A LA LOUPE - L'association Alliance Citoyenne à l'origine de la sortie à la piscine de femmes musulmanes en burkini, à Grenoble, est taxée dans le débat public "d'association islamiste". LCI a tenté d'y voir plus clair. Contactée, Alliance Citoyenne se défend de toute velléité communautaire. La ville de Grenoble, quant à elle, sans qualifier ses membres de "militants islamistes", dénonce "un refus du débat public qui fait le jeu des communautaires".
A chaque été, sa polémique-burkini. Pour la seconde fois cette année, quelques femmes en tenue couvrante, accompagnées d'autres personnes en maillot de bain une pièce ou deux pièces - des hommes et des femmes - se sont rendues dimanche 23 juin à la piscine municipale Jean Bron de Grenoble, enfreignant ainsi le règlement intérieur qui n'autorise pas, à l'image de les autres établissement de la ville, les "combinaisons intégrales".
Désobéissance civile
Une action de "désobéissance civile", organisée par l'association "Alliance citoyenne de l'Agglomération Grenobloise", qui n'a pas manqué de provoquer une levée de boucliers, notamment du côté de l'extrême droite. La page Facebook "Résistance face à l'islamisation de la France et de l'Europe" ou encore le site "fdesouche" ont ainsi relayé, ce mercredi 20 juin, l'interview de l'ex-journaliste de Charlie Hebdo Zineb El Rhazoui sur le plateau de CNews, qualifiant de "militantes islamistes" les femmes musulmanes qui se sont livrées à cette baignade.
"C'était une action éminemment politique. (...) On nous fait croire que c'est un petit collectif de mamans qui ne veulent rien d'autre que de nager avec leur enfant, ce n'est pas exactement ce qui ressort du discours de ces militantes." Elle ajoute : "On a d'abord affaire à une association grenobloise qui s'appelle Alliance citoyenne, qui je le rappelle à la base est une association de défense de droits de locataires. Or, on a aujourd'hui face à nous une association islamiste, enfin qui en tout cas présente une revendication islamiste, avec des militantes islamistes chevronnées qui se présentent comme des mamans."
Des posts Facebook exhumés
Alors, Alliance Citoyenne est-elle réellement une "association islamiste" ? Pour étayer son propos, Zineb El Rhazoui détaille le cas de Taous Hammouti, l'une des porte-paroles de l'association. Le mois dernier, après leur première action en burkini à la piscine, des internautes avaient exhumé d'anciens posts de sa page Facebook personnelle, datant de janvier 2015. L'un d'entre eux indique "N'oubliez jamais que c'est Charlie qui a dégainé le premier...". L'autre montre une caricature représentant un prêtre taxé de "pédophile", un imam qualifié de "terroriste" et un rabbin, présenté comme "victime". Ce dessin est signé de "Adolf", régulièrement repris sur le site fondé par Alain Soral "Egalité et réconciliation".
Ces posts ont notamment été relayés sur Twitter par Matthieu Chamussy, membre du conseil municipal de Grenoble dans l'opposition.
L’intrusion de femmes vêtues de maillots couvrant, vendredi dernier à la piscine municipale « Les Dauphins » de #Grenoble , est un événement dont il ne faut pas sous-estimer la gravité et les conséquences. pic.twitter.com/CrdsAH63G9 — Matthieu Chamussy (@m_chamussy) May 19, 2019
Me traiter d'antisémite, mais ça ne va pas ?
Taous Hammouti
Contactée par LCI ce mercredi, Taous Hammouti ne nie pas avoir publié ces messages. "Ils ont exhumé des impressions de ma page Facebook. Ils ont bien choisi parce qu'ils n'ont pas relayé un autre courrier, posté sur cette même page, où je condamnais les attentats à Charlie et tous les autres attentats, d'ailleurs. Je condamne toutes les formes de violences. Me traiter d'antisémite, mais ça ne va pas ? On me demande aujourd'hui de me justifier parce que je suis musulmane." A propos des caricatures en question, elle poursuit : "Sur Facebook, je partage des choses mais ce ne sont ni mes mots, ni mes propos, et je n'y adhère pas. Suite à cet épisode, j'ai été obligée de supprimer ma page Facebook, je me sentais menacée. J'ai d'ailleurs porté plainte contre X. Ils veulent détourner notre action, qui est simplement de revendiquer nos droits civiques en tant que femmes citoyennes françaises à part entière. C'est un combat pour la liberté de toutes les femmes."
