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Maîtrise technologique, combustibles, déchets... Le vrai du faux autour des réacteurs nucléaires de 4e génération

Publié le 14 octobre 2022 à 16h04
JT Perso
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Source : JT 20h WE

La relance des programmes de développement du nucléaire civil en France suscitent toujours des tensions.
Aux opposants qui ne souhaitent pas de nouvelles centrales, les défenseurs du nucléaire mettent souvent en avant les réacteurs de 4e génération.
Les Vérificateurs font le point sur les arguments présentés pour les défendre avec une experte de la question.

En février dernier, lors d'un déplacement à Belfort, Emmanuel Macron expliquait qu'il avait demandé à EDF de travailler à la construction de six réacteurs nucléaires de nouvelle génération EPR2, avec en ligne de mire une première mise en service aux alentours de 2035. Une "renaissance du nucléaire civil français", selon ses mots, qui divise une partie de l'opinion et de la classe politique.

Dans ce contexte, on entend régulièrement parler d'un "nucléaire du futur", incarné par les réacteurs dits de 4e génération. Leurs vertus sont vantées par les défenseurs du nucléaire et opposés aux arguments des "anti". Parmi les arguments avancés, on peut citer les ressources en combustible dont disposerait la France, permettant une indépendance de plusieurs milliers d'années sur le papier, mais aussi la réduction des volumes de déchets radioactifs. Ces réacteurs d'un nouveau genre combinent-ils vraiment les avantages du nucléaire actuel tout en gommant ses défauts ? Pour le savoir, TF1info a sollicité institutions et experts du sujet.

De quoi parle-t-on lorsque l'on évoque des "réacteurs de 4e génération" ?

Aujourd'hui en France, les centrales nucléaires en activité se basent sur des réacteurs à eau pressurisée (ou REP). Les réacteurs de 4e génération, quant à eux, recouvrent plusieurs technologies. Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) souligne que "le bénéfice" de ces réacteurs "de grande taille est scientifiquement bien documenté : il s’agit de s’affranchir à terme de l’uranium naturel". Parmi les pistes explorées, on note celle des "RNR" généralement mise en avant : un acronyme qui signifie "réacteurs à neutrons rapides". S'il serait trop long de lister toutes les différences avec les réacteurs aujourd'hui actifs, il faut noter que les REP et les RNR ne nécessitent pas tout à fait le même combustible pour fonctionner. 

Si de l'uranium est à chaque fois nécessaire, un isotope différent est requis. Alors qu'il constitue moins de 1% des ressources mondiales, l'isotope 235 est celui employé à l'heure actuelle. Pour la 4e génération, c'est l'isotope 238 qui serait utilisé (une fois transformé en plutonium) : un point clé puisque celui-ci est bien plus répandu. 

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Le terme de 4e génération laisse entendre que ces réacteurs sont ceux du futur. Un point à nuancer : en France, trois réacteurs RNR ont été développés et exploités à des fins de recherche. Rapsodie entre 1967 et 1983, Phénix de 1973 à 2010 et Superphénix de 1986 à 1996. "Dès le début de l’invention de la filière nucléaire française, on constatait la mise en place d'une stratégie industrielle de long terme", fait remarquer Emmanuelle Galichet, docteure en physique nucléaire et maîtresse de conférences au Conservatoire national des Arts et Métiers (Cnam). "On faisait déjà attention à la durabilité des matières premières à la réduction des déchets produits. Le choix a été fait d'opter pour les réacteurs actuels à eau pressurisée, ils étaient non seulement plus faciles à maîtriser, mais aussi utiles puisque source de production de plutonium. De quoi alimenter les réacteurs de 4e génération, qui devaient prendre le relais". Pourquoi ces derniers n'ont-ils pas été adoptés, alors même que la recherche planchait sur leur développement ? Plusieurs éléments sont avancés : "Il s'agit en partie de choix politiques et industriels", glisse l'experte du Cnam, rappelant que l'arrêt de Superphénix coïncide avec l'arrivée au pouvoir de la gauche plurielle et parmi eux des écologistes, opposés au nucléaire.

Dans le même temps, "il y a 20-30 ans, les besoins en énergie étaient réduits, car la France avait subi une forte désindustrialisation", rappelle Emmanuelle Galichet. "La courbe de demande en électricité chutait." Dans l'Hexagone, un parc nucléaire civil important était alors déjà actif, avec les réacteurs toujours en fonctionnement aujourd'hui, et aucune construction de 4e génération n'a eu lieu depuis. Ailleurs dans le monde, mentionnons que des pays conservent des réacteurs de 4e génération à des fins de recherche, et que la Chine ou la Russie en exploitent pour produire de l'énergie de manière industrielle.

Moins de déchets avec les réacteurs de 4e génération ?

