TRIBUNE - Face à la crise sanitaire, des sommes colossales ont été englouties pour sauver l'économie. Au-delà des chiffres, le coronavirus nous interroge aussi sur notre hiérarchie des valeurs. Celle-ci a radicalement et durablement changé. L'éclairage de Pascal Perri, économiste et sur LCI avec PerriScope du lundi au vendredi.
Les sommes considérables englouties dans la crise du coronavirus font tourner la tête. Il y a encore un trimestre, le débat franco-français portait sur le déficit prévisible de l’assurance chômage (entre 7 et 18 milliards d’euros), sur le plan Buzyn pour l’hôpital public (600 millions) ou sur la transformation de l’ISF en IFI (Impôt sur la fortune immobilière), qui aurait fait perdre autour de 2 milliards d’euros aux finances publiques. Du bricolage comparé aux plus de 100 milliards posés sur la table pour répondre à la pandémie et, pire encore, aux 300 milliards que la France empruntera cette année ! Soudain, tout devient relatif.
Un petit organisme vivant et agressif nous a fait changer d’échelle. Au-delà des chiffres, c’est aussi l’occasion de réinterroger notre hiérarchie des valeurs. Les Français, comme tous les autres peuples confinés, expriment un vœu simple que l’on peut résumer dans la formule suivante : profiter pleinement de la vie ! Beaucoup se sont aperçus que l’on pouvait vivre plus simplement, en rationnant sa consommation sans pour autant se mortifier. Le paradigme de "l’avoir", terrain de jeu du marketing, est à l’évidence l'une des victimes collatérales du virus. Des millions de ménages découvrent ainsi que la sobriété n’est pas une pénitence.
Denis Gancel, dirigeant de W et Cie, un des ténors de la publicité en France, pense ainsi déjà à l’après-marketing. Il rappelle que les techniques du marketing ont été inventées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour des individus qui avaient besoin de consommer. La vague américaine est arrivée un peu plus tard en France. Nous sommes passés d’une société de subsistance à une société de consommation à la fin des années 1950.
La crise actuelle accélère sans doute un mouvement partiellement engagé. Non pas un mouvement de décroissance, comme le souhaitent les altermondialistes, mais une évidente quête de sens. Les entreprises ne pourront plus se contenter de vendre dit Denis Gancel. Elles devront montrer une forme de contribution non marchande au bien commun.
Un nouveau regard sur le danger
Gare cependant aux bulles idéologiques qui émergent des crises. L’enjeu est de réinterroger notre modèle pas nécessairement de l’abattre. En pleine crise, la vigilance s’impose autant que la raison. L’expérience du confinement laissera des traces dans notre représentation du monde et dans notre relation au risque. Le danger n’est plus une menace lointaine, il est sorti de l’ombre avec soudaineté et violence.
Le risque, c’est à dire le contact direct avec le danger, n’est plus une hypothèse théorique. Il a voyagé, franchi les frontières, pénétré dans notre intimité. Il est la créature associée à la libre circulation des hommes et des marchandises. Dans notre histoire humaine, les échanges internationaux ne sont pas nouveaux et nous aurions tort de vouloir y renoncer brutalement. Il serait plus sage de les aménager et de les maîtriser.
L’assiette avant la console !
La quête de sens prendra des formes diverses dans les itinéraires personnels de réflexion. Mais nous pouvons dores et déjà tirer quelques conclusions collectives.
1. La souveraineté alimentaire est une souveraineté stratégique. On peut se passer d’une console de jeu, on peut se passer de sa tablette mais pas de son assiette. La France, grâce à ses productions agricoles et agro-alimentaires, est plus libre et plus indépendante que tous les pays qui ont éteint les filières vivrières. Les Français ont réinvesti leur cuisine et le pays entier a pu s’appuyer sur la chaine d’approvisionnement alimentaire française. La formule "de la fourche à la fourchette" nous a évité les pénuries. Pour dire les choses simplement, admettons collectivement que nos agriculteurs ont fait le boulot : nourrir un pays à l’arrêt dans des conditions de qualité et de prix tout à fait respectables.
2. Seconde leçon intermédiaire : notre monde normé, organisé, administré n’a pas été capable de faire face à l’arrivée du virus. Jean-Charles Simon, directeur exécutif d'Optimind, une société de conseil, a ainsi écrit dans Les Echos ce jeudi : la sphère publique des Etats méditerranéens est apparue "comme un géant entravé, sclérosé par sa bureaucratie, ses lourdeurs, sa myopie et son impéritie. Pas de plan de crise, pas de préparation… pas de réactivité et d’agilité".
Rééquilibrage entre Jacobins et Girondins
Le constat est amer. Les exemples, hélas, se multiplient. En région parisienne, des pharmaciens ont par exemple reçu des masques livrés par la Région Ile-de-France. Ils ne peuvent ni les vendre, ni les donner, y compris aux personnes âgées fragiles. La crise nous apprend que l’Etat ne peut pas tout. La crise a montré l’efficacité des actions locales et régionales, des coopérations inter régionales.
Elle nous dit que l’on peut faire confiance aux élus locaux, aux exécutifs régionaux, que la décentralisation opérationnelle est efficace. A Paris, les grandes lignes, les politiques publiques ; aux élus de terrain, la mise en musique, l’adaptation aux besoins locaux, y compris quand il faut dépasser la norme commune. Bref, le coronavirus nous invite à une nouvelle partition des responsabilités dans le pays, à un rééquilibrage entre Jacobins et Girondins.
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