EXPLICATIONS - Mila, une adolescente iséroise de 16 ans, a déposé plainte après avoir reçu des menaces de morts en masse pour avoir exprimé son aversion pour la religion musulmane sur les réseaux sociaux. Mercredi, sur Europe 1, des propos de la garde des Sceaux jugeant que "l'insulte à la religion" était "une atteinte à la liberté de conscience" ont suscité une forte polémique, certains y voyant une reconnaissance du délit de blasphème. Que dit le droit français à ce sujet ?
Peut-on tout dire à propos d'une religion, et jusqu'où peut-on aller ? C'est la question encore une fois posée en France après l'affaire Mila, cette adolescente iséroise désormais placée sous protection policière après avoir été menacée de mort à de multiples reprises et cyberharcelée à cause de propos tenus sur Instagram où elle exprimait son aversion pour l'islam et pour "la religion".
L'adolescente de 16 ans, qui ne peut plus se rendre à son lycée, a déposé plainte et une enquête a été ouverte pour "menaces de mort". Mais le parquet a ouvert dans le même temps une autre enquête pour incitation à la haine raciale, une décision qui a suscité l'indignation des partisans du #JeSuisMila.
Interrogée sur Europe 1 mercredi 29 janvier, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a d'ailleurs relancé la polémique. "Dans une démocratie, la menace de mort est inacceptable", a-t-elle déclaré. Avant d'ajouter : "l'insulte à la religion c'est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c'est grave, mais ça n'a pas à avoir avec la menace [de mort]." La formulation "insulte à la religion" a suscité de fortes réactions, notamment chez des responsables politiques de gauche comme de droite, jugeant que la ministre validait ainsi une sorte de "délit de blasphème". Reconnaissant finalement une formulation "maladroite", Nicole Belloubet a assuré ne pas vouloir remettre en cause "le droit de critiquer une religion". "Les insultes et les discriminations à raison de l'appartenance religieuse sont des infractions", a-t-elle toutefois persisté. "Je n'ai absolument pas justifié le délit de blasphème."
Entre "délit de blasphème" pour les uns et "droit au blasphème" pour les autres, la situation interroge le droit français en la matière.
Le principe : la liberté d'expression
Dans le droit français, il n'existe aucune infraction punissant un "délit de blasphème" au sens d'une infraction sanctionnant des atteintes aux divinités, dogmes, croyances ou symboles religieux, comme le rappelait une étude réalisée en 2016 pour le Sénat. Une exception, qui concerne l'Alsace-Moselle, est un héritage du Code pénal allemande de 1871 mais cette disposition locale est tombée largement en désuétude et a été jugée inapplicable sur le territoire par le ministère de la Justice en décembre 2016.
En conséquence, les critiques, y compris les plus dures, portées au sujet d'une croyance, d'un symbole ou d'un dogme religieux relèvent de la liberté d'expression, consacrée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et traduite dans la loi du 21 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Sur le plan européen, les pays ayant des appréciations très différentes à ce sujet, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a estimé dès 1994 que l'absence de consensus laissait aux pays européens une large marge de manœuvre.
La protection des croyants
Cela étant, le droit français distingue la liberté de critiquer, même violemment, un culte, et celle de s'en prendre à ses fidèles. Comme le souligne la professeure de théologie politique Anastasia Colosimo dans un entretien à l'Institut Montaigne en décembre 2018, la loi Pleven de 1972 relative à la lutte contre le racisme a prolongé celle de 1881 en instaurant les délits "d'injure, de diffamation et de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination en raison de l'appartenance ou de la non-appartenance à une race, une ethnie, une nation ou une religion".
Cette législation a, selon la professeure, entraîné un questionnement juridique autour de la question de savoir si "insulter une religion en soi, ou des figures et des symboles d'une religion, revenait à offenser les adeptes de cette religion". La jurisprudence a clarifié les choses lors du procès intenté en 2007 contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo après la publication des caricatures de Mahomet. Il est possible, en France, de s'en prendre à un culte, mais interdit d'insulter ses adeptes.
A ce titre, la provocation à la haine à l'égard d'une personne ou d'une groupe de personnes à raison de la religion est punie d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende. Ce délit ne permet cependant pas de sanctionner des opinions hostiles à l'égard des religions ou des croyances, mais seulement "l'expression qui appellerait ou exhorterait à commettre des actes de discrimination ou de violences ou haine à l'égard des croyants", rappelle l'étude du Sénat. Enfin, l'appartenance ou non à une religion est également une circonstance aggravante dans le cas de la diffamation et de l'injure.
