"Produits marquants codés" : trois questions sur cette encre indélébile et invisible pour tracer les casseurs

Publié le 19 mars 2019 à 17h10, mis à jour le 19 mars 2019 à 20h30

Source : Sujet TF1 Info

ECLAIRAGE - En réponse aux violences inédites survenues lors de l'acte 18 des Gilets jaunes, Edouard Philippe a dévoilé un arsenal de nouvelles mesures parmi lesquelles l'utilisation de PMC, une sorte d'encre indélébile et invisible qui permet de marquer des manifestants. En quoi consiste cette technologie et peut-elle suffire à faire condamner quelqu'un ?

PMC : si l'acronyme demeure peu familier du grand public, le dispositif qui se cache derrière pourrait rapidement devenir la nouvelle arme des forces de l'ordre pour assurer le maintien de l'ordre pendant les manifestations et identifier les fauteurs de troubles. Après les violences qui ont émaillé le rassemblement des Gilets jaunes lors du 18ème samedi de mobilisation nationale, Edouard Philippe a annoncé ce lundi, dans la foulée de l'interdiction des manifestations de Gilets jaunes dans plusieurs quartiers, dont les Champs Élysées en cas de présence "d'éléments ultras", une série de moyens supplémentaires à disposition des forces de l'ordre, parmi lesquels les "Produits marquants codés".

En quoi consiste cette technologie ? Comment sera-t-elle utilisée sur le terrain ? Peut-elle suffire, dans le cadre d'une procédure pénale, à faire condamner quelqu'un ? LCI a posé ces questions à un avocat qui s'était intéressé à cet arsenal, expérimenté depuis près d'un an, en mai dernier.

Qu'est-ce que les PMC ? 

Maître Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris : Ce sont des produits chimiques spécifiques incolores, inodores, et a priori non toxiques qui ont la particularité de pouvoir rester assez longtemps sur la cible sur laquelle ils ont été propulsés. Mais leur immense particularité c’est surtout qu’ils sont encodés, c’est-à-dire qu’ils  sont marqués comme un ADN ce qui permet d’attester qu’ils ont été envoyés tel jour, à telle heure, à tel endroit. Ces produits se sont développés au fil du temps : historiquement, ces marqueurs chimiques trouvent leur origine dans le marquage des billets dans les banques. Mais dans ce cas, il fallait au contraire que le marquage soit visible donc on propulsait de l’encre bleue ou rouge sur les personnes qui ouvraient le coffre. Puis, on a sophistiqué ces produits pour ensuite marquer de manière invisible notamment dans le cadre de la protection des objets d’art et des bijoux.

L’idée est ensuite venue assez naturellement de pouvoir appliquer le procédé à la surveillance des personnes. Dans ce cas, concrètement, il s’agit d’identifier de manière extrêmement précise quelqu’un qui a été touché. L’expérimentation avait déjà commencé au printemps dernier dans le cadre des manifestations du 1er mai et ce type de marquage se pratique aussi déjà dans les pays anglo-saxons notamment aux Etats-Unis ou ça a déjà été testé, ainsi qu'en Inde.

Dans la pratique, comme ces produits vont être utilisés ? 

Me Thierry Vallat : Dans la mesure où ces produits peuvent être mélangés soit à de l’eau soit dans du gaz, il est possible de les pulvériser lors de manifestations via des canons à eau, des grenades ou bombes lacrymogènes, sur les groupes de personnes que l’on veut marquer. On peut aussi imaginer des jets plus compacts, donc manuels, que des forces de police pourraient utiliser en s’infiltrant dans des groupes de casseurs. Pour éviter de se retrouver en danger, il s’agirait alors de faire une petite pulvérisation "ni vu ni connu". 

Concrètement, il faut imaginer des groupes violents à l’œuvre, le produit est alors dispersé : si les fauteurs de troubles sont interpellés sur le champ c’est parfait, sinon il sera désormais possible de les retrouver a posteriori. Mais on en est vraiment aux balbutiements de cette technique : si elle semble fiable, il va falloir voir à la lueur des prochaines manifestations si ces marquages ont vraiment suivis d’effets.

Justement, juridiquement, est-ce suffisant pour être condamné ?

Me Thierry Vallat : En France, on sait donc que des tests ont déjà été menés lors de manifestations précédentes. Je n’ai pas encore eu connaissance de cas dans lesquels quelqu’un aurait été marqué pendant une manifestation, puis retrouvé par la police et finalement condamné mais le fait qu’on n’ait pas encore de retour judiciaire semble assez logique compte-tenu du fait qu’on se trouve dans le cadre d’une instruction et pas dans celui de la comparution immédiate. Mais petit à petit, une jurisprudence va commencer à se forger c'est certain.

A ce stade, il n’existe aucun texte à ma connaissance qui régit le modus operandi mais il va en falloir un. Le problème c’est que le ciblage de ces groupes en question ne va peut-être pas se faire de manière aussi fine qu’on le souhaiterait. Selon moi, la première difficulté qui va se présenter consistera à expliquer avec précision comment une personne qui a été marquée fait bien partie d’un groupe violent et n’est pas simplement un passant  qui a reçu des gouttes par ricochet.

Si ça n’est pas possible, le marquage ne pourra qu’attester la présence de la personne à un moment donné, à cet endroit-là. Ni plus ni moins. En tout cas, personnellement, si j’avais à défendre quelqu’un qui s’est fait interpeller avec ce type de produit sur lui, c’est forcément la ligne de défense que j'adopterais en disant "mon client était effectivement présent à tel endroit, il a reçu ce produit on ne le conteste pas" mais la loi pénale est stricte d’application et en l’espèce, rien de prouve que cette personne se trouvait là pour prendre part à une action violente. 

Dans le cadre d’une procédure pénale, le marquage ne suffira donc pas à lui seul pour faire condamner quelqu’un mais devra nécessairement être corroboré par les autres indices et données de l’enquête. 


Audrey LE GUELLEC

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