"On se regarde dans la glace, on ne sait pas à qui on ressemble" : l'appel de Laurent, né sous X, aux candidats à la présidentielle

par Sibylle LAURENT
Publié le 24 janvier 2017 à 19h32
"On se regarde dans la glace, on ne sait pas à qui on ressemble" : l'appel de Laurent, né sous X, aux candidats à la présidentielle
Source : Sipa

TÉMOIGNAGE - Au travers d’une pétition qui a déjà récolté plus de 35.000 signatures, Laurent Alexis interpelle les candidats à l’élection présidentielle pour qu'ils fassent évoluer les droits des enfants qui, comme lui, sont nés sous X. Le jeune homme raconte son parcours et explique sa démarche à LCI.

Lever un coin du voile. Même un tout petit bout. Il aimerait tant ça. Laurent Alexis est né sous X il y a 27 ans à Toulon. Brun, la peau mate, beau gosse bien stylé sur ses photos Facebook. Laurent a été adopté par deux parents qu’il aime fort, a grandi à Toulon, a suivi des études de droit, puis une formation en économie d’entreprise, habite aujourd’hui à Brignoles. Un joli bout de vie. Mais avec un trou noir : il cherche désespérément une trace de ses origines. Il n’en a en effet aucune de ses parents biologiques. 

Il y a deux jours, Laurent a lancé une pétition, sur Change.org, "pour un droit aux origines aux enfants nés sous X". Il y interpelle les candidats à l'élection présidentielle pour demander une évolution de la législation accouchement sous X. Sa lettre a déjà récolté près de 35.000 soutiens. 

Que chaque candidat exprime sa position sur le sujet
Laurent Alexis, né sous X

"J’ai fait cette lettre avec mes mots, c’est une démarche personnelle", explique Laurent à LCI. En cette période de campagne électorale, il a vu tous les débats sociétaux sur la famille être évoqués dans les médias : PMA, GPA, adoption... Et s’est senti le grand oublié. "On parle de tout, mais il n’y a jamais un seul mot sur les nés sous X", déplore-t-il. "Ça m’agaçait. C’est une grande souffrance de ne pas pouvoir accès à ses origines, et personne n’en parle. Aucun candidat ne propose de mesures là-dessus !" Depuis quelques mois, il a tenté de contacté  élus et candidats. Mais a eu peu de réponses. "La seule que j'ai obtenue, une bribe, vient de l’équipe de François Fillon, qui m’a dit que mes observations étaient utiles." 

Alors, il a lancé cette pétition. Et a reçu, cette fois, de nombreux témoignages de soutien. De nés sous X, mais aussi de parents adoptifs, demandant que les enfants puissent avoir accès à leurs origines. "Les gens suivent, c’est super", souffle Laurent. "Je voudrais que cette pétition nous aide à saisir les candidats, ne serait-ce que pour lancer un grand débat, que chacun exprime sa position sur le sujet." 

Laurent a toujours su qu’il était né sous X. "Beaucoup l'apprennent sur le tard, ça fait de sacrés ravages chez eux", raconte-t-il. "Moi je l’ai plutôt bien vécu. Je suis bien avec mes parents adoptifs, et je les aime. Mais c’est quelque chose qui trotte toujours un peu dans la tête. On a envie de connaître son histoire, de savoir d’où l’on vient." Ne serait-ce que, avance le jeune homme, du point de vue de la santé : "Il y a des gens qui ont des maladies génétiques qu’on ne peut soigner que par une greffe venant d’une personne de leur famille… On ne peut pas savoir s’il y a des antécédents de cancer dans notre famille, on ne sait rien !"

Rien que d’avoir une photo… ça peut tout changer
Laurent Alexis, né sous X

Ce que Laurent sait de sa mère biologique est bien peu : uniquement ce que les sages-femmes ont dit à sa maman adoptive. "Elle était un peu myope, avait des lunettes, une trentaine d'années, brune. Environ 30 millions de personnes répondent à ces critères…  ", souffle Laurent. En septembre dernier, le jeune homme a tiré les quelques ficelles à sa disposition : il a contacté le CNAOP, Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, créé en 2002. Sans trop d'effet. "C’est…  Comment dire ? Ca ne sert pas à grand-chose…", soupire Laurent. "J’ai envoyé une lettre en septembre, mon dossier a été accepté. Mais depuis, je n’ai aucune nouvelle. Quelque fois, on se contente de vous dire un an après que votre dossier a été fermé." Laurent est aussi allé toquer aux portes de l’Aide sociale à l’enfance, a posté des annonces sur les groupes de recherche spécialisés des réseaux sociaux, a créé une page rien que pour lui, "Né sous X le 16 mars 1987 à Toulon". Il n’a rien appris.

Ce pour quoi il milite, c’est une révision de la loi sur l’accouchement sous X, qui permet aux femmes d’abandonner leur nouveau-né à l’Etat, et leur donne le droit de demeurer anonymes (le nombre de naissances suite à un accouchement avec demande de secret était de 625 en 2014). "La France est quasiment le dernier pays à pratiquer l’accouchement sous X", dénonce Laurent.  Lui prône "l’accouchement sous discrétion":  "La mère peut décider de laisser son enfant, mais celui-ci, à partir de la majorité, doit avoir le droit de savoir s'il en a envie." Dans sa démarche, aucune volonté de déranger, de condamner. "Ce n’est pas une vendetta contre les mères qui laissent leurs enfants, pas du tout", insiste Laurent. "Je comprends qu’il y ait des mères biologiques qui ne peuvent pas, qui ont peur, qui sont très jeunes, qui ont parfois subi la pression de la famille, je ne les blâme pas. Mais rien que d’avoir une photo… Pour nous, ça peut tout changer."

Savoir d’où on vient, ça me parait logique
Laurent Alexis, né sous X

Un indice, un bout d’identité, il cherche tout, plutôt que ce grand flou. "Ça laisse la place au fantasme, on peut tout imaginer, le pire comme le meilleur", raconte Laurent. "On se dit qu'on est peut-être issu d’une infidélité, de viol, voire d'un inceste dans le pire des cas… ou d’une belle histoire". Laurent ne se cherche pas des parents de remplacement, mais à avancer. "C’est difficile de se construire", reconnaît Laurent. "On ne ressemble à personne. On se regarde dans la glace, on ne sait pas à qui on ressemble, si on a des demi-frères ou sœurs." Lui a réussi à "gérer ça", mais reconnaît, à demi-mot, que "ça a été lourd" parfois. "On commence à construire sa vie, on a envie d’avoir des enfants, on se pose des questions. Je suis très heureux dans ma famille d’adoption, mais savoir d’où on vient, ça me parait logique. C’est quand même un droit, non ? Juste connaître ses origines. Rien de plus."

A une époque, Laurent est allé voir un psy. "Elle m’a aidé à mettre des mots sur ça, elle est formidable". Ses parents adoptifs sont au courant, il n’est pas seul. "Ils savent que je fais des recherches", raconte Laurent. "On en discute, mais je ne veux pas leur parler de tout. Ils sont formidables, mais je préfère être seul pour ça." La loi, si un jour elle change, ne l’aidera de toute façon pas. "Elle ne sera pas rétroactive, c’est vraiment pour penser au futur", dit Laurent. Lui va continuer les recherches de son côté. Avec l’espoir, un jour peut-être, de rencontrer sa mère. Et peut-être même de se découvrir des demi-frères et sœurs, qui sait.

VIDEO. Nantes : La justice refuse la restitution à son père biologique d'un enfant né sous XSource : Les vidéos infos
Cette vidéo n'est plus disponible

Sibylle LAURENT

Tout
TF1 Info