Sur le
même thème
- Qui est Hassan Iquioussen, l'imam fiché S que la France veut expulser ?Publié le 8 août 2022 à 13h30
- Droit à l'avortement menacé : "Les réactionnaires menacent l’esprit des Lumières"Publié le 28 juin 2022 à 19h07
- "Séparatisme" : les députés adoptent l'article dit "Samuel Paty" pour lutter contre la haine en lignePublié le 11 février 2021 à 6h57
- Liberté d'expression : qu’a-t-on le droit de dire ?Publié le 2 novembre 2020 à 23h55
- Qu'est-ce que le CCIF, menacé de dissolution par le gouvernement, et que lui reproche-t-on ?Publié le 23 octobre 2020 à 17h50
- Menacée de mort en janvier pour avoir critiqué l'islam, la jeune Mila de nouveau harcelée cet étéPublié le 10 septembre 2020 à 0h25
- Caricatures de Mahomet : "J'appelle les musulmans à l'indifférence", répond le Grand Imam de BordeauxPublié le 1 septembre 2020 à 13h46
- Affaire Mila : les Français partagés à 50/50 sur le droit au blasphèmePublié le 4 février 2020 à 23h57
- Festival communautaire à Paris : peut-on discriminer des catégories de personnes ?Publié le 29 mai 2017 à 20h48
- "L'islamophobie n'existe pas, ce n'est pas un délit" : comment Zemmour joue avec les mots pour nier une réalitéPublié le 4 avril 2019 à 20h32
Tout
TF1 Info
- 1Héritage : à la mort d'un parent, l'usufruit d’un bien immobilier disparaîtPublié le 25 janvier 2023 à 8h00
- 2Pas d'employé, pas de magasin : en Dordogne, ce boulanger travaille au bord de la route !Publié le 27 janvier 2023 à 16h35
- 3INFO TF1/LCI - Le fils d'Éric Dupond-Moretti en garde à vue à CourchevelPublié le 27 janvier 2023 à 12h33
- 4Disparition d'Aurélien à Rouen : "Nous gardons ce 1% d'espoir de le retrouver vivant"Publié le 27 janvier 2023 à 17h51
- 5Féminicide de Julie Douib : son ex-compagnon condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en appelPublié le 27 janvier 2023 à 23h50
- 6Arracher des souches peut vous coûter cherPublié le 26 janvier 2023 à 8h00
- 7VIDÉO - Corrèze : un village presque isolé après un éboulementPublié le 26 janvier 2023 à 18h08
- 8PHOTO - La Nasa capture une tête d'ours à la surface de MarsPublié hier à 11h09
- 10REVIVEZ - Mondial de handball : la France bat (enfin) la Suède et affrontera le Danemark en finalePublié le 27 janvier 2023 à 19h00
- 1Mondial de handball : une finale sans Nikola Karabatic ?Publié hier à 22h53
- 2Les femmes, gagnantes ou perdantes de la réforme des retraites ?Publié hier à 22h10
- 3Covid-19 : en cas de test positif, on ne sera plus obligé de s'isolerPublié hier à 22h01
- 7Météo du 28 janvier 2023 : Prévisions météo à 21h00Publié hier à 21h05
- 8Pérou : un car chute d'une falaise, de nombreuses victimesPublié hier à 21h00
- 9Le 20 heures du samedi 28 janvier 2023Publié hier à 20h40
- 10
- 1Les Stolpersteine, des pavés en hommage aux victimes du nazismePublié hier à 18h31
- 2Homosexualité et "péché" : la mise au point du pape FrançoisPublié hier à 17h54
- 325.000 étrangers naturalisés pour avoir été en première ligne face au CovidPublié hier à 16h52
- 4ENQUÊTE - Bordelais : que deviennent les châteaux achetés par des Chinois ?Publié le 27 janvier 2023 à 12h51
- 5Pénurie de main-d'œuvre : ces entreprises qui recrutent sans CVPublié le 26 janvier 2023 à 13h18
- 6Euromillions : un gagnant à 1 million d'euros recherché par la FDJ (et par nous aussi)Publié le 27 janvier 2023 à 14h43
- 7EN DIRECT - Retraites : Darmanin accuse la gauche de vouloir "bordéliser le pays"Publié le 22 janvier 2023 à 9h20
- 9VIDÉO - Plutôt que d'augmenter leur salaire, un patron normand offre... une voiture électrique à tous ses employésPublié le 27 janvier 2023 à 16h50
- 10Les demandes de changement de nom en forte haussePublié le 27 janvier 2023 à 11h40
- InternationalMort de Tyre Nichols : la nouvelle affaire qui choque l'Amérique
- Sujets de sociétéRetraites : 31 janvier, 2e round de la contestation contre la réforme
- InternationalL'Occident se résout à livrer des chars à l'Ukraine
- TransportsUn "incendie volontaire" paralyse la gare de l'Est
- PolitiqueLe PS se déchire sur l'élection de son patron