"Massacre des femmes à but lucratif" : le Haut Conseil à l'Égalité dénonce l'industrie de la "pornocriminalité"

par M.L avec AFP
Publié le 27 septembre 2023 à 11h04

Source : JT 20h Semaine

Dans un nouveau rapport accablant sur la pornographie, le Haut Conseil à l'Égalité fustige de nombreuses pratiques "illégales" de "torture" et de "barbarie" dans ces productions.
Ces travaux, remis ce mercredi au gouvernement, recensent "1,4 million de vidéos avec des pratiques sadiques" à l'égard de femmes sur quatre plateformes.
L'institution dénonce des souffrances banalisées voire "érotisées" et appelle à "mettre fin à l'impunité" du milieu.

"Notre objectif est de choquer les consciences" : le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes dénonce des actes "illégaux" de "torture" commis dans la "pornocriminalité", dans un rapport choc aux termes crus remis mercredi au gouvernement, qu'il appelle à agir contre un "système de massacre des femmes à but lucratif". Ces travaux, fruit de plus d'un an et demi de travail, livrent un constat effarant : "90% des contenus pornographiques présentent des actes non simulés de violences physiques, sexuelles ou verbales envers les femmes", pointe dans un communiqué cette instance consultative indépendante, placée auprès de la Première ministre. 

Parmi tous ces contenus, nombre d'entre eux répondent "à la définition juridique d'actes de torture et de barbarie" et vont à l'encore du droit français et international. L'institution dénonce plus largement "un véritable système d’exploitation sexuelle à l’échelle industrielle" qui "prospère sur la haine et la violence misogyne, dans l’indifférence générale et l’impunité la plus totale"

Ce n'est pas la première fois que le HCE tire la sonnette d'alarme, après avoir déjà alerté en juin dernier sur la multiplication de vidéos pornographiques diffusant des actes répréhensibles pénalement. Mais cette fois, "notre objectif est de choquer les consciences en décrivant crûment les pratiques de torture qui sont monnaie courante dans l'industrie pornographique", explique à l'AFP Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE, fustigeant des pratiques qui "tombent sous le coup de code pénal".

"Ce n'est pas du cinéma, ces actes ne sont pas simulés"

L'institution, qui a mené une étude sur les quatre principales plateformes pornographiques (Pornhub, XVideos, Xnxx, Xhamster), cite plusieurs pratiques violentes à l'égard des femmes, dans des vidéos intitulées par exemple "triple anal", "prolapse" ("extériorisation des organes internes dus à un anus ou vagin détruit pas des pénétrations brutales") ou "gangbang" ("plusieurs hommes pénètrent simultanément une femme dans plusieurs orifices"). "On compte 1,4 million de vidéos avec des pratiques sadiques : "choking (étranglement), bukkake (des dizaines d'hommes pénètrent une femme puis éjaculent sur elle), gangbang, gagging (étouffement par fellation profonde), torture, électrocution, surprise", ce qui "correspond à un viol" dans ce dernier cas, énumère le HCE. 

"Ce n'est pas du cinéma, ces actes ne sont pas simulés, ils sont réels", insiste Sylvie Pierre-Brossolette, estimant que les contrats signés par les actrices sont "illégaux" et "servent à réduire ces femmes au silence". "La souffrance est souvent parfaitement visible et en même temps érotisée", banalisée et érigée en modèle, dénonce aussi l'institution dans son communiqué. "Ce massacre à but lucratif doit cesser, les femmes et la société doivent être protégées", appelle-t-elle, disant "attendre une réponse forte du gouvernement mercredi".

C'est une école des violences sexuelles : 42% des garçons exposés au porno pensent que les filles apprécient les agressions physiques dans leurs relations sexuelles
Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE

Le HCE rappelle à ce sujet que plusieurs procédures judiciaires sont en cours, des dizaines de producteurs étant mis en examen pour "viols en réunion", "traite aggravée d'êtres humains", "proxénétisme aggravé" et même "viol avec acte de torture et de barbarie". Fin août, un procès a par exemple été ordonné pour 17 hommes accusés de viols aggravés sur des dizaines de femmes lors de tournages pour la plateforme pornographique French Bukkake.

L'instance s'inquiète en particulier de l'effet de ces diffusions auprès des plus jeunes, qu'elle appelle à "protéger". Selon l'Arcom, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, la moitié des garçons de 12 ans se rendent chaque mois sur ces sites. "C'est une école des violences sexuelles : 42% des garçons exposés au porno pensent que les filles apprécient les agressions physiques dans leurs relations sexuelles", alerte la présidente du HCE. 

Des vidéos signalées mais jamais retirées

Pour tenter d'enrayer le fléau, le HCE émet dans son rapport plusieurs recommandations pour faire appliquer "les principes du droit existant" le plus efficacement possible. Il demande de poursuivre devant les tribunaux les producteurs et diffuseurs de ces contenus, "contraires au code pénal", et pour agir plus vite, il propose une nouvelle loi qui autoriserait Pharos, la plateforme de ministère de l'Intérieur de signalement des contenus illicites sur Internet, à faire retirer les séquences de violences et de torture de la pornographie. 

Dans le cadre d'un test inédit de la plateforme, le HCE a constaté que ces retraits ne sont pour l'heure pas effectifs : il affirme lui avoir adressé en juin 35 séquences illicites et pédopornographiques, mais aucune d'entre elles n'a été retirée depuis. "Nous ne demandons pas l'interdiction du porno, mais de lutter contre ces séquences illégales, de plus en plus présentes et violentes", martèle la présidente de l'institution.

Celle-ci souhaite également donner à l'Arcom le pouvoir de bloquer les sites qui ne mettent pas en place un contrôle effectif de l'âge des internautes, qui doivent être majeurs pour accéder à ces plateformes, comme le prévoit un projet de loi du gouvernement sur le numérique. Le HCE propose aussi d'"instaurer un droit de retrait simple et effectif de contenus à caractère sexuel à toute personne filmée qui le sollicite sans autre condition que de prouver qu’il s’agit d’elle"

Le rapport sera remis en début d'après-midi à la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Bérangère Couillard. "Des millions de vidéos en ligne mettent en scène des tortures et actes de barbarie effroyables", avait constaté la ministre dans une tribune publiée dimanche dans le Journal du Dimanche, plaidant elle aussi pour mettre en place un "droit à l'oubli", permettant aux femmes apparaissant dans ces vidéos de les faire retirer d'Internet.


M.L avec AFP

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