PÉDOCRIMINALITÉ - Entre sensibilisation et signalement, l'Eglise a mis en place une série de mesures afin de répondre aux scandales d'agressions sexuelles. Un travail qui doit encore faire ses preuves, mais qui comporte de nombreux niveaux d'intervention. Alors, qu'a changé l'affaire Bernard Preynat sur la lutte contre ces abus chez les prêtres?
Agir face au scandale était inévitable. Après les révélations sur les agressions sexuelles présumées de Bernard Preynat, dont le procès doit débuter mardi 14 janvier, c'est toute l'Eglise qui avait été bousculée. Car au-delà des agissements de l'ancien prêtre dans la région lyonnaise, c'est le silence d'une institution - et en premier lieu celui de son ancien numéro 1 en France, le cardinal Barbarin - qui avait été montré du doigt. Cette remise en question de la part de l'institution a-t-elle eu lieu ? On fait le point sur ce qui a changé, quatre ans plus tard.
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Jugé pour "atteintes sexuelles sur des mineurs de moins de 15 ans", l'ancien prêtre est accusé d’environ 70 atteintes à caractère sexuel sur mineurs, toutes antérieures à 1991. Des faits qu'il a reconnus et qu'il a commis alors qu'il était aumônier scout à Saint-Luc. Ne serait-ce que pour éviter de nouvelles exactions de la sorte, et bien que ce groupe n'était affilé à aucune association scout officielle, les réglementations qui encadrent la jeunesse sont strictement respectées chez les Scouts et guides de France. C’est en tout cas ce qu’assure François Mandil, ex-responsable de la communication de l'organisation à l’AFP. Ceux qui viennent travailler avec les enfants ont par exemple l'obligation de présenter un casier judiciaire vierge lors des recrutements. Et en aucun cas, l’un des 85.000 adhérents ne peut aujourd'hui "se retrouver en situation d'être seul avec tout un groupe", comme cela avait été le cas à Saint-Luc. Ce ne sont que quelques-uns des éléments mis en place dans le cadre de la politique de protection de l’enfance de l'association.
Mais les mesures mises en place face aux scandales d’agressions sexuelles vont bien plus loin que ce seul groupe. Car c'est tout le diocèse de Lyon, et son cardinal Philippe Barbarin, qui a été éclaboussé. C'est pourquoi, dès septembre 2016, de nouvelles normes sont entrées en vigueur dans l'évêché. Décidées aux printemps, elles sont issues de l’avis rendu par un "collège d’experts". Composé notamment d’un magistrat, de médecins spécialisés, comme un psychiatre, d’un canoniste et de proches des victimes, ils ont proposé quatre règles fondamentales. Tout d'abord, l'écartement définitif de son ministère de tout individu ayant commis des faits d’agression sexuelle sur mineur, quelles qu’en soit la date, ou – le temps de la procédure judiciaire – de ceux qui font l’objet d’une mise en examen ou d’une poursuite pénale.
En ce qui concerne ceux qui sont accueillis dans le diocèse de Lyon, chacun devra montrer patte blanche en présentant une attestation certifiant qu’il répond "aux critères diocésains en matière de lutte contre les abus sexuels et qu’il n’a aucun antécédent en ce domaine". Et enfin, chaque personne recevant une nomination dans le diocèse devra signer et respecter l’ensemble des dispositions visant à lutter contre les abus sexuels dans l’Eglise. Une réglementation visant les religieux qui vient accompagner la cellule d’écoute des victimes, mises en place dès le mois d’avril de la même année.
Il faut qu'on arrête de faire ça entre nous
Mgr Emmanuel Gobilliard
Pointée du doigt depuis des années pour son inaction, l'institution ne ménage pas ses efforts pour agir au grand jour. Sur le site même de l’Église catholique dans le Rhône, le sujet, décrit comme "majeur, central et prioritaire", est clairement affiché. La campagne d’information "Agir" a d'ailleurs son propre onglet facilement identifiable. C'est dans le cadre de cette opération qu'a été réalisée une série de vidéos. Allant de la parole de victime, à l'expertise du psychiatre en passant par le témoignage d'un major de police de la Brigade Départementale de la Protection de la Famille, elles ont pour objectif de répondre à une douzaine de questionnements sur cette thématique. C'est par exemple dans ces documents qu'est enregistrée la parole de l’ancien procureur général de la cour d'appel de Lyon, Jean-Olivier Viout. Prônant une culture "de révélation des faits", il rappelle par exemple "l'obligation" des adultes d'alerter la justice et d'inciter les mineurs à déposer plainte, "en leur faisant bien comprendre qu’ils trouveront là le remède à leurs maux".
En somme, des vidéos qui "mettent en scène des spécialistes de la lutte contre la pédophilie et de la pédocriminalité", comme le résume auprès de l'AFP l'évêque-auxiliaire Mgr Emmanuel Gobilliard. Donner la parole "à ceux qui savent" afin, aussi, d'éviter de rester à nouveau dans l'entre-soi : "Ce n'est pas à nous de juger, ce n'est pas à nous d'enquêter, il faut qu'on arrête de faire ça entre nous."
Réglementer, prévenir, ... et former?
De bons outils de prévention, qui sont donc montrés dans des formations. A Saint-Luc, église meurtrie par les agissements de Bernard Preynat, elle est d'ailleurs devenue "obligatoire" pour tous les prêtres et diacres du diocèse. Car au-delà du signalement les faits à la justice - "tous les soupçons de délits ou de crimes sont automatiquement transmis à la justice", selon les dires de Mgr Gobilliard - il est venu le temps de parler ouvertement du sujet et de sensibiliser les prêtes. "La plupart des diocèses ont mis en place des opérations de sensibilisation", affirme en ce sens Mgr Hubert Herbreteau auprès de l'AFP. A destination des religieux mais aussi de catéchistes, d'enseignants, d'animateurs, voire du grand public, elles prennent des formes diverses et variées. Dans l'Aveyron ou en Normandie, par exemple, des séminaires ont été organisés, toujours avec une centaine de personnes dans le public. Comme pour les vidéos, les intervenants sont hétéroclites, allant d'un homme d'Eglise en charge de la lutte contre la pédophilie au procureur local afin de connaître les particularités du droit français en matière de pédocriminalité.
Cependant, Véronique Garnier, elle-même victime d'abus, relève une limite à ce dispositif. Témoin régulière lors de journées de sensibilisation, elle regrette que la "tenue de ces journées de sensibilisation varie d'un diocèse à l'autre", provoquant des "inégalités" sur le territoire. Alors, au-delà des signalements et avant-même la prévention, reste à s'interroger sur un point intrinsèque à cette problématique : le célibat sacerdotal. Aujourd'hui, les séminaristes reçoivent une "formation théorique avec des modules de formation de vie affective et sexuelle et des modules de connaissance de soi", explique le père Matthieu Thouvenot. Formateur au séminaire Saint-Irénée, il plaide pour un enseignement "particulier pour les célibataires consacrés". Et de remettre ainsi sur la table la question du mariage des prêtres. Une thématique qui ne cesse de faire l’actualité puisque, encore ce lundi, le pape démissionnaire Benoît XVI a réaffirmé dans un livre l'importance selon lui cruciale de ce célibat.