INTERVIEW – Rarement une fronde citoyenne comme celle des Gilets jaunes n’aura connu un tel succès. Parti des réseaux sociaux et soutenu par la plupart des partis d’opposition, de droite comme de gauche, ce mouvement revête un caractère inédit, explique à LCI l’historien Michel Pigenet, spécialiste des mouvements sociaux.
L'expression est reprise à longueur d'intervention à la radio ou à la télévision. Le mouvement des Gilets jaunes se targue d'être totalement nouveau dans son expression et dans son ampleur, du "jamais-vu", lancent ses participants. Est-ce justifié ? A-t-on connu pareille mobilisation par le passé ? Nous avons interrogé Michel Pigenet, professeur émérite d'histoire contemporaine à l'Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, auteur notamment de "Histoire des mouvements sociaux en France de 1814 à nos jours" (éditions La Découverte).
LCI.fr : Le mouvement des Gilets jaunes, qui s’est créé en marge des syndicats et des partis politiques, est-il inédit de ce point de vue là ?
Michel Pigenet : Sous cette forme, c’est en effet inédit, je ne vois pas d’équivalent. Les réseaux sociaux en sont l’une des causes. Bien entendu, ils ont déjà été utilisés lors de précédentes mobilisations mais, à cette échelle et en dehors de toute structure identifiée, c’est nouveau. Ceci étant dit, si on remonte dans le temps, on trouve d’autres exemples d’expression d’une exaspération. La fiscalité, et notamment les impôts indirects, ainsi que la vie chère ont souvent été à l’origine de nombreux mouvements de protestation dans l’Histoire.
Au XIXe et XXe siècle – si l’on s’en tient à ces deux siècles – c’était récurrent. Et d’ailleurs, le propre de ces protestations, c’est qu’elles germent spontanément puis elles se propagent. Les informations circulent avec les moyens respectifs de l’époque, que ce soit le bouche-à-oreille ou le téléphone, par exemple. Mais à l’heure des réseaux sociaux et des chaînes info, il y a un phénomène "temps réel" et d’amplification beaucoup plus important.
LCI.fr : Faut-il voir dans ce mouvement autre chose que l’expression d’une colère liée à la hausse des prix du carburant ?
Michel Pigenet : Bien entendu. Quand on interroge les personnes présentes sur les points de rassemblement ou ceux qui, sans y être, les soutiennent, il est clair que l’essence est la goutte qui a fait déborder le vase. D’autant qu’on est sur un produit qui est déjà surtaxé. Un peu comme le vin dans la première moitié du XIXe siècle. A l’époque, on a eu une série de mouvements contestataires qui s’opposaient à des taxes relativement importantes, car le prix pouvaient parfois tripler voire quadrupler par rapport à son coût de production réel. Je ne dis pas que l’essence, c’est le vin d’hier mais on a affaire ici à un produit surtaxé qui peut plus facilement cristalliser une colère.
Fondamentalement, le mouvement des Gilets jaunes soulève la question de la justice fiscale et sociale. Les formulations et les slogans varient d’un point à un autre. Mais la suppression de l’ISF, par exemple, n’est pas passée inaperçue. L’autre question soulevée, c’est celle des corps intermédiaires. Les associations ou les organisations, qui pourraient être porteuses de ces revendications, ne sont plus écoutées. Nombre d'élus locaux éprouvent un sentiment semblable. Ajoutez à cela les échecs répétés depuis le début des années 2000 de mouvements sociaux d'ampleur, mieux structurés et encadrés, souvent soutenus par de larges secteurs de l'opinion.
Les Gilets jaunes de 2018, quand bien même ils n'ont pas défilé ou fait grève en 2010, 2016 ou 2017, sont à leur manière les continuateurs, par d'autres moyens, des manifestants des années précédentes. Ils paraissent ne plus rien attendre de corps intermédiaires méprisés. Ils les contournent. Ce n’est pas une nouveauté liée à l’élection d’Emmanuel Macron, mais indéniablement, il y a eu un coup d’accélérateur. On peut y voir là une crise des relations sociales en France.
Plus le mouvement précisera ses revendications, moins il fédérera car des clivages sociaux et politiques apparaîtront inévitablement
Michel Pigenet
LCI.fr : Ce mouvement n’a ni véritable leader, ni organisation structurée. Est-ce un atout ou un handicap pour le gouvernement ?
Michel Pigenet : Dans un premier temps, on est tenté de dire qu'il s'agit d'un atout. D’où la stratégie du pourrissement initiée par le gouvernement. Ce mouvement n’ayant pas de représentant, il ne peut y avoir de négociation et les autorités insistent sur les débordements. Sauf que, quand un mouvement est porté par une partie de l’opinion, ça peut coûter très cher électoralement.
D’autre part, cela peut aussi engendrer une radicalisation puisque, si faire des blocages le samedi ne suffit pas, certains peuvent être tentés par des actions encore plus spectaculaires. C’est un jeu dangereux. Enfin, si le mouvement était localisé ou s’il était clairement à l’initiative d’un camp politique particulier, comme l’extrême droite par exemple, il serait davantage possible de le circonscrire ou de le discréditer. Mais là, c’est beaucoup plus difficile.
LCI.fr : Comment analysez-vous le fait que presque tous les partis d’oppositions, de droite comme de gauche, plébiscitent ce mouvement ?
Michel Pigenet : Ma première réponse serait de dire que c’est de bonne guerre… Mais je ne suis pas sûr que cela soit aussi simple que ça. Pour l’instant, ce mouvement, qui n’est que dans la protestation, fédère. Mais il fédère sur quoi ? Sur la fiscalité appliquée aux carburants. Mais à partir du moment où l’on va aborder les revendications, ça va se compliquer. On évoque parfois le poujadisme quand on parle des Gilets jaunes. A l’époque, ce mouvement naît d’une protestation fiscale de la part de commerçants et d’artisans et il rassemble assez largement.
Au départ, Pierre Poujade bénéficie du soutien des communistes, qui sont à l’époque très influents. Mais dès qu’il va élaborer un programme très marqué à droite, voire à l’extrême droite, et dans lequel il oppose indépendants et salariés, le compagnonnage avec les communistes va cesser. Si tout le monde est globalement d’accord pour baisser les taxes, les alternatives, elles, ne feront pas consensus. Certains voudront les remplacer par d’autres impôts, directs par exemples ; d’autres plaideront pour une baisse des dépenses de l’Etat. Bref, plus le mouvement précisera ses revendications, moins il fédérera car des clivages sociaux et politiques apparaîtront inévitablement.
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