Précarité énergétique : 12 millions de Français "vivent déjà dans une sobriété de fait, pas choisie, mais subie"

par Maëlane LOAËC
Publié le 6 septembre 2022 à 19h45, mis à jour le 7 septembre 2022 à 15h11

Source : TF1 Info

Emmanuel Macron a appelé les Français à se mobiliser pour atteindre la sobriété énergétique, en réduisant d'eux-mêmes leurs consommations.
Un objectif hors d'atteinte pour les quelque 12 millions de Français qui peinent déjà à se chauffer, pointent des associations.
Elles appellent l'État à investir dans la rénovation thermique complète de leurs logements.

"On doit tous se bouger !" : à l'approche d'un hiver placé sous le signe de tensions sur l'énergie, Emmanuel Macron a enjoint lundi les Français à la "sobriété volontaire" par de bons réflexes, comme diminuer la climatisation et mettre "le chauffage un peu moins fort que d'habitude" cet hiver, aux alentours de 19 degrés. Un "rendez-vous" difficile à honorer pour une tranche conséquente de la population : en France, une personne sur cinq est victime de précarité énergétique. 

Quelque 12 millions d'habitants peinent ainsi à chauffer correctement leur logement à un coût décent. Gilles Berhault, délégué général de l'association Stop exclusion énergétique, compte même 500.000 situations d'urgence, des passoires thermiques hébergeant en moyenne des individus gagnant moins de 10 euros par jour et qui nécessitent des rénovations complètes. "Ce sont des gens qui, la plupart du temps, aimeraient être à 19 degrés chez eux", pointe-t-il. 

"Les classes moyennes basculent aussi"

"Il y a un décalage entre la réalité de terrain et ces discours autour de la sobriété. La plupart des ménages en précarité énergétique sont déjà dans la privation depuis des décennies et vivent dans une sobriété de fait, pas choisie, mais subie", abonde Claire Bailly, responsable de projets Précarité énergétique pour l'association CLER-Réseau pour la transition énergétique. "Et leur nombre augmente : à cause de l'augmentation des prix, les classes moyennes basculent aussi dans cette précarité", alerte-t-elle.

Faute de moyens, ces foyers sont souvent captifs d'un logement mal isolé, avec des conséquences délétères sur la santé. Vulnérables face à la croissance du prix de l'énergie, ils voient leurs factures grimper jusqu'à 2000 euros par an, sans réussir à se chauffer correctement en hiver ni se rafraîchir en été, note la spécialiste. Sur son site, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) précise ainsi que dans le cas d'un mur non isolé, avec une température extérieure à zéro degré et un thermomètre à 20 degrés à l'intérieur, la température ressentie dans le logement avoisine les 16 degrés seulement. 

Face à l'urgence d'un hiver qui pourrait se faire très rigoureux, les responsables associatifs plaident pour une augmentation des aides du gouvernement pour les plus modestes, à l'instar du chèque énergie. Ils reconnaissent toutefois une "massification" des aides à la rénovation énergétique ces dernières années, notamment depuis la mise en place en 2020 de la subvention MaPrimeRénov', renforcée après le déclenchement de la guerre en Ukraine

"Nous ne sommes pas du tout au bon rythme ni au bon niveau d'ambition"

Mais si elle a bénéficié à plus d'un million de logements depuis 2020, "ce sont à 86% des gestes uniques : changer une chaudière, ou des fenêtres, ou isoler les combles", relève Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé-Pierre, qui regrette "une solution de facilité". Comme les autres associations, il appelle à une politique de rénovation complète des logements, avec des investissements sur le long terme. "Si on n'accélère pas, on aura peut-être encore quatre millions de passoires thermiques dans dix ans. Malgré les apparences, nous ne sommes pas du tout au bon rythme ni au bon niveau d'ambition", lance-t-il. "Le nombre de logements bénéficiant d'une rénovation complète et performante stagne à moins de 100.000 par an depuis des années", insiste Claire Bailly.

La rénovation complète engendre toutefois des frais considérables : en moyenne 16.000 euros pour gagner une classe énergétique, 26.000 pour deux ou plus, selon une enquête de l'Ademe de 2017. D'après un scénario élaboré par la fondation Abbé-Pierre, l'État parviendrait à amortir en 25 ans en moyenne son investissement dans ce type de chantier. Mais pour Manuel Domergue, le jeu en vaut la chandelle : "plus les prix de l'énergie augmentent, plus ces investissements sont rentabilisés rapidement", assure-t-il. 

Les responsables insistent également sur la nécessité d'accompagner les ménages face à la complexité administrative du parcours de rénovation. "Il y a un vrai risque d'arrêt dans ce parcours pour les plus modestes, parce qu'il existe plus de 15 mécanismes nationaux et plus de 2000 aides locales", souligne Claire Bailly, dont l'association propose un programme de repérage des ménages concernés, de visites et d'accompagnement, en partenariat avec les collectivités. 

"C'est une question de financement, mais aussi de compétences", ajoute Gilles Berhault, qui appelle les différents acteurs à se mobiliser ensemble. Son collectif forme actuellement dix personnes à un nouveau métier, celui d'"ensemblier solidaire", capable de suivre les dossiers de candidature pour obtenir des aides, mais aussi l'ensemble du chantier. Il espère en former bien davantage dès l'année prochaine. 


Maëlane LOAËC

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