerai avec le Transsibérien jusqu’à Vladivostok – environ 150 euros la semaine -  avant de prendre un ferry. J’en aurai pour 10 à 15 jours", calcule l’étudiante, qui regrette toutefois que les trajets en ferry, et le Transsibérien qui roule au charbon, ne soient pas vraiment exemplaires en matière de pollution.

Consciente que se déplacer ainsi prend énormément de temps, Léna concède que, pour favoriser ces déplacements, il faudrait réinventer nos modes de vie. "Nous sommes dans une société où il est difficile de vivre de manière écologique. Quand vous avez seulement cinq semaines de congés payés par an, si vous voulez aller au Japon, prendre 15 jours juste pour le trajet, c’est compliqué. Mais je pense qu’aller aux Etats-Unis ou en Asie du Sud-est devraient être des choses extrêmement rares et précieuses. C’est normal de prendre du temps. D'un point de vue philosophique, je serais pour la suppression des vols long-courrier. Et puis il faut quand même se remettre en question et réfléchir au poids de nos vacances. A Noël, des amis de ma mère sont partis une semaine à Bali pour aller dans un centre de médiation. C’est super, mais est-ce que c’était vraiment nécessaire de partir à l’autre bout du monde pour faire ça ? Des centres de retraite, il y en a plein en France. On ne prend même pas le temps de bien connaître notre pays ou l’Europe. Il n’y a pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour passer des vacances intéressantes. Il faut réapprendre à voyager au niveau local."

Pour avoir le temps de voyager à l’avenir, la jeune femme de 20 ans réfléchit sérieusement à "vivre de manière différente, à revenir à des métiers manuels et à vivre de manière plus autonome. Et dans ce cas-là, je pense que j’aurai le temps de voyager. J’adorerais faire une transat et aller en Amérique du Sud, je n’irai pas pour deux semaines mais je prendrai peut-être plusieurs mois pour y aller." 

Se rendre d’un point A à un point B quasiment instantanément (...) c’est une vision du voyage que je trouve assez triste."
Léna Lazare

Car outre leurs convictions écologiques, Julien Goguel et Léna Lazare sont tous les deux convaincus de l’importance de reprendre le temps de voyager. "Se rendre d’un point A à un point B quasiment instantanément, sans rien voir des paysages que l’on traverse, confortablement installé dans sa petite cabine à regarder des films, c’est une vision du voyage que je trouve assez triste. Le trajet fait partie du voyage, et je trouve dommage qu’on cherche à réduire le plus possible ce temps de voyage", argumente l’étudiante. "Un trajet en train est un voyage en soi, alors qu’un trajet en avion n’est qu’un déplacement" estime l’enseignant de 43 ans.

Pour contenir ce trafic aérien sans cesse plus important – l’Association du transport aérien international estime que, d’ici 2037, le nombre de passagers dans les avions pourrait doubler et atteindre plus de 8 milliards de passagers – Julien Goguel propose des mesures plutôt radicales. "Il faut s’interdire de prendre l’avion quand ça n’est pas justifié. Il peut y avoir des justifications d’ordre professionnelles ou familiales. Pour le reste, non. Du coup, c’est quelque chose qu’il faut dénoncer, pour lesquelles il faut culpabiliser, et qu’il faudrait interdire. Mais je ne suis pas naïf, personne ne va le faire." Selon une enquête nationale de la direction générale de l’Aviation civile réalisée auprès des passagers aériens en 2017, 49% des voyages sont pour des vacances ou des loisirs, contre 28% pour des motifs professionnels et 22% des motifs privés (visite à des amis, de la famille).

Interdire les petit et moyen-courrier

Léna Lazare abonde : "il faudrait qu’il y ait une réglementation, une taxe du kérosène. Je pense qu’il faudrait interdire les vols intra nationaux, voire intra européens et redévelopper les trains de nuit". En Allemagne ces dernières semaines, le député écologique Dieter Janecek a proposé de limiter à trois le nombre d’allers-retours en avion par an et par personne. En  mars 2019, des députés néerlandais voulaient voter l'abandon des lignes aériennes entre Bruxelles et Amsterdam, distantes de 200 km.

Depuis 2013, les émissions de CO2 ont augmenté de 26,3% pour le transport aérien dans son ensemble. Et selon les estimations, le trafic aérien représenterait environ 3% des émissions de gaz à effet de serre mondiales, l’équivalent des émissions d’un pays comme l’Allemagne. 


Justine FAURE

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