Pourquoi des élus proposent-ils de légaliser le cannabis à Paris même s'ils n'ont aucune chance d'y arriver ?

par Hugues GARNIER
Publié le 10 juillet 2019 à 18h37

Source : JT 20h Semaine

LÉGALISATION - Le Conseil de Paris se penche mercredi 10 juillet sur une proposition visant à expérimenter la consommation de cannabis à usage récréatif. Un souhait porté par le groupe Radical de gauche, Centre et Indépendants qui a (très) peu de chances de voir le jour.

Paris première ville française autorisant la consommation de cannabis ? C'est la proposition que soutient mercredi 10 juillet le groupe Radical de gauche, Centre et Indépendants (RGCI) au Conseil de Paris. Disons-le tout de suite, l'initiative n'a presque aucune chance d'aboutir mais ce n'est pas le but premier du groupe. "Notre objectif est de remettre la question sur le tapis", explique-t-on du côté des élus RGCI, qui assurent être soutenus par le groupe Génération.s, les élus écologistes et les élus communistes. 

Le sujet est pourtant boudé par les pouvoirs publics, constate Renaud Colson. "Cela tient à la culture politique française, à la timidité de nos hommes politiques sur ce sujet", explique à LCI le juriste, co-signataire d'une tribune appelant à une "légalisation encadrée" du cannabis dans le magazine L'Obs

Alors que ce sont environ 10 millions de Français qui ont admis avoir déjà consommé du cannabis, la question d'une voie ouverte à la légalisation du cannabis est de plus en plus populaire. Selon une enquête Ifop pour le think tank Terra Nova et le "lobby participatif" ECHO Citoyen, "51 % des Français seraient favorables à une régulation et un encadrement du cannabis" qui fixeraient "des règles concernant sa production, sa distribution et sa consommation tout en maintenant son interdiction dans certains cas." Un encadrement qui prendrait diverses formes : interdiction pour les mineurs et dans les lieux publics, réglementation similaire à celle du tabac, zonage des lieux de consommation etc. Mais la ville de Paris peut-elle à elle seule voter pour une légalisation encadrée du cannabis ? Impossible et ce pour plusieurs raisons. 

Une façon de mettre sur le tapis la question de la légalisation

"En l'état du droit, c'est inenvisageable", rappelle Renaud Colson à LCI, la décision de légaliser cette drogue "douce" revenant à la compétence du législateur. Le juriste explique que la capitale ne dispose pas "des ressources techniques pour organiser une légalisation "locale" du cannabis. [...] Ça n'est tout simplement pas quelque chose qui se décide à l'échelle d'une collectivité territoriale", indique le juriste. Renaud Colson salue toutefois la proposition initiée par plusieurs conseillers de la ville : "C'est de la gesticulation politique, mais il en faut ! Ça va dans le bon sens."

Ce n'est pas la première fois que la proposition de légaliser le cannabis est soulevée à l'échelle locale : des élus de Grenoble, Marseille, Châteauroux ou Villeurbanne militent régulièrement pour l'évolution de la loi de 1970. "Les industriels, les consommateurs et maintenant les élus locaux... Ça bouge partout sauf au gouvernement qui semble remarquablement peu intéressé par la politique des drogues et par les évolutions internationales qui la caractérisent", déplore Renaud Colson. Interviewé par LCI, le groupe RGCI du Conseil de Paris s'interroge sur les conséquences générées par cette loi : "Plusieurs élus parisiens, du XVIIIe et XIXe arrondissement, et de communes voisines voient aujourd'hui leurs quartiers gangrenés par les trafics. Il n'y a pas assez d'effectifs de police pour tout contrôler. Nous nous demandons si la loi en vigueur a eu un quelconque effet réel".

La loi de 1970 dans le viseur

La loi Mazeaud du 31 décembre 1970, relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite de substances vénéneuses, punit d'un an de prison et de 3 750 euros d'amende la consommation de cannabis. Une loi qui a produit des effets pervers : marché noir, violence, corruption, circulation de produits de mauvaise qualité et stigmatisation des usagers. 

Aujourd'hui, la loi de 1970 est décriée pour son inefficacité. Selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, près d'un Français sur deux (45%) aurait déjà consommé du cannabis, faisant de ce dernier la substance illicite la plus consommée en France.  Face à cette augmentation constante du nombre d'usagers, l'Assemblée nationale a voté en décembre 2018 la mise en place d'une amende forfaitaire de 200 euros pour toute consommation de cannabis. Mardi 2 juillet, une proposition de loi relative à la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis a été déposée à l'Assemblée nationale par le député François-Michel Lambert. Elle a été renvoyée à la Commission des affaires sociales.

Retombées économiques et pertinence thérapeutique

Sur cette questions, des organismes très sérieux émettent des recommandations. Le Conseil d'analyses économiques (CAE), think tank placé sous l'autorité du Premier ministre, dénonce l'approche répressive de la loi de 1970. Réclamant une légalisation étatique et contrôlée permettant de modérer la consommation de cannabis, le CAE publie également les éventuelles retombées économiques que pourrait générer cette légalisation. Entre 27.500 et 80.000 emplois pourraient être créés tandis que les recettes fiscales devraient s'élever entre 2 et 2,8 milliards d'euros.

Dans un autre aspect, plus thérapeutique, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a elle aussi étudié le sujet en mettant en place le Comité Scientifique Spécialisé Temporaire. Ce dernier proposait en décembre dernier que l’accès à l’usage du cannabis à visée thérapeutique fasse l’objet dans un premier temps d’une expérimentation, proposition qu'a suivi l'ANSM.

"C'est signe qu'au fond le sujet du cannabis n'est pas local mais national", précise le RGCI.  Mercredi 10 juillet, le groupe politique entend bien faire valoir ses arguments : "C'est l'occasion pour nous élus locaux d'en discuter avec nos autres collègues et d'adresser un message au gouvernement."


Hugues GARNIER

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