Aux urgences de Saint-Antoine, le quotidien "dangereux" et "pénible" des soignants

par Amandine REBOURG Amandine Rebourg
Publié le 23 avril 2019 à 9h30, mis à jour le 23 avril 2019 à 9h39
Aux urgences de Saint-Antoine, le quotidien "dangereux" et "pénible" des soignants

COLÈRE - Ce mardi 23 avril, le collectif Inter-Urgences regroupant divers services d'urgences des hôpitaux parisiens organise une opération "coup de poing" devant les locaux de l'AP/HP. À l’Hôpital Saint-Antoine, les personnels soignants ont entamé une grève illimitée depuis le mois de mars. Ils témoignent de leurs conditions de travail difficiles.

Le dimanche 14 avril, les 25 services d'accueil des urgences de l'AP-HP ont été appelés à une grève pour dénoncer des conditions de travail "insupportables", réclamer "la création de postes paramédicaux", "des locaux sécurisés" et une augmentation de salaire de 300 euros net par mois, à l'appel des deux principaux syndicats. En réponse, le directeur général de l'AP-HP, Martin Hirsch, a promis des renforts : "Dans l'immédiat (...) nous mobilisons 45 emplois supplémentaires qui pourront être répartis en fonction des besoins", écrit-il dans un courrier adressé mardi aux deux syndicats et dont l'AFP a obtenu copie.

Il y affirme par ailleurs sa "volonté de renforcer la sécurité de l'ensemble des sites pour éviter la reproduction d'agressions" et assure que "des moyens ont été dégagés pour (...) assurer une présence continue sur tous les sites le nécessitant". Sur les rémunérations, il évoque la possibilité d'une "réponse tangible aux difficultés qu'ont connu les équipes des urgences au cours des derniers mois".

A la mi-mars, les urgences de l'hôpital Saint-Antoine avaient entamé une grève illimitée pour dénoncer les nombreuses agressions dont les personnels ont fait l'objet, la reconnaissance du travail spécifique aux urgences et la sécurisation de leurs locaux. LCI avaient rencontré ces personnels en grève. 

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A l'entrée des urgences de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, la silhouette d'un homme dessinée à la craie sur le sol, comme on en voit sur les scènes de crime dans les feuilletons télévisés, barré du mot "soignant". Une représentation imagée de ce que les personnels en grève craignent le plus : la mort de l'un des leurs. Au mur, sur l'entrée et en banderole dans le service, le visage d'une femme agressée, l’œil au beurre noir. "On est fatigué moralement et on a peur du drame", glisse un soignant que nous avons rencontré au début du mouvement. 

En quelques mots, les personnels soignants des urgences de l’hôpital de Saint-Antoine résument leur état d'esprit. Depuis le début du mois de mars, ils ont entamé un débrayage illimité à l'appel de trois syndicats : Sud-Santé, CGT et FO. Un mouvement pour dénoncer la dangerosité grandissante de leur travail, des conditions de travail toujours plus difficiles, et demander la reconnaissance d'une spécificité du travail qu'ils effectuent aux urgences. 

Les revendications ? "La sécurisation des locaux, la titularisation des CDD, la mise en place d'une procédure spécifique en cas d'agression et la reconnaissance financière de la spécificité de notre travail", explique à LCI, Candice Lafarge, aide-soignante aux urgences de l'hôpital. 

L'agression de deux infirmières et une aide-soignante a été "la goutte d'eau"

Ce mouvement a débuté quand une énième goutte d'eau est venue faire déborder le vase d'un service où l'insécurité dispute aux coupes budgétaires, la première place du classement du pire. Le 13 janvier dernier, deux infirmières et une aide-soignante ont été très violemment agressées par un patient. Une agression qui a entraîné 4 jours d'ITT pour coups et blessures. Depuis le début de l'année, ce sont cinq agressions qui se sont produites dans le service qui compte environ 40 personnes. 

Les urgences de Saint-Antoine, à Paris, ce sont entre 180 et 210 passages quotidiens et une attente entre quatre et six heures, en fin de journée. Chaque année, ce sont un peu plus de 64.000 personnes qui se rendent aux urgences de cet hôpital du 12e arrondissement de Paris. Une fréquentation en hausse depuis quelques années que les soignants eux-mêmes expliquent par "une hausse qui s'est calquée sur les problèmes de dégradation sociale et économique de la société". 

