CULTES - La municipalité écologiste de Strasbourg a approuvé lundi le principe d'une subvention de 2,5 M€ pour la construction de la mosquée Eyyub Sultan, qui sera la plus grande mosquée d'Europe. Une décision dénoncée par le ministre de l'Intérieur. Derrière les porteurs de projet : une organisation pro-turque qui a refusé de signer la Charte des principes pour l'islam de France. Rappel des faits.
Ce n'est pas le premier bras-de-fer entre une municipalité écologiste et le gouvernement, mais c'est probablement l'un des plus symboliques, à l'heure de l'examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République, un dossier prioritaire pour Emmanuel Macron. La municipalité de Strasbourg, dirigée par l'écologiste Jeanne Barseghian, a voté lundi 22 mars le principe d'une subvention de 2,5 millions d'euros au profit de la construction de la mosquée Eyyub Sultan - qui deviendrait ainsi la plus grande mosquée d'Europe - en lieu et place d'une première mosquée inaugurée en 1996 dans le quartier de la Meinau. Cette décision a suscité de multiples critiques, dont principalement celles du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, qui accuse la mairie d'avoir accepté de financer un projet porté par une association islamiste étroitement liée au pouvoir politique turc.
Une subvention sous régime concordataire
Lundi 22 mars, le conseil municipal de Strasbourg a adopté une résolution portant sur le principe d'une subvention à la mosquée Eyyub Sultan, d'un montant d'environ 2,563 millions d'euros, soit 10% des coûts de la partie cultuelle du chantier, le projet global étant évalué à 32 millions d'euros. Cette participation d'une collectivité à hauteur de 10% est une possibilité permise par le régime concordataire d'Alsace-Moselle et justifiée, aux yeux de la municipalité, par une délibération-cadre relative à la création des lieux de culte, votée par la Ville le 12 avril 1999. Le projet de reconstruction, lancé en 2008, avait fait l'objet d'un premier permis de construire délivré en septembre 2014, annulé, puis d'un second permis en juin 2015. Le chantier avait démarré en 2017. Selon la presse régionale, l'association s'était toutefois retrouvée en difficulté pour réunir le montant nécessaire aux travaux.
La séquence des débats est à retrouver ici. Avant même le vote, plusieurs élus d'opposition ont pointé une série d'objections. Jean-Philippe Vetter (LR) a estimé que la municipalité créait "un précédent" en accordant une subvention pour un chantier qui est déjà en cours. "Il n'y a pas eu de demande de subvention à la base", a-t-il indiqué, "la mosquée a commencé à être construite et après, il y a eu une demande de subvention".
L'organisation Milli Görüs pointée du doigt
L'élu LR a en outre invoqué "le respect des principes", et pointé l'association Milli Görüs, porteuse du projet, qui a refusé en janvier de signer la "Charte des principes pour l'islam de France" rédigée par le Conseil français du culte musulman (CFCM), destinée à marquer le rattachement des principales organisations du culte musulman aux valeurs de la République. Le conseiller municipal LR a été rejoint sur ce point par Anne-Pernelle Richardot (PS), selon laquelle il s'agit d'une "organisation politico-religieuse inscrite dans la mouvance des Frères musulmans", en contradiction selon elle avec le respect des valeurs républicaines, dont l'égalité entre les femmes et les hommes.
Milli Görüs, organisation réputée proche du président truc Recep Tayyip Erdogan, compte 71 mosquées sur le territoire français, revendique 300 associations et plusieurs dizaines de milliers de fidèles en France.
Durant les délibérations, le conseiller municipal écologiste en charge des relations avec les cultes, a rappelé que Milli Görus était "intégrée au Conseil régional du culte musulman" (CRCM) et expliqué que son président l'avait "assuré de sa totale indépendance" à l'égard d'un pouvoir étranger. "Avoir des liens avec la Turquie, ce n'est pas forcément avoir des liens avec le gouvernement", a-t-il aussi estimé.
