Peut-on manifester alors que l'état d'urgence sanitaire est déclaré ?

Publié le 3 juin 2020 à 13h32
Dans le contexte actuel, les autorités se montrent généralement opposées aux rassemblements publics, et donc aux manifestations.
Dans le contexte actuel, les autorités se montrent généralement opposées aux rassemblements publics, et donc aux manifestations. - Source : MICHEL RUBINEL / AFP

À LA LOUPE – Plusieurs milliers de personnes ont défilé il y a quelques jours à Maubeuge, imitées mardi à Paris avec un rassemblement en soutien à Adama Traoré. Pour autant, cela ne signifie pas que les manifestations sont désormais toutes autorisées. LCI fait le point.

Dans la soirée du mardi 2 juin à Paris, la police a décompté 20.000 manifestants devant le tribunal judiciaire de Paris. Une foule très dense s'y est réunie à l'appel du comité de soutien à la famille d'Adama Traoré, un rassemblement non autorisé qui a fait écho à celui qui s'est tenu le week-end dernier à Maubeuge, dans le Nord. Opposées à la suppression de 4.600 postes par Renault, plusieurs milliers de personnes avaient en effet convergé le 30 mai vers une usine du groupe automobile. 

Ces manifestations d'ampleur peuvent surprendre dans le contexte actuel : l'épidémie de Covid-19 n'est pas encore terminée et les rassemblements demeurent en théorie interdits dans l'espace public lorsqu'ils dépassent le seuil de 10 personnes. Le président du club de football de Lyon, Jean-Michel Aulas, fervent opposant à la fin de la saison, n'avait pas manqué de commenter les images du cortège nordiste : "Comment imaginer que cette manifestation d’aujourd’hui à Maubeuge est moins dangereuse que la reprise des matchs de foot et de la reprise du championnat"

Alors que l'amélioration de la situation sanitaire semble se confirmer et que les Gilets jaunes songent très sérieusement à reprendre le cours de leurs mobilisations, comment le droit de manifester peut-il s'exprimer en cette période singulière ?

À l'appréciation de la préfecture

Deux types de manifestations peuvent être observées : celles qui font l'objet d'une demande préalable en préfecture et les autres, qui n'en ont pas sollicitée. Si la procédure classique (avec une demande) est respectée, les autorités sont chargées d'évaluer leur capacité à assurer la sécurité du cortège et doivent valider le tracé retenu. Il s'agit par ailleurs de fixer une heure de début et de fin à la mobilisation, ou de permettre aux forces de l'ordre de restreindre ou interdire l'accès à certains axes routiers.

Le contexte sanitaire actuel modifie l'approche des préfectures, qui doivent prendre en compte les risques potentiels liés à l'épidémie. Le fait que les rassemblements de plus de dix personnes soient interdits dans l'espace public facilite en quelque sorte les prises de décisions, puisque la tenue d'une manifestation est contraire à cette règle et rend très compliqué le respect d'une distanciation physique. Un argument avancé à plusieurs reprises ces dernières semaines pour motiver des interdictions de manifestation.

La mobilisation de ce week-end à Maubeuge n'était pas déclarée. Puisqu'elle n'a pas été sollicitée de façon officielle au préalable, la préfecture n'a pas pu se prononcer sur sa tenue. La Voix du Nord souligne dans ses colonnes que "si la manifestation n’a fait l’objet d’aucune déclaration officielle, un accord tacite a tout de même été donné aux organisateurs contre la promesse que tout le monde porterait un masque".

À Paris non plus, la manifestation de soutien à Adama Traoré n'a pas fait l'objet d'une déclaration préalable. La préfecture de police a rappelé dans le courant de la journée qu'une telle mobilisation serait interdite dans le contexte actuel, mais avait néanmoins anticipé que le rassemblement se tiendrait malgré tout, ce qui l'a conduit à mobiliser un important dispositif policier.

Réagir à défaut de pouvoir interdire

Face à une mobilisation non déclarée ou qui se tient malgré une interdiction ou une absence d'autorisation (les cas de figure rencontrés à Paris et Maubeuge) les autorités sont contraintes de réagir en pesant le pour et le contre. Faut-il disperser la foule, au risque que la situation s'envenime ? Faut-il au contraire ne pas intervenir et tenter de prévenir tout débordement ? À défaut de pouvoir empêcher une manifestation, il est fréquent que cette seconde option soit retenue. Ce fut le cas à Maubeuge, où le cortège a progressé dans le calme.

À Paris, après un début de manifestation sans incidents, la situation s'est progressivement tendue au fil de la soirée. Jusqu'à aboutir à l'utilisation de gaz lacrymogène par les forces de l'ordre afin d'essayer de disperser la foule. Des dégradations et des jets de projectiles ont en parallèle été observés de la part de certains manifestants, des débordements condamnés fermement par le ministre de l'Intérieur.

Christophe Castaner a rappelé que "les rassemblements de voie publique sont interdits", ajoutant qu'une telle décision était prise "pour protéger la santé de tous". Cette position, qui sera susceptible d'évoluer à mesure que l'épidémie va se résorber, est celle sur laquelle s'alignent actuellement les préfectures à qui sont soumises des déclarations de manifestations. Pour autant, lorsque des foules se réunissent malgré les interdictions, c'est aux autorités et aux forces de l'ordre de trancher sur l'attitude à adopter, afin de chercher à réduire le risque sanitaire et à éviter au maximum les incidents.

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Thomas DESZPOT

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