DÉCRYPTAGE - Une photo d'Antoine Griezmann, grimé en joueur de basket noir, a provoqué la controverse sur les réseaux sociaux, le contraignant à la retirer et à présenter ses excuses. Cette pratique, appelée le "blackface", est historiquement raciste.
Antoine Griezmann voulait rendre hommage aux Harlem Globetrotters. C'est loupé. Le célèbre attaquant de l'équipe de France de football a en fait créé la controverse ce dimanche soir après avoir posté une photo de lui, grimé en joueur de basket noir avec perruque. "Je reconnais que c'est maladroit de ma part. Si j'ai blessé certaines personnes, je m'en excuse", a écrit Griezmann sur son compte Twitter après avoir supprimé son post. Un peu plus tôt, il s'était justifié en écrivant : "Calmos les amis, je suis fan des Harlem Globetrotters et de cette belle époque... c'est un hommage".
Le photo a rapidement suscité une vague d’indignation sur Twitter, d’aucuns fustigeant une maladresse du footballeur, voire un dérapage raciste. Mais pourquoi ce déguisement pose-t-il problème ? Et en quoi est-il raciste ? Il faut remonter au XIXe siècle pour comprendre.
Pratique popularisée au XIXe siècle
Le déguisement du feu follet de l’Atlético Madrid est en effet ce qu'on appelle un "blackface". Cette pratique consiste à badigeonner de noir son visage et ses mains pour caricaturer les personnes noires. "Le blackface est un maquillage sombre porté par une personne blanche dans le but de ressembler à une personne noire", ajoute le dictionnaire Cambridge. Elle est apparue aux Etats-Unis en 1828 avec la chanson "Jump Jim Crow", interprétée par le comédien américain Thomas Rice. Le morceau, inspiré par Jim Cuff, un esclave paralysé, raconte les tribulations d'un homme noir originaire du sud de l'Amérique.
La "blackface" se popularise ensuite à travers les "minstrel shows", spectacles où des comédiens blancs se moquent des Noirs, le visage - et parfois le corps - grimé. L'expression "Jim Crow" devient alors progressivement un terme pour définir les Noirs américains. Elle donnera même son surnom aux lois Jim Crow (Jim Crow laws), qui officialisent la ségrégation raciale dans le Sud des Etats-Unis entre 1876 et 1964.
Dans un entretien à Slate, Pap Ndiaye, historien spécialiste de l'Amérique du Nord, note que "le ‘blackface’ s’est prolongé dans les premières décennies du XXe siècle au cinéma". "Les acteurs noirs étant absents, les personnages noirs étaient joués par des acteurs blancs grimés. Soit pour les caricaturer de manière ouvertement raciste, c’est le cas dans The Birth of a nation, soit de manière plus subtile comme dans Le Chanteur de Jazz, le premier film parlant", ajoute-t-il.
La pratique s'estompe ensuite progressivement dans les années 1960 avec Martin Luther King et l'apparition du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis.
"Blackface" aux carnavals de Dunkerque, de Lille ou de Nice
Mais si le "blackface" semble donc plus américain que français, l'Hexagone n'est pas exempt de tout reproche en la matière. "En France, il y a eu beaucoup de spectacles comme ça, explique Pap Ndiaye à Slate.fr. Comme au début du XXe siècle avec “Impressions d’Afrique” de Raymond Roussel ou “Malikoko, roi nègre”. Ce sont des spectacles dans lesquels on met en scène des Africains pour rire [...] Le deuxième va se jouer au théâtre du Châtelet et jusque dans les années 30".
"Le 'blackface' est une vielle tradition également pratiquée dans certaines régions françaises lors d'événements populaires, note de son côté Rue 89. Au carnaval de Dunkerque, de nombreuses personnes se déguisent en esclaves noirs. Tout comme au carnaval de Lille ou de Nice".
En 2013, la journaliste française Jeanne Deroo avait aussi créé la polémique malgré elle outre-Atlantique après s'être déguisée en Solange Knowles, la peau peinte en noir. Une éditorialiste du Huffington Post US avait d'ailleurs qualifié son déguisement de "horriblement insensible et raciste".
Ce n’est pas une maladresse, c’est un acte raciste
Le Cran
Ce lundi, le Conseil représentatif des Associations noires (Cran) a vivement condamé la pratique du "blackface" après la polémique Griezmann. "Ce n’est pas une maladresse, c’est un acte raciste", peut-on lire dans un communiqué publié sur le site du Cran. Le Cran a ensuite demandé à être reçu par Antoine Griezmann, par la Fédération française du football (FFF) et par la ministre des Sports Laura Flessel -nterrogée par le Huffington Post, celle-ci l'a défendu. "Je sais combien ce grand joueur est attaché à des valeurs d'humanisme et d'ouverture", a-t-elle dit à nos confrères.
Le Cran rappelle aussi que le "blackface" est une pratique reconnue comme "raciste" par les Nations unies et plus récemment par le Défenseur des droits. "Nul n’ignore que le fait de se grimer en noir renvoie à une vision péjorative et humiliante des personnes noires", précise en effet ce dernier dans une décision rendue en mars 2017.
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