Pourquoi les Français sont-ils parfois mal à l'aise avec leur drapeau ?

par Sibylle LAURENT
Publié le 26 novembre 2015 à 18h35

ANALYSE - Depuis les attentats du 13 novembre à Paris, le drapeau français est partout, à nouveau érigé comme symbole de l’unité nationale. Pourtant, ces dernières années, le brandir à tout-va suscitait pourtant la réticence ou la méfiance, à la fois chez les Français mais aussi chez les politiques. Pourquoi ? Eléments de réponse avec Joshua Adel, historien des idées politiques.

Y a-t-il vraiment un problème en France avec le drapeau et les symboles nationaux ?
Il y a clairement un problème en France autour de la question du patriotisme. Pourtant, être républicain et patriote, c’est affirmer son attachement à une conception humaniste, universaliste, ouverte et inachevée de l’identité nationale. Mais aujourd’hui, pour certains, c’est devenu quelque chose de honteux ou de dépassé. Voire d'un peu fasciste...

D’où vient ce désamour des Français pour leur drapeau ?
C’est à mettre en corrélation avec la construction de l’Union européenne. En France, la construction de l’Europe a amené les grands partis de gouvernement à délaisser l’Etat-Nation pour se projeter dans le fédéralisme européen. A partir de ce moment, s’est répandue l’idée que revendiquer son pays, dire qu'on aime son pays, c’est être un peu chauvin. Et cela vaut pour les symboles : drapeau ou hymne national. Et le terrain déserté a été investi par d’autres. D’abord des courants souverainistes, comme le Mouvement républicain et citoyen de Jean-Pierre Chevènement, ou à droite, avec le le Rassemblement pour la France de Charles Pasqua, dans la tradition gaulliste.

Et le Front national ?
C'est effectivement la force politique qui a pleinement récupéré le drapeau, depuis la création du parti. Au FN, il est chargé d’une double connotation : version Jean-Marie Le Pen, où le drapeau est utilisé avec les présupposés d'une France colonisatrice, civilisatrice, nationaliste, flirtant avec le racisme. Il y a aussi une version "dédiabolisée", incarnée par Marine Le Pen, qui reprend la rhétorique patriotique classique, comme le montrent les derniers discours de Florian Philippot. Aujourd’hui, la récupération opérée par le FN - et c’est une vraie nouveauté à l’extrême droite - consiste à se glisser dans les habits de la République, en s'appropriant ses symboles. Tout cela pose une vraie difficulté pour les autres partis. On se souvient du débat ouvert par Ségolène Royal quand elle avait proposé de ressortir le drapeau français pendant la campagne présidentielle de 2007. Le sujet relevait pour beaucoup de la rhétorique d’extrême droite et avait soulevé un tollé à gauche.

Pourtant, d’autres pays européens, comme l’Italie ou le Portugal n’ont pas ce rapport ambigu avec leur drapeau, on en trouve partout…
Ces pays sont des constructions d’Etats-Nations très récentes, où l’unité nationale est arrivée tardivement, à l’inverse de la France, qui est dans ses frontières hexagonales depuis Louis XIV. L’attachement aux valeurs patriotiques est plus fort chez les jeunes patries.

Faut-il prendre exemple sur les Etats-Unis ?
On a cette espèce de cliché sur les Etats-Unis, où le drapeau est hissé dans tous les jardins, l’hymne chanté à tout bout de champ. Pourtant, ils n’ont pas comme en France, une loi d’outrage aux symboles nationaux (votée en 2003, ndlr) . Là-bas, s’ils ont envie de siffler l’hymne ou brûler le drapeau, ils peuvent le faire. Pourtant, le sentiment patriotique est bien réel. En fait, aux Etats-Unis, l’identité nationale repose sur le sentiment d’appartenance à une tradition d’immigration, d’ouverture. Barack Obama l’a encore montré dans ses derniers discours sur l’accueil des réfugiés syriens : "Tout ce sentiment anti-immigrants qui est présent dans le débat politique en ce moment est contraire à ce que nous sommes", a-t-il dit. Le président américain n’a pas à dire que l’on pavoise : il y a un patriotisme d’adhésion, choisi par une Nation qui se considère comme fille d’immigration. En France, il faut un événement extraordinaire - heureux ou tragique - pour faire naître ce sentiment.

Ce sentiment patriotique peut-il perdurer dans le temps ?
Les événements que nous vivons montrent un double mouvement : l'un spontané, comme ces démonstrations place de la République ou cet attachement populaire à l’unité. Et en même temps, il existe une parole d’autorité, celle de François Hollande, qui accompagne ce sentiment d'union nationale. Mais cela n'est pas suffisant pour faire naître un élan patriotique qui dure dans le temps. On peut parier que, dans la foulée de la journée de commémoration de vendredi, nous allons assister à un concours Lépine des idées politiques : chacun va y aller de sa proposition pour se réapproprier les symboles nationaux. Mais le vrai défi est de pouvoir leur redonner du sens. Nous avons déjà nos symboles, comme par exemple les commémorations du 11-Novembre, issus de la culture et l'histoire française et de la Révolution. Il faut les réinvestir, leur redonner du sens. La drapeau ou La Marseillaise ont trop longtemps été considérés comme synonymes de repli sur soi. 

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Sibylle LAURENT

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