"Faut essayer", "les cathos vont tiquer"... Ce qu'on a vu et entendu dans l'espace naturiste du bois de Vincennes

par Sibylle LAURENT
Publié le 2 septembre 2017 à 11h01, mis à jour le 2 septembre 2017 à 11h17
"Faut essayer", "les cathos vont tiquer"... Ce qu'on a vu et entendu dans l'espace naturiste du bois de Vincennes

REPORTAGE - La première zone naturiste de Paris a ouvert au bois de Vincennes, pour une expérimentation prévue jusqu'au 15 octobre. Alors oui, la météo n'est pas des plus favorables. N’empêche, l’endroit fait des heureux. Petit compte-rendu de choses vues et entendues ce vendredi après-midi.

"Vous êtes journalistes ? Ah, vous devez chercher le camp de nudistes !" Forcément, les habitués de Vincennes en ont entendu parler, de cet espace de naturistes qui a ouvert jeudi. Et se font un plaisir d’indiquer le chemin. Allée royale, puis sur la gauche, on marche quelques mètres, et hop, on y est. Est-ce que ça les fait tiquer ? "On s’en fout royalement !", assène Jacqueline, la soixantaine, dont 25 ans de balade avec son chien dans les allées. "On a vu bien pire !"  A côté, Ernest retrace l’historique des lieux. L'air entendu : "Ce côté-là du bois,  il était déjà un peu spécifique. C’est depuis longtemps le côté des homosexuels, le coin des rencontres des mecs en vélo... "Alors là, ça fait un peu de changement, c'est marrant". "Ils ne font de mal à personne !", glisse Monique, avec ses deux Saint-Bernard. "Après, nous, ça ne nous dérange pas, on n’a pas d’enfants... Mais le week-end, sur la plaine juste à côté, c’est vraiment le coin des familles ! Ça va faire bizarre à certains."

"Ça fait un peu réserve..." Bon, il a fallu un peu la chercher, cette plaine de 7.000 m2 dédiée aux gens nus. On ne s’attendait pas à un itinéraire balisé, mais cette zone naturiste dans le bois de Vincennes est un peu en retrait des voies centrales. Un tout petit peu. Disons qu’elle n’est pas annoncée avant. Ou plutôt, annoncée au dernier moment, quand on a le nez dedans. D’un coup apparaît une petite clairière, aux herbes hautes. Et, ça et là, sortant des herbes folles, émergent un genou, une tête isolée, une tignasse ébouriffée. Dans les recoins, quelques hommes allongés. Au milieu de marcheurs habillés. Ah non, voici un marcheur tout nu, sac au dos et chaussures au pied. Marrant. Jacques, un joggeur qui vient de passer, rigole. "Ce n'est pas gênant. Après, comme l’endroit est assez confiné, ça fait un peu réserve..."

Des panneaux quadrillent l'espace.
Des panneaux quadrillent l'espace. - SL

"On veut quelque chose de respectable." Au milieu de ce trou de verdure se dresse Cédric Amato. Lui fait partie de l’ANP, association des naturistes de Paris, qui a œuvré à mettre en place l’endroit avec la mairie Là, il joue un peu le rôle de point d’information sur le site. Alors oui, il le dit, la zone est réputée pour être un "lieu de drague et de rencontres"', mais l’association veut la faire évoluer "en lieu convivial et familial, comme les naturistes aujourd’hui l’envisagent". Et entend bien, en ayant ainsi cette voie publique, déboulonner un bon nombre de clichés bien accrochés. Du genre de ceux qui associent le naturisme à tous type de rencontres à base de sexe. "Nous sommes garants de tout comportement abusifs !", revendique Cédric. "On essaie de le faire d’abord comprendre aux personnes, mais on est aussi en lien avec la police." 