Adrien Roux, directeur et fondateur de Alliance citoyenne, ne dit pas autre chose. Contacté par LCI, il nous explique que cette association a été créée en 2012, à Grenoble. Depuis, elle a fait des émules et des antennes sont nées à Aubervilliers, à Gennevilliers, à Villeurbanne et bientôt à Marseille, nous dit-il. Sur le fond, elle s'inspire du "community organizing", une forme d'action citoyenne née aux Etats-Unis. "Nous avons 500 adhérents à jour de cotisation, nous précise le fondateur, ce qui permet de financer trois community organizers à temps plein à Grenoble, dont moi. Le principe, c'est de rassembler des citoyens pour agir contre toutes les injustices. Nous sommes une sorte de syndicat tout-terrain agissant sur les services publics. Nous pouvons mener des actions auprès des CAF, des bailleurs sociaux, des crèches, des ludothèques... et des piscines, par exemple."
Des négociations constructives
Dans son éventail d'actions, l'association recourt notamment à la "désobéissance civile". Et Adrien Roux de détailler une "action non-violente" menée en novembre 2017 : un locataire en fauteuil roulant "enfermé chez lui à cause de travaux d'ascenseurs" avait alors été "déménagé" - fauteuils et tables de salon compris - dans le hall du bailleur civil. Une initiative coup de poing qui avait, selon le militant, mené au déblocage des fonds nécessaires par le bailleur.
La mairie de Grenoble est bien entendu informée de l'activité de l'association. Adrien Roux nous décrit une relation avec la municipalité qui est "parfois bonne, parfois tendue, comme avec un syndicat. Il peut y avoir des phases de négociations constructives. Mais là, précise-t-il, sur notre action à la piscine, ils nous accusent de mettre le feu aux poudres. On regrette d'ailleurs de devoir en arriver là, mais c'est une question qui est importante pour des centaines de femmes. Personnellement, je trouve qu'il y a une confusion entre le port du voile et l'islamisme que j'ai du mal à comprendre. Je vois bien qu'il y a une peur très forte de l'islam à cause des amalgames avec le terrorisme. Le problème, c'est que des gens passent de la critique légitime des religions, qui relève de la liberté d'expression, au rejet des personnes qui sont religieuses."
Sur ce dossier, le maire écolo Eric Piolle a quant à lui condamné, par voie de communiqué, "ces atteintes au règlement intérieur" et "la stratégie du choc qui est déployée, loin de faire avancer le débat". Il précise que "dans ce contexte de tensions, la ville de Grenoble" ne fera pas "évoluer le règlement intérieur des piscines cet été".
Pour le respect du service public, de ses usagers et de ses agents. Garante de l'intérêt général, la puissance publique ne saurait céder aux injonctions des agitateurs, qu'elle que soit leur revendication. pic.twitter.com/C9nZRMGI8j — Éric Piolle (@EricPiolle) June 25, 2019
#islamoféminisme : un hashtag qui a crispé
Concernant les accusations de "militantisme islamiste" portées par l'extrême droite contre l'association, on assure à la mairie de Grenoble que "ce n'est pas le problème". Mais, auprès de LCI, la ville décrit un dialogue difficile avec Alliance Citoyenne. "Cette association met en oeuvre une forme de populisme qui instrumentalise la colère des gens, nous explique-t-on. Devant la perte de vitesse de l'association, celle-ci se radicalise. Nous constatons un refus de penser l'intérêt général au service de leurs adhérents. Et cela les amène à faire le jeu de personnes qui elles, sont des professionnelles des revendications communautaires. A force de refuser le débat public, ils se mettent sur un pied d'égalité avec les revendications communautaires. Or, ce n'est pas sur ce pied là que le débat peut se faire avec les institutions."
Selon nos informations, un tweet de l'association, posté le 23 juin, jour "l'opération burkini", aurait particulièrement crispé le débat côté institutions, pourtant pas fermées à faire évoluer un jour le règlement intérieur des piscines municipales. Ce tweet comportait le hashtag #islamoféminisme. Néanmoins, nous avons vérifié : sur Facebook, les messages postés le même jour de la part de l'association sont relayés avec des mots-clefs moins militants, tels que #ToutesCitoyennes, #ToutesAlaPiscine #Onestensemble. Par ailleurs, dans le cadre de cet article, nous avons été accepté dans le groupe Facebook privé de la "campagne des droits civiques des femmes musulmanes", à l'origine de l'action. Entre articles de presse relayant leur sortie à la piscine et chansons intitulées "liberté pour toutes", nous n'avons constaté sur cette page aucun propos pouvant être taxé de "militantisme islamiste".
Vous souhaitez réagir à cet article, nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse alaloupe@tf1.fr.