Marseille : six mois après les effondrements rue d'Aubagne, combien y a-t-il de relogés ?

par Mathilde ROCHE
Publié le 4 mai 2019 à 16h36, mis à jour le 4 mai 2019 à 17h22
Marseille : six mois après les effondrements rue d'Aubagne, combien y a-t-il de relogés  ?
Source : GERARD JULIEN / AFP

LOGEMENT - Marseille peine à régler sa crise du "logement indigne" six mois après les effondrements de la rue d'Aubagne. Depuis le drame du 5 novembre, 311 immeubles ont été évacués et 2558 personnes ont dû quitter leur logement. Mais selon des acteurs locaux, le chiffre des "délogés" pourrait être en deçà de la réalité. Plusieurs centaines n'ont toujours pas trouvé de solution de relogement.

Six mois ont passé depuis la catastrophe de la rue d'Aubagne, où l'effondrement de deux immeubles a provoqué la mort de huit personnes le 5 novembre. Depuis, des centaines d'immeubles insalubres ont été évacués en urgence. Certains à cause de leur proximité directe avec l'incident, mais pas seulement : des contrôles accrus sur les bâtiments menaçants ont révélé la gravité de la situation dans tout Marseille. 

Le difficile recensement des délogés

Les services d'accueil de la mairie ont été pris d'assaut dans les semaines suivant le 5 novembre. Fin avril, ils avaient reçu plus de 1 700 signalements d'immeubles suspects, souvent envoyés par les habitants eux-mêmes, craignant pour leur sécurité. Dans l'urgence, les services de la ville ont fait évacuer des immeubles "par mesure de précaution", avant de faire réaliser les diagnostics. "Pendant de longs mois, la mairie était débordée et n'arrivait pas à suivre", estime Florent Houdmon, directeur de l'agence PACA de la Fondation Abbé Pierre. "Ils envoyaient les gens vers l'hôtel sans faire de recensement des personnes évacuées", ajoute-t-il. Les délogés, livrés à eux-mêmes, devaient ensuite se signaler aux services de la ville. "Or certains habitants étaient des sans-papiers qui n'ont pas pris ce risque et se sont évaporés. Les chiffres sont donc probablement en-deça de la réalité", regrette Florent Houdmon. Heureusement, selon lui, "depuis quelques semaines, la mairie a repris le contrôle de la situation : ils font de véritables suivis, et ils relogent ou réintègrent rapidement les gens."

Si la cacophonie des premiers mois n'a pas aidé à tenir un registre clair, la propagation des évacuations hors du quartier de Noailles et le vent d'inquiétude qui souffle toujours sur la ville rend l'exercice encore plus difficile. Ces signalements ont mis en lumière l'état de dégradation avancé des immeubles marseillais, surtout dans les trois premiers arrondissements de la ville, les plus anciens. Des arrêtés de péril sont déposés les uns après les autres et encore aujourd'hui, "il ne se passe pas une semaine sans une évacuation", assure Florent Houdmon. "Cela bouge en permanence, donc passé 15 jours, les chiffres sont obsolètes". 

603 personnes toujours à l'hôtel

Julien Ruas, adjoint au maire de Marseille à la prévention et gestion des risques urbains, est en charge du dossier depuis le drame. Il nous a communiqué les données les plus récentes : au 2 mai, la ville dénombre 311 immeubles évacués et 2558 délogés. Parmi eux, 1080 personnes se sont vu proposer un nouveau logement, en majorité par des bailleurs sociaux.

603 personnes sont encore logées à l'hôtel. Une situation difficile. Depuis le 1er avril, leurs repas ne sont plus pris en charge par la ville, alors qu'ils n'ont pas la possibilité de cuisiner dans leur chambre. Les membres du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) ont été chargés d'émettre un rapport sur la situation. Suite à leur enquête de terrain fin mars, ils écrivent dans une lettre au Premier ministre avoir "constaté le sentiment d'abandon face à la situation d'urgence sociale des délogé.e.s, des citoyen.ne.s et des collectifs accompagnant les sinistré.e.s".