"Ils avaient dit 7 hectares ? Il y a 700 mètres là !" C'est sûr que ça ne fait pas si grand, cette clairière. L'endroit est en tout cas suffisamment resserré pour que les quelques "tous nus", même pas une dizaine pourtant, aient un peu l'impression d'être en vitrine. Ou sur le passage des marcheurs. Sur son vélo, Pascal regarde de loin. 25 ans aussi qu’il pratique le bois. Il est naturiste en vacances, mais est tombé sur l’endroit par hasard jeudi pendant l'inauguration. Au début, avec les caméras, il a cru "qu'on tournait un film." Il est revenu aujourd'hui. Ça le fait marrer, ce choix d’endroit. "D’habitude il n’y a que des homosexuels qui viennent se rencontrer ici ! Ils sont contents, remarquez, ils peuvent enlever le maillot !" Il trouve l'idée plutôt bien. "Avec ma copine, on était obligés d’aller se taper des trucs à 150 km de Paris, des campings... Ça peut prendre. Le problème, c’est qu’ils risquent de passer leur temps à faire la police."

 "Police, s’il vous plaît." Justement, la police est là. Un homme et une femme, en civil, se promènent l’air de rien. Histoire de surveiller. Ils ont surtout l’air d'être chargés de réguler les bonnes pratiques dans ce lieu apparemment, donc, dédié aux rencontres gays. "Hier, un policier a repris quelqu’un en disant : 'Attention, ce n’est pas le cap d’Agde pour autant !' J’ai été ravi de l’entendre", rapporte Cédric. "On est en train de changer un peu la connotation de l’endroit, drague et rencontres, on refait vivre un endroit qui n’était pas très, très... Il ne fallait pas que les enfants viennent !" 

Ils auraient dû mettre les panneaux avant
Thierry

"On ne va pas imposer aux gens de se mettre nus." Ici, c’est donc une zone libre. Ouverte. Les "textiles" sont autorisés. "On n’est pas dans quelque chose de communautaire", explique Cédric. "Ce n’est pas fermé, ce n’est pas clôturé, tout le monde peut passer. C’est juste un lieu qui dit ‘vous ne serez pas verbalisés si vous êtes tous nus’, c’est tout. Si vous voulez discuter, vous pouvez rester habillés. On a cette liberté."

"Je ne pourrai plus amener ma nièce ici !" Ça, c’est un commentaire qu’a entendu Cédric, et qu’il ne comprend pas. "On a des enfants qui font du naturisme !  Les enfants comprennent la nudité. Souvent, les réticences viennent de l’éducation, des blocages des parents." Mais pour l’instant, les passants, à part glisser un oeil amusé, n'ont pas l'air plus embêtés que ça. 

"Ils auraient dû mettre les panneaux avant !" Entre habitués habillés et naturistes, un débat s’engage autour de la signalisation : "Ils auraient dû mettre des panneaux avant, le long de la grande allée, pour que les gens qui ne veulent pas soient prévenus avant", estime Thierry. Ce à quoi, Cédric, le naturiste, apporte une autre réponse : "Oui, mais un panneau posé sur une allée principale va attirer les curieux !" De toute façon, c'est la municipalité qui a décidé.

"On tient un peu une permanence."  Cédric ne travaillait pas, il a choisi de passer cet après-midi ici. Histoire de faire "un peu permanence." Parce qu’autour de ce lieu, l’association des naturistes de Paris entend faire de la pédagogie. Faire connaître la pratique, aussi. "Combien y-a-t-il de jeunes qui veulent essayer et ne peuvent pas ?", questionne-t-il. "Cet espace va permettre à ceux qui n’ont jamais osé de le faire. Ça va durer une demi-heure, ou une demi-journée, et en fin de compte, ils vont dire : ça me plaît." Parce qu’il faut s’habituer, un peu, à tout montrer. Lui raconte qu’il a commencé à 18 ans. "Mais jamais je n’aurais osé commencer dans un camping. Je m'y suis mis sur une plage en Vendée où il n’y avait personne, je n’ai pas envie d’avoir les regards des gens." 

A tous ceux qui vont venir se rincer l'oeil...