Parmi les arguments relayés pour faire la promotion des réacteurs de 4e génération, la question des déchets est régulièrement brandie. En ce qui concerne les déchets faiblement radioactifs, peu de changements seraient à prévoir : blouses, gants, outils... Le matériel utilisé par les ouvriers des centrales et qui font aujourd'hui l'objet d'un stockage sur des sites spécifiques, serait semblable et dans des volumes comparables.

En ce qui concerne les déchets les plus radioactifs, en revanche, des avancées sont promises. Les réacteurs de 4e génération "pourraient offrir la possibilité de transformer les actinides mineurs tels que l’américium, déchets de haute activité à vie longue, en éléments à vie plus courte", avance le CEA. "Cette transformation, appelée transmutation, permettrait de réduire l’émission de chaleur et la radiotoxicité intrinsèque à long terme des déchets ultimes", un point positif, même si cela ne "permettrait pas de s’affranchir d’un stockage géologique profond nécessaire pour la gestion des produits de fission et des déchets de Moyenne Activité à Vie Longue".

Une indépendance renforcée au niveau des matières premières ?

Des ingénieurs soulignaient récemment que les réacteurs de 4e génération pourraient fonctionner plusieurs milliers d'années avec les seules ressources en combustibles dont dispose aujourd'hui la France. Là encore, c'est vrai : on l'explique par le recours à l'isotope 238 de l'uranium que l'on nomme parfois "uranium appauvri".

Contrairement au 235, qui est issu du sous-sol et via l'extraction minière, le 238 est très largement disponible. Il a été mis de côté par les industriels du nucléaire en tant que sous-produit du processus d’enrichissement de l’uranium 235. "Avec l’uranium appauvri présent sur le territoire français issu des opérations d’enrichissement, les systèmes de quatrième génération à neutrons rapides pourraient fonctionner pendant plusieurs milliers d’années. Sans recourir de façon significative à des compléments en uranium naturel", assure le CEA à TF1info. Si aujourd'hui, la France n'a aucun problème d'approvisionnement en uranium 235 et bénéficie de réseaux très diversifiés pour subvenir à ses besoins, elle deviendrait totalement autonome avec l'uranium 238 nécessaire aux réacteurs de 4e génération.

Des réacteurs de 4e génération développés dans un avenir proche ?

Mais les réacteurs de 4e génération ne sont pas forcément synonymes de futur. Le CEA explique qu'il "continue les recherches pour affiner le design et le modèle économique de ces réacteurs et étudie désormais différents concepts", tout en ajoutant que "compte tenu des coûts de l’uranium, relativement faibles, la filière nucléaire a fait le choix de ne pas développer un démonstrateur industriel avant la seconde moitié du siècle". Un prototype de réacteur de 4e génération développé par le CEA et nommé Astrid a d'ailleurs été abandonné début 2019. Un manque d'appui politique a été avancé, tandis que le CEA évoquait "la perspective d'un développement industriel des réacteurs de 4e génération" n'étant dorénavant "plus envisagée avant la 2e moitié de ce siècle"

L'experte du Cnam Emmanuelle Galichet souligne aussi la persistance de "quelques verrous technologiques, en matière de sûreté par exemple, et un coût potentiellement plus élevé que pour les réacteurs actuels". Surtout, elle met en avant ce qu'elle décrit aujourd’hui comme "un manque de compétences" en France. Depuis plus de 20 ans, il n'existe plus de réacteur de 4e génération en fonctionnement dans l'Hexagone, suite à la fermeture de Superphénix. Le savoir-faire et les connaissances acquises "se sont en partie délités alors que les experts du CEA partaient à la retraite". S'il fallait à l'avenir opter pour des réacteurs de 4e génération, il faudra automatiquement en passer par la réalisation de nouveaux prototypes, de manière à éprouver cette technologie et à obtenir l'aval des autorités en charge de la sûreté nucléaire. Cela rallongerait de manière considérable les coûts. Resterait l'option de se tourner vers les Russes ou les Chinois, qui exploitent des réacteurs de 4e génération, mais cela constituerait une forme de camouflet pour une France qui a fait partie des pionniers dans l'histoire du nucléaire civil. 

En résumé, il est peu probable de voir se construire dans un futur proche des réacteurs de 4e génération, "a fortiori tant que le prix de l’uranium restera bas", estime Emmanuelle Galichet. La spécialiste met toutefois en garde : "On peut imaginer que le recours à l’énergie nucléaire va augmenter dans le monde à l'avenir, plébiscité notamment pour ses émissions de gaz à effet de serre très réduites". Dès lors, "les ressources minières pourraient se raréfier et conduire à des hausses de prix" rendant les technologies actuelles moins attractives. "Ce sont des paris de long terme", juge la représentante du Cnam. Le CEA, pour le futur, ne ferme aucune porte, mais tient aussi à rappeler que les centrales actuelles ne sont pas encore en fin de vie. Il prend en exemple celles aux États-Unis, basées sur une technologie identique et dont la durée d'exploitation est fixée à 80 ans.

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Thomas DESZPOT

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