Le 27 et 28 mars, le Haut comité avait recensé 1216 délogés à l'hôtel, soit 600 de plus que début mai. Indiquant que la mairie ait en effet accéléré les procédures pour proposer une solution à ces personnes. Notamment grâce à la mise en place d'un système de relogement géré par un opérateur indépendant, mandaté par la ville de Marseille, comme le détaille l'élue Arlette Fructus sur le site de FranceInfo le 30 avril.

Des habitants réintégrés dans des logements insalubres

Sauf que la pénurie de logements disponibles se fait sentir et que la solution privilégiée est de les faire réintégrer leur logement. Sur les 311 immeubles évacués, 122 immeubles ont déjà été réinvestis par leurs 900 habitants. Pour Florent Houdmon, c'est souvent un problème. "Les menaces d'effondrement ne sont qu'une petite partie du phénomène du logement indigne. A Marseille 100 000 personnes vivent dans des taudis". Pas d'eau courante, pas de chauffage, humidité, même lorsqu'ils tiennent encore debout, les vieux immeubles Marseillais ne sont pas tous habitables. Or selon le représentant de la Fondation Abbé Pierre, quand un immeuble est signalé, la priorité est de faire des travaux pour consolider, sans vérifier l'état de salubrité. "Des gens sont réintégrés dans leur logement car leur immeuble ne menace plus de s'effondrer, mais personne n'a vérifié l'état de leur habitat. A leur retour, plusieurs mois après leur départ précipité, tout s'est empiré : il y a de la moisissure partout, des rats ont envahi le bâtiment, etc".

La raison ? Un dysfonctionnement de longue date dans l'administration Marseillaise. Un service de la ville traite les périls, et un autre traite les problèmes d'hygiène. "Ces deux services sont indépendants et se coordonnent très mal", assure Florent Houdmon. "Après l'accident rue d'Aubagne, il a été annoncé qu'ils allaient fusionner sous une direction commune, avec un renfort de moyens fourni par la Métropole. Six mois plus tard, ce n'est toujours pas fait."

Selon l'adjoint au maire Julien Ruas, "c'est en discussion, il faut que les administrations se mettent d'accord, cela prend du temps. Le conseil municipal et le conseil métropolitain doivent encore délibérer". Le sujet devrait ainsi être abordé et voté au conseil municipal du mois de juin. M. Ruas admet néanmoins que "sur ce point, la loi est imparfaite : elle ne prévoit pas que les gens soient relogés en cas d’insalubrité si le logement a été signalé dans le cadre d’une procédure d’insécurité". 

Une pénurie de logement qui s'aggrave

"La véritable inquiétude c'est que désormais, tous les logements disponibles sont réquisitionnés en priorité pour régler cette crise d'immeubles en péril, alors que des familles à la rue restent en attente de logement", explique Florent Houdmon. Il craint que cette crise du logement ne soit critique pour les plus démunis. Si les délogés des immeubles en péril sont relogés en priorité, la pénurie de logements vacants va aller en s'aggravant : les personnes précaires et sans domiciles pourraient par conséquent être plus nombreuses sur le territoire. Les associations s'inquiètent, à l'image de M. Houdmon : "La trêve hivernale est finie, bientôt nous devrons gérer les personnes expulsées et il y aura encore moins de solutions qu'avant pour reloger ces personnes là".

Pour tenter d'endiguer la crise, Edouard Philippe, présent à Marseille le 12 avril, a cosigné avec la métropole et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) une convention de 117 millions d'euros pour "la rénovation urbaine et la réhabilitation de l'habitat dégradé". Cette aide vient gonfler les 240 millions d'euros promis par l'Etat fin janvier via l'ANAH (Agence nationale de l'habitat) pour des "travaux de réhabilitation d'urgence" de l'habitat à Marseille.


Mathilde ROCHE

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