"Où sont les femmes ?" C’est sûr, c’est même flagrant : ce vendredi, il n’y a aucune femme. Cédric le reconnaît. "A la piscine Roger-Legall, où nous avons des temps ouverts aux naturistes, elle sont une quinzaine sur 370 adhérents..." A cela, plusieurs explications : la sécurité peut-être, ou le fait que, selon lui, "les femmes pratiquent beaucoup plus dans un cadre familial, fermé comme les campings... Mais c’est en augmentation permanente !"

"C’est pas avec les curieux que vous aurez des problèmes, mais avec des gens qui ont des enfants !" Ça, c’est Thierry. Il parle à Cédric et s’inquiète d’éventuels enquiquineurs autour des nudistes. "Parce que là, il n’y a personne. Mais quand il fait beau, c’est blindé sur la plaine juste à côté, plein de familles passent à vélo... Je vois déjà les disputes, gros comme une maison, avec toutes les familles cathos qui vont tiquer !" Pascal, lui, pense "à tous ceux qui vont venir se rincer l’œil" : "Ils seront même dans les fourrés... ", rigole-t-il. Surtout, il craint des incidents plus sérieux : "Comme ça a été médiatisé, je crains un peu que des bandes de racailles viennent juste pour voir, 'casser du PD'." Cédric rassure : la zone n’est autorisée qu’en journée, jusqu’à 19 h 30. Après, il faut se rhabiller. Et surtout, "l’idée d'occuper le terrain", pour faire partir tous ceux qui ont "des mauvaises intentions". Les "mauvaise intentions", c’est en clair tout ce qui est voyeur, exhibitionnisme, proxénétisme. 

Il faut avoir envie de se mettre tout nu début octobre !
Pascal

"On est en retard !" Tous les pratiquants s’accordent à le dire : les mentalités, en France, ne sont pas en avance. Et même complètement coincées. "Je suis allé en Allemagne dans les années 1990, ils sont tous à poil là-bas", dit Thierry. "Et ça ne choque personne. Il n’y a pas le regard des gens comme ça, pas de curieux." Pascal, lui, a connu l’Espagne. Là aussi, ça a l’air plus détendu sur la question du nu. Cédric approuve. Mais ajoute : "La France reste tout de même la première destination naturiste, grâce aux étrangers. Aujourd’hui, on voit une augmentation énorme de jeunes naturistes, c’est vraiment plaisant."

"Il fait un peu frisquet quand même". Le timing de l'expérimentation pose question. "C’est curieux de faire ça à cette époque-là", commente un passant. "Limite juin-juillet, j’aurais compris mais là... J’ai vu un papy torse nu... Très honnêtement, je ne vois pas l’intérêt cet après-midi". C’est sûr qu’il fait un peu frisquet. D’ailleurs, depuis le début, Cédric porte un tee-shirt, des chaussures, et rien entre les deux. Et pourquoi pas l’inverse ? "Ce sont les épaules et le torse qui prennent le plus froid", explique-t-il, bien à l’aise. "Et les chaussures, c’est parce que le sol est mouillé."  Plus loin, Pascal commente : "Ils s’y prennent un peu tard. Il faut avoir envie de se mettre tout nu début octobre !" 

"C’est un bonheur, c’est incroyable !" Ça, c’est la réponse à la question qui forcément suivait : "Mais qu’est-ce que cela apporte d’être tout nu dans la nature ?" Laquelle a déclenché un grand sourire chez nos interlocuteurs. "Mais il faut essayer !", s'enthousiasme Thierry. "Même se baigner sans maillot de bain, c’est un bonheur !" "Une fois que tout le monde est tout nu, plus personne ne se regarde", ajoute Cédric. "Beaucoup de femmes me disent que nues parmi les nus, elles se sentent plus à l’aise qu’en maillot de bain, string ou tenue de bain sur une plage textile."

Invitation lancée. Bref, les naturistes sont installés. Et entendent bien faire de l'endroit un "espace de convivialité". Par exemple dimanche, l'ANP organise un grand pique-nique. "Il y aura des familles, des enfants, du yoga, des jeux de ballons... les textiles peuvent aussi venir ! Il faut ouvrir l'endroit au plus grand nombre."


Sibylle LAURENT

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