Depuis trois ans, Marie Thouvenin accueille chez elle des élèves chiens d’assistance pour des personnes mal et non-voyantes.Objectif : les initier à la marche en laisse, les transports en commun et leur apprendre les premiers gestes du guidage.Dans la rue, ces boules de poil impressionnent et la rassurent. La kinésiologue, enthousiaste, confie son expérience.
En France, chaque année, les élevages prédestinent 400 chiots à devenir guide. D’après la Fédération française des associations de chiens guides d’aveugles, 220 réussissent l’examen final entre 18 et 24 mois plus tard pour bénéficier à des personnes déficientes visuelles. Pendant ce lapse de temps, environ 500 familles d'accueil bénévoles pré-éduquent des chiots ou les gardent le week-end. Ces familles, avec ou sans enfants, en milieu urbain ou rural, en appartement ou en maison, offrent chacune diverses conditions de vie que les chiens retrouveront forcément avec leur futur maître. Objectif : se déplacer, rencontrer du monde, leur apporter les rudiments de l’obéissance et de la propreté et découvrir un maximum d’environnements (transports, cinéma, forêt, commerces, etc.).
Marie Thouvenin, kinésiologue dans le nord de Paris, accompagne son troisième chien. À cinq mois, Unaya marche en laisse sans tirer, prend le métro, entre dans les commerces, s’assoit au passage piéton, etc. La jeune chienne escorte sa maîtresse provisoire partout où elle doit aller. "Je trouve ça formidable de permettre à quelqu’un qui ne voit pas d’être accompagné par un chien. C’est un privilège pour moi de faire partie du maillon de la chaîne de formation", se félicite la jeune femme. Elle assure avoir toujours ressenti une sensibilité particulière pour le handicap visuel : "Je ne me l’explique pas, je n’y ai pourtant jamais été confrontée, mais je suis fascinée par les capacités de ces personnes à vivre et à marcher dans le noir."
Il y a une dizaine d’années, en allant travailler, Marie Thouvenin rencontre par hasard dans le métro une famille d’accueil avec leur futur chien guide : "Je flashe, il était trop mignon et tout excité. Je fais ma curieuse, pose plein de questions. Une vraie révélation. Je suis rentrée chez moi, j’ai fait des recherches sur Internet pour connaître les conditions pour accueillir un chien." À l’époque, la jeune infirmière ne pouvait pas l’accueillir : des horaires à rallonge à l’hôpital, un petit logement et peu de temps à consacrer. "J’ai gardé cette idée dans un coin dans ma tête et je me suis lancée dès que j’ai pu."
"Avec Unaya, nous formons un ensemble"
Quelques années plus tard, Marie Thouvenin change de métier. À son compte, avec son cabinet de chiropractie et médecine chinoise, elle s’organise comme elle veut : "J’ai monté mon dossier pour l’école des chiens guides de Paris après avoir obtenu mon diplôme de kinésiologie. Unaya est présente lorsque mes patients viennent au cabinet et je l’emmène à l’école où je suis désormais formatrice. Elle découvre plusieurs univers différents sans perdre son équilibre", décrit la jeune trentenaire.
Résultat, ses chiens l’aident à vaincre sa timidité et à s’intégrer plus facilement : "Mes chiens m’apportent énormément. Ils me permettent de faire des choses que je n’aurais pas osées dans d’autres circonstances. Ils attirent l’attention d’inconnus qui posent des questions. C’est la première fois de ma vie que je connais tous mes voisins. À l’école, Unaya facilite le premier contact avec mes étudiants. Dès que je me dirige vers la salle, je les entends dire que le chien arrive", s’amuse la formatrice. Elle ajoute, convaincue : "Les trois chiennes que j’ai eues jusqu’à présent ont changé ma vie. Avec Unaya, nous formons un ensemble qui me soulage. Je ne m’en rendais pas compte, mais je me trouve plus calme. Elle me déstresse."
Marie Thouvenin prend son rôle de famille d’accueil très à cœur : "J’ai organisé ma vie autour des besoins de mon chien. Pas question de partir sans anticiper les temps de trajet parfois plus longs, oublier ses repas ou multiplier l’attention dans les métros bondés. Mon sac à main devient plus lourd avec sa gourde d’eau, les croquettes et des jouets". La kinésiologue utilise le jeu et les récompenses pour apprendre des gestes au chien et le familiariser avec un environnement parfois hostile. "Au début, dans les escalators ou le métro, il faut les porter avant de les laisser progressivement découvrir par eux-mêmes. Pas simple, ils font une dizaine de kilos ! Les changements de texture au sol les arrêtent souvent. Les escalators leur font peur. Pour les aider, je les fais approcher. Dès que ça bloque, je sors des "pouet pouet", je les félicite avec une petite voix aigüe et j’en fais des tonnes avec des récompenses dès qu’ils arrivent à monter dessus. Il ne faut pas avoir peur d’être ridicule."
Au cinéma, dans les musées ou les TGV, Marie Thouvenin partage tout ou presque avec son chien. "Un jour, la ligne 14 du métro est tombée en panne. Nous avons dû descendre avec Unaya sur les voies pour terminer notre trajet jusqu’à la station suivante à pied", confie la jeune femme. Une situation qui ne l’a pas inquiétée : "Les chiens en éducation appartiennent à l’école des chiens guides de Paris. Nous sommes suivis par un éducateur, joignable 7 jours sur 7, qui me donne des consignes si je me retrouve en difficulté sur un apprentissage. Nous ne sommes pas seuls, nous rencontrons également d’autres maîtres de chiens à l’école et nous nous donnons des conseils."
Maman de substitution
De la complicité, de la tendresse, des loisirs et un rythme réglé comme du papier à musique. La vie de Marie Thouvenin ressemble à celle d’une maman. La trentenaire n’a pourtant pas d’enfant. Elle admet faire de sa chienne une forme de compensation : "La majorité de mes copines en couple ont des enfants. Elles se retrouvent très prises dans leur quotidien, mais avec Unaya, je suis également très prise dans le mien : elles les emmènent en centre de loisir, je l’emmène à l’école des chiens guides une fois tous les 15 jours ; elles vont au judo, je vais en forêt la détendre…" Marie Thouvenin a l’impression de vivre un rôle de maman de substitution : "Les premières semaines, on s’inquiète lorsqu’ils ne sont pas en forme, que leurs selles ne sont pas normales ou qu’un chien leur aboie un peu fort dessus. Je prends du plaisir à les rassurer."
Le chien modifie surtout la stature de Marie Thouvenin dans les lieux publics. Le soir, dans la rue, la jeune femme se sentait parfois épiée. "Avec eux, je me sens en sécurité. Ils dissuadent les inconnus de venir m’embêter. Ils ne m’abordent que pour me parler de mon chien et pour me poser des questions sur l’éducation. Je me sens plus sereine." À la fin de l’éducation, les familles d’accueil doivent pourtant laisser partir le chien en apprentissage. "Il faut bien qu’ils prennent leur envol", commente la jeune femme.