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Interview

Murielle Guilbert : "Dans les syndicats, de plus en plus de femmes prennent des responsabilités"

Publié le 4 avril 2023 à 16h02
JT Perso

Source : Sujet TF1 Info

Sophie Binet vient d’être élue secrétaire générale de la CGT.
Murielle Guilbert, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires, s’en réjouit.
Elle revient pour TF1 INFO sur son parcours et la place des femmes dans les syndicats.

Le 10 décembre dernier, l’intersyndicale se réunit à la Bourse du travail pour lutter ensemble contre la loi sur les retraites. L’Agence France Presse relaie alors une photo des numéros 1 des huit organisations syndicales présentes. Au milieu de 7 hommes, Murielle Guilbert. La co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires décide de partager la photo et publie, sur le site du journal Libération, une tribune en forme de "coup de gueule" : "Je ne veux plus être la seule femme sur la photo !". Beaucoup de sympathisants la remercient et d’autres s’étonnent : "C’est encore fou qu’une telle représentation soit si peu féminisée."

Trois mois plus tard, les délégués de la CGT élisent Sophie Binet, secrétaire générale de leur mouvement. Un aboutissement pour la deuxième centrale syndicale française qui fait de la parité une priorité depuis 1999. Cécile Guillaume, maîtresse de conférences à l’université de Surrey, avertit néanmoins dans son livre "Syndiquées : défendre les intérêts des femmes au travail" : "Les femmes restent confrontées à de nombreux blocages qui les empêchent d’exercer des responsabilités syndicales. Il faut qu’elles soient repérées, aient du réseau et que leurs familles leur permettent de se rendre disponibles, ce qui en fait des perles rares".

Murielle Guilbert voit dans l’élection de Sophie Binet un signe très fort. L’inspectrice des Finances publiques espère que cette promotion donnera un élan supplémentaire à la féminisation syndicale.

Nous franchissons une barrière psychologique importante qui va obliger les syndicats à promouvoir des femmes.

Murielle Guilbert, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires

Que vous inspire l’élection de Sophie Binet secrétaire générale de la CGT ?

Murielle Guilbert : C’est un signe très fort pour la CGT qui n’avait jamais élu de femme à ce poste. Nous franchissons une barrière psychologique importante qui va obliger les syndicats à promouvoir des femmes. Sophie a mené un gros travail sur la commission femme mixité dans son syndicat. Cette mission permet de favoriser les élections locales de militantes et va leur donner confiance. Aujourd’hui, les syndicats en forment beaucoup à très haut niveau qui peuvent assumer de grandes responsabilités. Maintenant, les syndicats qui ne respectent pas la parité n’auront plus d’excuses.

Concrètement, où en est la représentativité des femmes dans les syndicats aujourd’hui ?

M.G. : La loi Rebsamen relative au dialogue social et à l’emploi d’août 2015 oblige les syndicats à représenter de manière équilibrée femmes et hommes. Désormais, les listes de candidats aux élections professionnelles doivent refléter la proportion de femmes et d’hommes travaillant dans l’entreprise. Cette mesure a poussé les syndicats à fournir des efforts pour trouver des militantes et féminiser les services d’ordre, par exemple, qui ne comptaient auparavant que des hommes. Nous voyons de plus en plus de femmes dans les groupes de travail. Beaucoup ont vécu cette mesure comme une manière du patronat de complexifier la représentation syndicale. Elle a juste permis de prendre conscience qu’il fallait représenter les travailleurs de manière paritaire. Il ne suffit plus de combattre l’égalité salariale, mais il faut aussi s’attaquer aux violences sexistes et sexuelles et aux situations qui favorisent la précarité des femmes.

Dans les syndicats, personne n’empêche les femmes de travailler, mais on vous fait comprendre que c’est accessoire.

Murielle Guilbert, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires

Pourtant, vous étiez jusqu’à présent la seule à diriger une des 8 principales centrales syndicales…

M.G. : Comme toutes les autres organisations de la société, beaucoup de chausse-trapes et réflexes patriarcaux empêchent encore les femmes de prendre des responsabilités. Lorsque j’ai demandé ma mutation à Paris, mon directeur considérait que ma candidature ne correspondait pas au poste visé. J’ai demandé de l’aide au syndicat Solidaires et j’ai accepté en échange de figurer sur leurs listes. Plus tard, je me suis aperçu en revenant de congé maternité que je n’avais plus la même rémunération que mon collègue du bureau d’en face. Ce combat de l’égalité salariale m’a marqué et j’ai instauré dans mon syndicat des Finances publiques des commissions femmes pour progresser sur ces questions.

Dans les syndicats, personne n’empêche les femmes de travailler, mais on vous fait comprendre que c’est accessoire. Voir des hommes qui s’arrogent des pouvoirs décisionnels et maîtrisent l’information n’a rien d’exceptionnel. Beaucoup de femmes se demandent si elles sont légitimes et culpabilisent. Certains leur font croire qu’elles ne sont pas capables de tenir un rôle directif et intransigeant.

Avez-vous été victime de violences sexistes ?

M.G. :  Des camarades m’ont dit que je présentais bien et me disaient, en me regardant dans les yeux, que j’allais permettre de faire des adhésions. Les nombreuses formations que j’ai faites sur les inégalités m’ont fait prendre conscience que toutes subissent l’humour sexiste. J’ai demandé à mes stagiaires d’écrire sur des post-it si elles avaient vécu des remarques dégradantes. En regardant le résultat qui recouvrait tout un mur, j’ai eu un choc. En réunion, des hommes vous oublient, d’autres reprennent vos idées sans vous citer. Je suis co-déléguée de Solidaires avec Simon Duteil. Pourtant, j’ai toujours l’impression que les journalistes réclament davantage l’avis de Simon. Récemment, j’ai écrit à Matignon pour participer à une réunion syndicale sur les retraites. C’est pourtant Simon qui recevait les réponses. Je protestais en expliquant qu’on était deux. Là, le cabinet du Premier ministre m’a répondu, à moi : "Monsieur, nous ne pouvons recevoir qu’une personne dans la réunion". La société attend que le chef soit un homme.

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Est-ce que vous vous sentez soutenue par votre syndicat dans ce combat ?

M.G. : Nous laissons moins passer ce genre de comportement. L’effet "me too" a également bouleversé les syndicats où les femmes étaient parfois considérées comme des objets. Nous insistons sans arrêt sur le harcèlement sexiste. De plus en plus de syndicats se portent partie civile contre les employeurs sur ces questions du harcèlement. Nous espérons créer une nouvelle norme plus saine.

Comment vous voyez l’avenir des femmes syndicalistes ?

M.G. : Je suis plutôt optimiste. De plus en plus de femmes talentueuses prennent des responsabilités dans les équipes de direction. Après mon départ de Solidaires Finances publiques, beaucoup de femmes ont pris le relais de mes combats. J’espère que l’élection de Sophie Binet amorcera une nouvelle ère.


Geoffrey LOPES

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