À l'issue des débats, la maire écologiste Jeanne Barseghian a néanmoins proposé aux élus d'intégrer, dans la délibération, la signature de la Charte des principes pour l'islam de France et des éléments de transparence financière en contrepartie de la subvention. Elle a toutefois refusé d'ajourner la délibération, comme le demandait l'opposition, invoquant "le principe d'égalité de traitement" dans l'exercice du culte. Le texte, ainsi amendé, prévoit que le versement effectif de la subvention fasse l'objet d'un autre vote.
Une polémique devenue nationale
Malgré ces précautions, l'accord donné par la municipalité écologiste à cette subvention a suscité de vives réactions au sein de l'exécutif, et tout particulièrement de la part du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui porte le projet de loi confortant le respect des principes de la République, dit "loi séparatisme". "La mairie verte de Strasbourg finance une mosquée soutenue par une fédération qui a refusé de signer la charte des principes de l'islam de France et qui défend un islam politique", a réagi le patron de la place Beauvau dans un tweet. Ajoutant : "Vivement que tout le monde ouvre les yeux et que la loi séparatisme soit bientôt votée et promulguée".
Mardi matin, Gérald Darmanin est allé plus loin, annonçant avoir demandé à la préfète de la région Grand Est et du Bas-Rhin de saisir la justice administrative de cette délibération. "Même si la loi séparatisme n'est pas encore adoptée, devant la gravité des décisions prises par la municipalité verte de Strasbourg, j'ai demandé à la préfète de déférer la délibération d'octroi de subvention devant le juge administratif", a-t-il fait valoir.
Sur l'Instagram de TF1, mardi soir, la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, s'en est prise vivement à la municipalité, jugeant que "l’argent public, les impôts des gens, n’ont pas à financer une mosquée lorsqu’elle est portée par un groupe qui refuse l’égalité entre les femmes et les hommes et qui promeut un islam politique dont les règles s’imposeraient à celles de la République".
De son côté, la maire de Strasbourg a répliqué en affirmant n'avoir "jamais été alertée" par la préfète de région "sur ce projet en particulier". "Si le gouvernement a des preuves qu'il y a des raisons de penser que financer cette mosquée, c'est financer une association islamiste, qu'il nous donne les éléments pour pouvoir agir en conséquence. Mais à ce jour, je n'ai pas été alertée par l"État, qui était présent lors de l'inauguration", a-t-elle expliqué sur LCI.
Le financement des cultes remis à plat
La polémique au sujet de la mosquée de Strasbourg s'inscrit dans les débats plus larges autour du financement des cultes, que la loi "séparatisme" veut remettre à plat en renforçant le contrôle des associations, mais aussi en encadrant les financements de pays étrangers.
Selon le journaliste Georges Malbrunot, co-auteur de Qatar Papers (Michel Lafon), interrogé à ce sujet mercredi sur LCI, "le président de Milli Görüs aura un droit de regard sur les décisions à prendre, en accord avec Ankara", dans le cas de la mosquée de Strasbourg. Gérald Darmanin a également indiqué, mercredi matin sur RMC, qu'il y a, "particulièrement à Strasbourg, des tentatives d'ingérence forte dans notre pays de la part, notamment, de la Turquie".
"Si les collectivités locales sont sollicitées par cette association, c'est parce que le gouvernement turc de M. Erdogan ne peut plus financer", a fait valoir, inversement, l'eurodéputé écologiste David Cormand, qui défendait la municipalité strasbourgeoise mercredi sur LCI. Selon ce dernier, ce type de subvention permettrait "que ce ne soient pas les gouvernements étrangers qui financent les lieux de culte".
Sur LCI, Georges Malbrunot a rappelé que la municipalité verte de Strasbourg n'est pas la première à avoir subventionné les travaux d'une mosquée dans de telles conditions, rappelant le cas du Centre Annour, inauguré en 2019 à Mulhouse, et financé pour moitié par des fonds privés du Qatar.
Découvrez le podcast de l'émission "Brunet Direct" consacré à la construction de la mosquée de Strasbourg
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Du lundi au vendredi, de 10H00 à 12H00, le présentateur prendra le temps d’analyser et de mettre en perspective les grands sujets d’actualité. Grande nouveauté de la rentrée, les téléspectateurs pourront intervenir en direct, interagir avec les invités en plateau pour livrer leurs points de vue et leur vécu.
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