INTERVIEW - Les accusations de "viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité" visant Olivier Duhamel relancent le débat sur la prescription des crimes sexuels. La psychiatre Muriel Salmona réclame l'imprescriptibilité de ces crimes depuis de nombreuses années, et dénonce auprès de LCI leur "impunité".
Faut-il rendre imprescriptibles les crimes sexuels ? Les accusations d’inceste visant le politologue Olivier Duhamel relancent le débat, à l'image du mouvement #MetooInceste qui explose sur les réseaux sociaux. Depuis la loi Schiappa de 2018, le délai de prescription pour les crimes sexuels sur les mineurs a été allongé de 20 à 30 ans à compter de la majorité des victimes. Mais elle n’est pas applicable aux faits déjà prescrits, comme cela pourrait être le cas de ceux dénoncés par la juriste Camille Kouchner. Dans La Familia grande, à paraître jeudi 7 décembre, elle accuse son beau-père d’avoir agressé sexuellement son frère jumeau lorsqu’il était adolescent à la fin des années 1980.
Le parquet de Paris a annoncé mardi 5 décembre l’ouverture d’une enquête pour "viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité". Le procureur de Paris Rémy Heitz a indiqué que qu'elle "s'attachera à faire la lumière sur ces faits, à identifier toute autre victime potentielle et à vérifier l'éventuelle prescription de l'action publique". Alors qu'une nouvelle prescription semble probable, de nombreuses associations de victimes réclament l'imprescriptibilité des crimes sexuels. C'est le cas de Mémoire Traumatique et Victimologie, créée et présidée par la psychiatre et psychotraumatologue Muriel Salmona, qui a répondu aux questions de LCI.
Vous réclamez depuis longtemps l'imprescriptibilité des crimes sexuels, pourquoi ?
L’impunité est un facteur aggravant de ces violences. La justice ne doit rien laisser passer, notamment parce que les enquêtes permettent de rechercher et découvrir de nouvelles victimes, et donc d'en éviter d'autres. Les auteurs de violences sexuelles sont souvent des prédateurs qui font des victimes de proches en proches, d’années en années et de générations en générations. Il est donc important de pouvoir les poursuivre quel que soit le temps écoulé depuis l'agression.
L'autre élément important à prendre en compte, c'est le temps qu’il faut aux victimes pour pouvoir parler. Les victimes de violences commises par des proches mettent énormément de temps à parler. Car rester en contact avec l’agresseur, continuer à subir une emprise, des menaces ou des manipulations entraîne des risques importants d’amnésie traumatique. Ainsi, l’événement se met dans une sorte de brouillard, n’est pas accessible, et ne permet pas d’avoir l’énergie, la colère, la volonté nécessaire pour obtenir justice.
On peut parler de guerre contre les enfants
En 2018 lors du vote de la loi Schiappa, les députés s'étaient prononcés contre un amendement rendant les crimes sexuels imprescriptibles, en avançant l'argument qu'il fallait laisser cela aux crimes contre l'humanité. Vous, vous estimez que les crimes sexuels sont des crimes contre l'humanité.
Oui, il s'agit de crimes de masse, systémiques, d'une violation des droits humains extrêmement grave. On peut parler de guerre contre les enfants. Il faut reconnaître la gravité, le problème humain, de société, de santé publique qu'il y a derrière pour pouvoir agir de façon efficace et permettre aux victimes d’obtenir justice.
Camille Kouchner propose de "faire de l’inceste une infraction spécifique", notamment pour la prescription, car il est normal "qu’on mette plus de temps à parler des siens que d’un inconnu", estime-t-elle. Y a-t-il une spécificité à l'inceste ?
Ce que nous avons proposé dans le passé, c’est de faire des crimes sexuels sur mineurs de moins de 15 ans une infraction spécifique où la notion de consentement n'est pas recherchée, n'est pas à prouver. Et nous souhaitions relever l'âge à 18 ans pour les cas d'inceste. Mais je pense qu’il faut faire très attention car la spécificité peut entraîner une minimisation du crime. Par exemple si on crée une spécificité de crime d’inceste, cela va faire disparaître la notion de viol. Or, il est mauvais de ne pas utiliser les bons mots. Déjà dans la pédocriminalité, nous avons tendance à utiliser des mots qui minimisent ou masquent la réalité des faits : "abus sexuels", "pédophilie"...
Par ailleurs, de nombreuses situations sont comparables à l’inceste quand il s’agit d’enfants qui ont été violés au sein d’institutions, ou de jeunes sportifs agressés par leurs entraîneurs comme Sarah Abitbol. Il faut prendre garde à ne pas trop isoler les choses et se dire que tout est lié. La pédocriminalité sur le Net est liée à l’inceste, par exemple. Et les auteurs d’inceste vont pouvoir être auteurs de violences sexuelles par ailleurs, à l'instar de Joël Le Scouarnec.
Nous sommes face à une impunité totale
Faut-il également travailler sur la non-dénonciation des faits par l'entourage et les proches des victimes ?
La "non-dénonciation" est prescrite au bout de six ans, il serait possible d'allonger ce délai. Mais outre l’entourage qui ne dénonce pas les faits, les défaillances sont multiples. Les professionnels de l'enfance dépistent trop peu souvent les victimes de crimes sexuels, les médecins les envisagent trop peu souvent face à un jeune adulte ou un adolescent en mauvais état. Donc il faudrait que tout le monde s’y mette, et avant tout que les lois soient appliquées. Pour rappel, seules 10% des victimes, mineures et majeures, portent plainte pour viol. 74% sont classées sans suite. Sur les 26% restants la moitié sont déqualifiées en agression sexuelle ou atteinte sexuelle. Au final, seulement 1% de l’ensemble des plaintes pour viols vont accéder à la justice en cours d’assises. Nous sommes-là face à une impunité totale.
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