Période la plus chaude depuis 2000 ans : la science des climats du passé, ce "travail de détective"

Anaïs Condomines
Publié le 25 juillet 2019 à 19h10
Période la plus chaude depuis 2000 ans : la science des climats du passé, ce "travail de détective"
Source : Pascal Guyot / AFP

A LA LOUPE - Une étude scientifique publiée mercredi 24 juillet dans la revue "Nature" explique que le réchauffement climatique actuel est inédit par son amplitude, son rythme et sa dimension planétaire. On vous explique les méthodes de calcul utilisées pour parvenir à ce résultat et par la même occasion, la discipline de la "science des climats du passé".

L'étude, par son ampleur, est inédite. Mercredi 24 juillet, dans la revue Nature et Nature Geoscience, une équipe de cinq chercheurs a rendu publiques les conclusions d'une enquête scientifique sur le changement climatique. On y apprend principalement que le réchauffement se distingue actuellement, pour la première fois depuis 2000 ans, par trois aspects : son intensité, son rythme et sa dimension planétaire.

Ainsi, contrairement aux différentes phases de refroidissement et de réchauffement observées dans l'Histoire (comme "le petit âge glaciaire" entre 1300 et 1850) qui n'étaient pas simultanées sur l'ensemble du globe, l'épisode de changement climatique que nous connaissons concerne 98% de la planète. A l'heure où les climato-sceptiques donnent de la voix, où les discours de la jeune militante écologiste Greta Thunberg suscitent des crispations, il apparaît cohérent d'exposer et de vulgariser les méthodes de travail et de calcul qui ont mené à cette étude hors-norme qui fera date. 

Un travail de détective

Pour comprendre comment ont travaillé ces chercheurs, nous avons demandé un éclairage à Valérie Masson-Delmotte, paléo-climatologue et chercheuse en sciences du climat. Si elle n'a pas participé à l'étude qui nous intéresse, elle est toutefois l'une des principales figures, aujourd'hui, de cette discipline particulière qu'on appelle "la recherche sur les climats du passé". Valérie Masson-Delmotte a par ailleurs été coordinatrice du 5e rapport du GIEC  (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) en 2013.

"La recherche sur les climats du passé, explique-t-elle, c'est vraiment un travail de détective." Cette discipline, en fait, trouve sa raison d'être dans les explorations qui remontent à plus de 150 ans en arrière. "Nous disposons d'enregistrements météorologiques directs depuis un siècle, en Europe", précise la paléo-climatologue. Mais pour le reste, il faut regarder du côté des indices laissés dans la nature. La chercheuse reprend : "Les archives ne sont pas historiques mais naturelles.  Les variations de températures s'impriment dans les anneaux des arbres (par temps sec les chênes poussent moins, par temps froid, les anneaux sont plus épais), dans la neige et la glace (selon l'observation des molécules d'eau), sur les coraux, sur les sédiments marins qui contiennent des squelettes de plancton, sur les sédiments des lacs contenus dans la vase (les restes de plancton et de petits fossiles indiquent la température de l'eau en surface). Autant d'indicateurs qui, dans le cadre de cette étude, sont appelés des "proxy". 

Connaissez-vous le programme PAGES ?

Evidemment, les auteurs du rapport ne tirent pas ces archives naturelles de leur chapeau. Ils ne sont d'ailleurs pas allés les récolter eux-mêmes. S'ils ont pu rédiger cette enquête de très grande ampleur, c'est que la littérature avance peu à peu sur le sujet. Depuis des années, des chercheurs trouvent et collectent ces "proxy". "Récemment, il y a eu un effort international au sein du programme PAGES qui est un réseau de collaboration international et de bases de données", indique Valérie Masson-Delmotte. Une sorte de grande bibliothèque qui fait office de mémoire météorologique. Et qui sert de base, désormais, pour observer les tendances à l'échelle planétaire. Ces études à partir d'archives naturelles sont publiques et consultables par toutes et tous. Ici, un exemple de quelques études compilées : 

"Ils confirment ce qu'on savait déjà

Avoir les données, c'est bien. Encore faut-il savoir les exploiter. Sur ce point aussi, l'étude publiée dans la revue Nature se distingue. La recherche dans ce domaine a mis au jour huit approches statistiques différentes. Chacune d'entre elles comporte des points forts... et des points faibles. "Mais ici, les chercheurs ont appliqué des huit méthodes statistiques de manière systématique, c'est-à-dire à l'ensemble des proxy", explique encore la paléo-climatologue. Un travail de titan qui évite de prêter le flanc aux critiques et aux lacunes scientifiques.

En 1998, par exemple, on a pu reprocher au scientifique Michael Mann de concentrer ses études et observations uniquement dans l'hémisphère Nord, en été. "A contrario, le programme PAGES permet d'élargir le temps depuis l'ère chrétienne et d'avoir une approche globale."

Avant eux, Michael Mann avait en 1998 essentiellement observé les données dans le Nord, en été. Mais le programme PAGES permet d'élargir le temps depuis l'ère chrétienne et d'avoir une approche globale. Raison pour laquelle la chercheuse estime aujourd'hui que cette analyse poussée constitue "le travail le plus complet à ce jour. Ses auteurs confirment ce qu'on savait déjà, sur une base très robuste." 

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Anaïs Condomines

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