Moi, cheminot en grève (Ep. 2) : "Je m'attends à perdre la moitié de mon salaire pendant la mobilisation"

Anaïs Condomines
Publié le 11 avril 2018 à 17h50, mis à jour le 11 avril 2018 à 19h33
Moi, cheminot en grève (Ep. 2) : "Je m'attends à perdre la moitié de mon salaire pendant la mobilisation"
Source : LCI

CARNET DE BORD - Les cheminots en grève devraient attaquer leur cinquième jour de mobilisation vendredi. L'occasion pour nous de retrouver Wladimir, conducteur et syndicaliste. Ce cheminot dont nous suivons le quotidien depuis le début du mouvement, anticipe d'ores et déjà des conséquences sur l'organisation de sa vie.

Le vendredi 13 avril marquera la cinquième journée de mobilisation pour les cheminots opposés à la réforme de la SNCF. L'occasion de retrouver Wladimir, ce conducteur de train de ligne, gréviste et syndiqué à la CGT depuis 2016 que nous suivons depuis le début du mouvement. Dix jours plus tard, il répond à notre appel matinal depuis chez lui : ce mercredi, il prend son service à 16 heures. 

"Le moral ? Il est très bon le moral !, nous assure-t-il. Je suis super motivé!" C'est que Wladimir a partagé sa semaine précédente entre les assemblées générales - "on a fait un peu moins de monde qu'à la première mais c'était salle comble quand même" - la tournée des postes chez les collègues pour motiver les troupes, ou encore la manifestation parisienne sur le parvis des Invalides pour défier les parlementaires. "C'était une très bonne manifestation" estime-t-il, ravi. "Il n'y avait pas que des cheminots. On a vu aussi des collègues d'Engie, des employés de la distribution du gaz, des infirmiers, des étudiants..." De quoi alimenter son rêve de syndicaliste : "La convergence des luttes, on y travaille, en tout cas. Nos revendications ne sont pas exactement les mêmes, mais pour faire plier le gouvernement, il faut bien qu'on se concerte. Et c'est bien parti."

Des efforts sur le budget de la famille

Et "faire plier le gouvernement", cela demande une solide organisation. Wladimir, qui milite activement depuis deux ans, en sait quelque chose. Alors que cette gréve perlée, prévue pour s'étaler au total sur 36 jours, est en train de trouver son rythme de croisière, notre cheminot, marié et père de trois bambins, a enclenché le système-D. Pour se rendre à la dernière manifestation, il a trouvé un arrangement avec ses voisins, "histoire de garder les enfants après l'école jusqu'à ce que ma femme rentre du travail". Et côté porte-monnaie, Wladimir et sa famille se montrent pragmatiques.

"Le mouvement a commencé le 3 avril, donc j’aurai un premier décompte à la fin du mois" explique-t-il. "En tant que conducteur, j'ai un salaire de base et des primes si je fais des nuits à l’extérieur, ou bien en fonction des kilomètres parcourus. Donc je m’attends à perdre la moitié de mon salaire pendant la mobilisation." Une estimation qui implique une nouvelle organisation au quotidien pour Wladimir : "Dans ma famille, on ne roule pas sur l'or", ajoute celui qui, fiche de paye à l'appui, nous indique avoir gagné 2250 euros le mois dernier. En dehors des primes, son salaire de base s'élève à 1550 euros. "Comme tout le monde, on va payer l’essentiel d’abord, comme le loyer. Ensuite, on fera avec le reste…" Mais dans tous les cas, impossible de faire marche arrière : "Pour ma femme, c’est hors de question que j’aille travailler un jour de grève" ajoute, rigolard, le conducteur de trains.

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Cagnottes et marché de Trappes

Dans ce contexte, il est une cagnotte qui remonte le moral : celle, hébergée sur Leetchi, qui comptabilise à ce jour plus de 670.000 euros et qui sera reversée en intégralité aux fédérations de cheminots. "Ça nous touche, c'est sûr", indique Wladimir. "Mais au-delà de l’aspect financier, ça nous montre surtout que l’opinion publique n'est pas, comme on le montre à la télé, hostile à notre mouvement."

En plus de la cagnotte nationale, une collecte locale a été mise en place dans les Yvelines. De quoi pousser les cheminots grévistes à échanger avec les usagers. "Dès le début du mouvement, on est allé au marché de Trappes expliquer notre démarche. Les personnes nous donnent spontanément", poursuit le cheminot. Pourtant, il n'aurait pas franchement parié sur la méthode, au début : "Comme je suis beaucoup sur Twitter, je vois deux façons de penser s’opposer. J’avais un peu peur que ça dégénère en rencontrant des personnes en chair et en os. Et finalement, ça se passe très bien."

Je suis cheminot, si vous avez des questions, n'hésitez pas...
Wladimir, dans le Bordeaux-Paris

Alors voilà Wladimir passé maître ès pédagogie. "Pas plus tard qu'hier", nous raconte-t-il, "j'étais dans le Bordeaux-Paris en tant que simple usager. Et j'ai dit aux gens autour de moi : 'Je suis cheminot, si vous avez des questions, n'hésitez pas...'". La discussion s'est engagée, mouvementée mais riche. "Il y avait un peu de tout. Une personne était pour la réforme, une autre soutenait que 'la fac' était 'une usine à chômeurs' et une infirmière décrivait ses conditions de travail ..." De quoi tenir les deux heures que dure le trajet. Mais pour Wladimir, ce qui compte surtout, c'est de montrer qu'il n'est "pas là pour embêter les gens. On aime notre entreprise, on a des projets pour changer la SNCF".

En attendant, les négociations entre le gouvernement et les syndicats sont dans l'impasse. Le 6 avril dernier, ils sont sortis furieux des discussions avec le gouvernement et évoquaient un "mouvement social" risquant "de se durcir". La ministre des Transports, Elisabeth Borne, prônait quant à elle de poursuivre dans "la voie du dialogue". 


Anaïs Condomines

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