La naissance de trois bébés tigres blancs au zoo d'Amnéville est-elle une bonne nouvelle, comme le laisse entendre un député LR ?

Publié le 11 mars 2020 à 16h32, mis à jour le 11 mars 2020 à 18h17
Les tigres blancs n'ont pas été observés à l'état sauvage depuis plus de 60 ans.
Les tigres blancs n'ont pas été observés à l'état sauvage depuis plus de 60 ans. - Source : Ilustration par nattanan726 via iStock

À LA LOUPE – Julien Aubert, élu Les Républicains du Vaucluse, a salué la récente naissance de bébés tigres blancs et taclé au passage les opposants aux zoos, chantres de la condition animale. Absent dans la nature, le tigre blanc pose pourtant des questions éthiques majeures.

Animaux fascinants, les tigres attirent de nombreux visiteurs dans les parcs et zoos qui les accueillent. Si ces félins affichent communément une couleur orangée et noire, on observe régulièrement en captivité des tigres blancs. C'est le cas au zoo d'Amnéville, qui s'est a fait part il y a quelques jours de la naissance de trois petits, à grand renfort de photos sur ses réseaux sociaux. 

Les médias ont été nombreux à relayer cette annonce, imités par le député Les Républicains (LR) du Vaucluse Julien Aubert qui a souligné la dimension "rarissime" d'une telle naissance. Il en a aussi profité pour adresser un tacle aux militants qui s'opposent au maintien d'animaux en captivité. "Dédicace à tous ceux qui pensent que les zoos sont à proscrire car ils sont les ennemis de la condition animale", a tweeté l'élu.

Si Julien Aubert n'est pas particulièrement connu pour ses prises de position en faveur de la cause animale (l'association L214 lui attribue une note de 3,2 sur 20 en la matière, basée sur son activité de député), faut-il, comme lui, se réjouir de l'arrivée de trois bébés tigres blancs au zoo d'Amnéville ? 

Une anomalie génétique

Les zoos et autres parcs animaliers mettent en avant leur travail de pédagogie et de conservation des espèces auprès du grand public. Si des programmes de préservation et réintroduction sont en effet menés, le tigre blanc possède cependant un statut particulier. De fait, il ne s'agit pas d'une espèce propre qui serait en danger. Bien que les tigres, tous types confondus, soient largement menacés dans le monde, ces félins à la robe blanche ne s'observent presque jamais à l'état naturel. 

Et pour cause : les tigres blancs sont en réalité le résultat d'une mutation génétique appelée "leucisme" et qui se caractérise par une modification de leur phénotype (ensemble des caractéristiques apparentes d'une espèce, ndlr). Depuis les années 1950, aucun de ces étonnants animaux n'a ainsi été observé dans son milieu naturel. Avec leur robe blanche, ces tigres sont néanmoins devenus très populaires auprès du public, si bien que leur reproduction s'est largement développée à travers le monde sous l'impulsion de l'Homme. 

Pour que les jeunes tigres naissent blancs, il faut que l'un de leurs ascendants soit déjà porteur de cette anomalie génétique. Le pourcentage de chance qu'un petit vienne au monde augmente si les deux parents sont blancs eux-mêmes, ce qui pousse les directeurs de zoos à faire se reproduire entre eux ces animaux. Problème : de par son extrême rareté dans le milieu naturel, l'ensemble de félins blancs aujourd'hui en captivité descend d'un seul et même tigre, capturé il y a près de 70 ans en Inde. 

Les bêtes qui se reproduisent aujourd'hui ont donc toutes hérité d'un patrimoine génétique très similaire, qui entraîne de facto une importante consanguinité. Celle-ci n'est pas sans conséquences puisque les tigres blancs souffrent d'une santé plus fragile et voient leur espérance de vie diminuer par rapport à ceux dont la couleur est "normale". Sur son site, le zoo de Thoiry (qui n'héberge pas de tigres blancs) précise que chez ces animaux, "la consanguinité très forte provoque l’apparition de tares : torsion de la colonne vertébrale, fente palatine, troubles mentaux, strabisme", ou encore "déficit immunitaire".

La publication ci-dessous montre l'exemple de "Kenny", un tigre atteint d'une malformation très marquée, résultat de sa consanguinité. Pris en charge à la fin des années 1990 par un refuge spécialisé, il est mort après 9 ans seulement, loin des 25 années d'espérance de vie que peuvent escompter des tigres en captivité.

Des condamnations morales régulières

Absent ou presque à l'état sauvage, le tigre blanc interroge : faut-il continuer à entretenir cette mutation génétique malgré les risques accrus qui pèsent sur ces animaux ? Pour certains acteurs du secteur, il s'agit d'une hérésie. Interrogé en 2012 par Le Monde, l'ex-directeur du Bioparc zoo de Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire) ne mâchait pas ses mots. "On compte environ mille parcs zoologiques dans le monde susceptibles d'accueillir des tigres dans de bonnes conditions. Or, ces lieux ont pour mission de conserver la biodiversité et de garantir la survie des espèces en voie d'extinction. Il est donc nécessaire d'y réserver les enclos à tigres aux sous-espèces pures les plus menacées dans leur milieu naturel. Pas à des tigres de cirque", soulignait Pierre Gay.

Outre-Atlantique, l'Association des zoos et des aquariums (AZA) a également pris position contre la reproduction des tigres blancs. Les pratiques d'élevage qui augmentent le développement de "traits génétiques rares", écrivait en 2011 cette institution dans un livre blanc, peut "gravement compromettre le bien-être des animaux". 

Ce document, partagé au grand public et qui s'appuie sur une série d'études scientifiques menées durant plusieurs décennies, met clairement en évidence les problèmes éthiques mis en avant par la reproduction ciblée des tigres blancs. Difficile donc de se féliciter de la naissance des trois petits du zoo d'Amnéville, comme peut le faire le député Julien Aubert. Si les professionnels qui maintiennent en vie ces lignées d'animaux ne sont pas dans l'illégalité, le venue au monde de plusieurs de ces félins à la robe immaculée ne peut clairement pas être avancée pour défendre l'action des zoos en matière de défense de la condition animale. 

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Thomas DESZPOT

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