Si l'augmentation de la fréquentation est absorbée par les personnels, ce sont les incivilités et les agressions dont certains d'entre eux ont fait l'objet, qu'ils dénoncent. "Chaque jour, on recense un événement indésirable dans le logiciel spécifique. C'est soit un problème de sécurité, soit de matériel, soit une agression", explique à LCI, une aide-soignante. Le quotidien est devenu un vrai casse-tête pour des soignants qui, en plus des soins à prodiguer, doivent désormais jongler entre les fermetures de lit, les patients en attente et parfois agressifs voire violents.

Un métier à risques ?

Une situation que les soignants n'acceptent plus d'autant que les chiffres parlent d'eux-mêmes. Dans son dernier rapport, l'Observatoire national des violences en milieu de santé indique que dans les hôpitaux français, les personnels représentent 81% des victimes des violences. 

La majorité d'entre elles sont des femmes, pour beaucoup infirmières ou aides-soignantes. Les patients représentent 71% des auteurs de ces violences. "Le nombre de signalements est en hausse, avec un nombre d’établissements participant au dispositif plus important et de façon significative", souligne le rapport. 

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On est la poubelle de l’hôpital

Une aide-soignante, de l'hôpital Saint-Antoine

Dans un contexte social compliqué, ces personnels des urgences de l'hôpital parisien sont en première ligne face à la douleur et la détresse, ils disent être "au contact des choses brutes, c'est un choix de vie mais on s'est déshumanisé", regrettent-ils. Plus sévèrement, l'un d'eux affirme même considérer son service comme "la poubelle de l’hôpital". "On est en premier plan de tout et donc en première ligne de la misère, de la détresse et de la violence", résume une infirmière. 

"On fait face à de plus en plus d'agressions, explique à LCI, un aide soignant. On a dû faire face à des agressions physiques avec des armes blanches, on a dû gérer un violeur en série... Un jour, un patient qui attendait les résultats de sa radio est rentré en scooter dans le service pour déraper pile devant des collègues. Il estimait que ça prenait trop de temps..." 

Tous l'affirment : ils sont préparés à l'agressivité des patients mais la gérer ne fait pas partie de leur travail et celle-ci augmente. Quant à la prise en charge de celles et ceux qui se font agresser, elle semble inexistante : après avoir été molesté, une dame s'est "débrouillée toute seule, en prenant un Uber pour aller aux Unité médico-judiciaires. On ne peut pas s'auto-gérer dans une situation pareille. On aimerait que la direction appuie ces démarches", détaille un aide-soignant. 

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Cette recrudescence des actes violents, il les attribue pour beaucoup, à un changement dans la société. "A Saint-Antoine, la situation géographique fait qu'on est au cœur d'un environnement violent, il faut le dire. Nous avons beaucoup de SDF, de personnes alcoolisées, droguées... ", glisse une aide-soignante. "En psychiatrie, ils touchent des primes. Aux urgences, nous avons affaire à des patients dangereux mais nous n'avons rien. Notre travail devient vraiment dangereux", poursuit-elle. 

Et une de ses collègues de renchérir : "il n'y a pas que cela. On est en première loge pour les pathologies infectieuses, la tuberculose, le VIH, la méningite... On a des collègues qui sont obligés de prendre des traitements durant des mois". Pour ces spécificités, ils demandent la reconnaissance de la spécificité de leur travail aux urgences : une prime de 300 euros par mois. Renseignements pris : un aide-soignant avec 20 ans d'expérience dont 14 ans dans ce service gagne entre 1600 et 1700 euros brut par mois. Une infirmière avec 4 ans d'expérience : 1700 euros. 

On nous as adulé le temps que cela cicatrise et on nous as oublié"

Une infirmière de Saint-Antoine.

Une infirmière explique le sentiment qui parcourt ces soignants. "On a été les héros de l'après-attentats. On s'est senti flattés. On nous as adulé le temps que cela cicatrise et on nous a oublié", estime une infirmière, dans sa 29e année d'activité. Et de s'interroger  : "Après les attentats on a eu quelque chose comme 100 euros ... On veut une reconnaissance de la pénibilité de notre quotidien, de notre travail. Faut-il attendre qu'il y ait des drames pour y parvenir ?"

 "On aime ce qu'on fait,  tient à rappeler une infirmière. Dans le service, on est très soudés, on se voit plus que nos familles, mais depuis quatre ans que je travaille ici, j'ai vu des gens changer de métier et sur une quarantaine de postes, j'ai vu 26 personnes arriver". "Après l'agression d'une collègue, on nous as tapé dans le dos, et dit : 'merci, vous êtes des rocs'", nous glisse-t-on. Des rocs qui commencent à se fissurer.


Amandine REBOURG Amandine Rebourg

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