Prof rejetée à La Réunion car elle vient de Nantes : "C’est de la discrimination"

par Sibylle LAURENT
Publié le 10 octobre 2016 à 14h11
Prof rejetée à La Réunion car elle vient de Nantes : "C’est de la discrimination"
Source : AFP

POLÉMIQUE - Virginie Chaillou-Atrous, enseignante chercheuse à Nantes, avait remporté un concours pour devenir maître de conférences à L’université de la Réunion. Sauf que, depuis six mois, elle affronte sur place une fronde menée par quelques enseignants et des associations identitaires, qui estiment qu’un candidat local a été lésé. Virginie Chaillou-Atrous raconte.

"Ça n’a pas de sens. Je suis nommée, mais je ne peux pas occuper mon poste.  Parce que je suis Nantaise." Virginie Chaillou-Atrous, enseignante à l’Université de Nantes spécialisée dans l’histoire de la Réunion, a remporté début 2016 le concours pour occuper un poste au sein de l’Université de l'île. Sauf que, à cause d’une mobilisation locale lancée après l’annonce de sa nomination, celle-ci a été suspendue. Depuis, Virginie Chaillou-Atrous est dans l’attente. "Il n’y a pas une journée sans que je ne doive faire face à un article de presse insultant de la presse locale, raconte-t-elle à LCI. Alors que j’ai juste postulé à un concours dont l’intitulé était l’exact titre de ma thèse, et que c’était le rêve de ma vie de retourner là-bas !" Et l’histoire dure, dure…

Retour en juillet 2014. Un ponte de l’Université de la Réunion, le professeur Sudel Fuma, disparaît. Pour le remplacer, l’établissement met au concours un emploi de maître de conférences "Histoire de l’esclavage, de l’engagisme et de l’économie des colonies dans les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien aux XVIIIe et XIXe". Virginie Chaillou-Atrous postule. C’est pile-poil sa spécialité. "Je suis une spécialiste de la Réunion, de l’Océan indien, des migrations forcées sur l'île", explique-t-elle. "Toutes mes sources sont là-bas, c’est l’endroit au monde où je voudrais être. J’y ai déjà habité. A la base, je ne partais pas en terre inconnue, et ne pensais pas partir en terrain hostile..."  Elle est retenue avec un autre candidat. Ils sont tous deux de la métropole. Mais le concours est annulé. Il sera reproposé un an plus tard. Virginie Chaillou postule une deuxième fois. Elle est à nouveau retenue par le comité de sélection, première devant un autre candidat, un Réunionnais de 59 ans.

"C'est de Nantes, port négrier, que l’on veut écrire l’histoire de l’esclavage à la Réunion"

Et c’est là que les ennuis commencent. "Des associations et lobbys identitaires ont commencé à s’agiter, ont écrit au président de l’Université, disant qu’ils ne voulaient pas d'une Nantaise à ce poste, que c’était une insulte." En tête des énervés, le Crefom, Conseil représentatif des Français de l'Outre-mer, et un collectif d’associations qui vient de se constituer pour défendre l’emploi local, Lantant Pou Lanplwa Lokal (LAPLL). La presse locale embraie, des intellectuels aussi. Un metteur en scène dénonce ainsi, dans une tribune publiée par un quotidien réunionais, "un outrage, un crachat à la figure", qui voudrait "priver un peuple du droit d’écrire sa propre histoire". D’autant plus que ce n’est "pas de n’importe quelle ville, mais de Nantes, port négrier, que l’on veut écrire l’histoire de l’esclavage à la Réunion. "

"Pourtant, mon dossier a été validé jusqu’au bout, le ministère m’a nommé à ce poste, c’est dire l’ampleur de la folie", s'étonne Virginie Chaillou-Atrous. Malgré la pression médiatique, le 9 juin dernier, elle entre sur la base de données du ministère et accepte son poste. "L’après-midi, les associations étaient devant le tribunal administratif, invoquant un vice de procédure." Résultat en juillet, le tribunal décide de suspendre la nomination de la professeure, en attendant un jugement sur le fond. 

Une "préférence hexagonale" en écartant un candidat local ?

"On en est là", souffle Virginie Chaillou-Atrous. Depuis, c’est le stand-by. Ou plutôt, la lutte des camps. Car des universitaires français commencent à se mobiliser derrière l'enseignante. Cet été, en métropole, quelques-uns ont envoyé une tribune à tous les historiens. Dans la foulée, une pétition a été lancée il y a 4 jours, relayée par des professeurs émérites, demandant le "droit au mérite", qui "doit primer sur l’origine". "L’Université de La Réunion doit, comme les autres, échapper aux considérations locales pour affirmer son excellence", écrivent les historiens.  "Le but est de dire qu’il ne peut pas y avoir une ingérence d’associations identitaires dans les nominations de professeurs", commente Virginie Chaillou-Atrous. "D’après les règles de la République, qui s’appliquent dans tous les départements français,  le recrutement est national, on ne peut pas faire de la préférence régionale." Volonté est également affichée de mettre un petit coup de pression sur le ministère de l’Education nationale, pour que l’affaire soit jugée rapidement sur le fond. 

Dans un droit de réponse au journal Ouest-France, qui a publié vendredi un article sur le sujet, le Crefom se défend de toute attaque contre la maître de conférences, estimant que c’est plutôt le candidat réunionnais qui a été lésé. "Nous avons eu des remontées d’informations sur la mise en place d’une procédure qui aurait eu pour but d’aboutir à une 'préférence hexagonale' en écartant un candidat local", indique le Crefom, qui fait état de "pressions exercées pour imposer la candidate nantaise". Et voit un "syndrome de supériorité" et "un relent de jacobinisme" dans la mobilisation des universitaires lancée en métropole.

Je ne veux pas céder sur le terrain scientifique, car c’est trop grave
Virginie Chaillou

Virginie Chaillou-Atrous comprend en partie la position des opposants. "Pendant des années,  les postes à responsabilité étaient tenus par des métropolitains", reconnaît-elle. "Mais ils oublient de dire que tous les postes politiques sont tenus aujourd’hui par des Créoles. Et les postes de la fonction publique sont sur concours. Un concours national, qui récompense au mérite. Il faut respecter les lois."

Sur le fond, l'enseignante fait de cette question un combat pour la recherche : "On veut pouvoir continuer à travailler sur ces sujets. Dire qu’il n’y a que les Réunionnais qui peuvent travailler sur l’histoire de l’île, c'est une ineptie. Il y a bien des Américains qui ont travaillé sur l’histoire de la France", s’indigne-t-elle. "En terme de rigueur scientifique, il faut justement éviter à tout prix  une seule version de l’histoire. La posture de l’historien est de prendre du recul, d’éviter les passions. Je ne veux pas céder sur le terrain scientifique, car c’est trop grave. Ni céder sur les lois de la République : c’est de la discrimination." La première signature sous la pétition qui la soutient est d’ailleurs celle de Mohammed Rochdi, président de l’Université de la Réunion, qui a quitté son poste cet été. Il indique lui aussi avoir eu à "faire face à des pressions, des attaques et de la diffamation inadmissibles".  "C’est l’affaire de quelques personnes, ça ne vole pas très haut", s’attriste Virginie Chaillou. "C’est dommage, parce que je travaille et bataille depuis 15  ans pour faire connaître l’histoire de la Réunion dans les gros laboratoires français et européens. Et je suis d’autant plus déçue que c’est par ignorance, par peur de l’autre que l’on continue à véhiculer des antagonismes entre les Zoreilles et les Créoles…"

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