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Prix Nobel : les chercheurs en France moins bien lotis qu'en Allemagne ?

Publié le 10 octobre 2020 à 8h30
Les laboratoires allemands bénéficient dans leur ensemble de financement plus conséquents.

Les laboratoires allemands bénéficient dans leur ensemble de financement plus conséquents.

Source : FRANCOIS LO PRESTI / AFP

DEUX MODÈLES – Récompensée d'un prix Nobel de chimie, la chercheuse française Emmanuelle Charpentier estime qu'elle n'aurait pas dans l'Hexagone autant de moyens à sa disposition qu'elle n'en a en Allemagne, où elle travaille. Pour y voir plus clair, LCI s'est penché sur les modèles de financement de la recherche des deux côtés du Rhin.

Tout juste récompensée d'un prestigieux prix Nobel de chimie, la chercheuse française Emmanuelle Charpentier a partagé sa joie auprès des médias qui se sont rués pour l'interroger. Une distinction synonyme de de reconnaissance majeure pour cette scientifique, installée aujourd'hui à Berlin et qui a indiqué avoir eu du mal "à comprendre que c'était réel"

Au micro de France 2, elle s'est exprimée sur ce Nobel et est revenue sur l'opportunité qu'elle a eu d'aller travailler outre-Rhin : "Je pense que la France aurait du mal à me donner les moyens que me donne l'Allemagne", a-t-elle estimé, avant de souligner que "ça ne veut pas dire que tout le monde à de bons moyens en Allemagne". S'il est difficile de savoir si Emmanuelle Charpentier aurait pu mener en France ses travaux avec le même succès, force est de constater que d'importantes disparités existent en matière de recherche entre les deux pays.

L'argent, nerf de la guerre

Le ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, sur son site, se félicite qu'avec "9,3 chercheurs pour 1 000 actifs, la France se place derrière la Corée du Sud et le Japon, mais devant le Royaume-Uni, l’Allemagne et les États-Unis". Il note par ailleurs qu'avec "2,24 % du PIB consacré à la recherche intérieure, la France se situe à la 5e place parmi les six pays les plus importants en termes de dépense intérieure de recherche et développement expérimental" au sein de l’OCDE.

Une différence émerge pourtant assez rapidement avec l'Allemagne qui y consacre pour sa part 2,9% de son PIB. Un soutien de la puissance publique qui fait écho aux propos d'Emmanuelle Charpentier, mais qui doit aussi être mis en relation avec le niveau des salaires, beaucoup plus élevés chez nos voisins. Patrick Monfort, secrétaire général du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS) y voit une faiblesse majeure du système français : "On est payé deux fois moins chez nous pour un poste égal", assure-t-il.

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Un constat effectué également par Ivan Guermeur, directeur d'études en égyptologie à l'Ecole pratique des hautes études. Passé durant 4 ans par l'Allemagne dans le cadre de ses recherches, il prend l'exemple d'un confrère du même âge que lui, et qui "gagne à peu près deux fois plus". Cela vaut d'ailleurs, précise-t-il, "à tous les étages de la hiérarchie".

Son expérience lui fait également dire que les financements des projets menés dans les laboratoires sont plus faciles à obtenir. "Le taux de réussite est très faible en France pour les gens qui déposent des dossiers [environ 15%, NDLR], mais bien supérieur outre-Rhin. Plus proche à mon sens des 40%. Cela s'accompagne d'une plus grande souplesse, puisque "pour la gestion des crédits, le système allemand est infiniment plus simple". Ivan Guermeur regrette le "temps infini" passé à justifier les dépenses réalisées en France, et avoue ne pas être surpris le moins du monde par les propos de sa consœur chercheuse en chimie. "Qu'elle ait trouvé de meilleures conditions en Allemagne me semble évident", glisse-t-il.

Un modèle qui a ses failles

Faut-il pour autant vanter le "modèle allemand" et chercher à l'importer ? Pas forcément, selon Patrick Monfort, puisque "chaque pays à le sien". Dans son histoire, "la recherche française n'a pas failli", lance-t-il, d'autant qu'elle "reste de haut niveau à l'international". Si notre modèle a été capable d'évoluer au plus haut niveau, il estime néanmoins que des investissements sont aujourd'hui nécessaires pour la pérenniser. 

Côté allemand, la vie d'un chercheur n'est par ailleurs pas forcément idyllique. "Beaucoup de moyens, peu d’élus", titrait ainsi Libération en juin dernier l'un de ses articles, consacré à la recherche outre-Rhin. "Il y a toujours un institut ou une fondation qui sont prêts à lâcher quelque chose. En revanche, malgré cette abondance de moyens, les conditions de financement et de travail sont plus précaires qu’en France", glissait un universitaire interrogé par le quotidien. Soulignant en passant que "les périodes de financement n’excèdent jamais trois ans renouvelables une ou deux fois". Et que "toutes les demandes doivent être approuvées par les professeurs d’université titulaires, qui sont les gardiens tout-puissants du système."

"Leur fonctionnement n'est pas non plus parfait", abonde Ivan Guermeur. "Des collègues très compétents en Allemagne n'arrivent pas à obtenir de postes durables... Le recrutement se fait par université, il pas globalisé." Autre point à souligner selon lui : le fait que le système allemand soit largement basé sur l'université, se retrouvant ainsi en partie dépendant de l'attrait des étudiants pour tel ou tel domaine. Si celui-ci diminue, le risque est réel pour des disciplines rares, qui pourraient s'avérer "moins préservées". Ce n'est pas le cas en France, "en grande partie grâce au rôle joué par le CNRS". Un aspect souligné par le chercheur et auquel il se montre sensible, lui-même spécialisé en égyptologie.

La France pénalisée par son industrie

Patrick Monfort, secrétaire général du SNCS voit d'un bon œil un forme de prise de conscience par la classe politique du sous-investissement du public dans la recherche française. Mais indique toutefois que les investissements du privé se révèlent insuffisants. "Le secteur industriel allemand est bien plus fort, c'est une certitude, et on constate un plus gros soutien en matière de R&D."

Fort de son expérience chez nos voisins, Ivan Guermeur partage cette analyse et juge l'apport du secteur industriel "bien plus fort". Les écoles d'ingénieurs, par exemple, "évoluent parfois en parallèle des universités et se révèlent très liées aux industries." Une organisation qui "fonctionne assez bien" à ses yeux, et qui rend possibles "des interactions plus fortes". Il fait enfin remarquer que "dans le système allemand, l'on observe beaucoup de fondations pour la recherche. Thyssen, Volkswagen… Elles financent de nombreux de domaines de la recherche et proposent parfois des postes contractuels." En France, c'est "quelque chose de très rare".

En conclusion, on peut souligner que le système de recherche français affiche des lacunes lorsqu'on le compare à l'Allemagne, mais qu'il ne serait pas forcément légitime de vouloir l'adapter à l'identique dans notre pays. Si les financements et les salaires outre-Rhin sont conséquents (et bien plus importants que dans l'Hexagone), portés en partie par le secteur industriel, il existe d'importantes disparités entre les chercheurs. Les plus jeunes, notamment, peinent bien souvent à décrocher des postes pérennes et à s'installer durablement. Si les propos d'Emmanuelle Charpentier semblent assez logiques aux yeux des chercheurs français interrogés, il ne faut pas négliger la suite de ses déclarations, consistant à rappeler que tout le monde en Allemagne ne bénéficiait pas des mêmes avantages qu'elle dans le monde de la recherche scientifique. 

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Thomas DESZPOT

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