SANTÉ - Diffusé ce mardi soir sur Arte, le documentaire de Jérôme le Maire emmène le téléspectateur au cœur d'une cocotte-minute prête à exploser : l'hôpital Saint-Louis, à Paris. Médecine à la chaîne, burn-out, clashs entre employés... Derrière ce sombre tableau, les professionnels pointent les restrictions budgétaires et le management agressif mis en place par les responsables politiques.
Pendant près d'une heure trente, telle une petite souris, le téléspectateur assiste en coulisses au délitement de l'hôpital public. Ses yeux sont ceux de Jérôme Le Maire, auteur du documentaire Burning Out, dans le ventre de l'hôpital, diffusé ce mardi soir sur Arte. Après deux ans d'immersion dans le bloc opératoire de l'hôpital Saint-Louis, à Paris, le réalisateur livre une autopsie du mal-être du personnel médical, coincé entre la nécessité de soigner ses patients et des contraintes toujours plus grandes.
Forcément, à un moment, ça craque. La situation s'envenime sous nos yeux, entre départs de soignants qui ne supportent plus de mettre un pied dans l'établissement, réunions de crise où gestionnaires et personnel ne parlent pas la même langue. Jusqu'à cette scène, peut-être la plus forte du film, qui voit s'affronter verbalement un chirurgien et une infirmière, tous les deux au bout du rouleau, tous les deux n'ayant en tête que le bien-être du patient, mais tous les deux contraints d'appliquer des procédures qui les dépassent.
J'aurais aussi bien pu poser ma caméra dans un autre hôpital, public ou privé
Jérôme Le Maire
"Déshumanisation", "optimisation", "obligation de résultat", "perte de sens" : les symptômes du burn-out se manifestent en permanence. Le titre international du film est d'ailleurs... "Burning out". "J'aurais aussi bien pu poser ma caméra dans un autre hôpital, public ou privé, voire dans une entreprise industrielle quelconque. Ce que j'ai voulu montrer, c'est le dysfonctionnement du système d'organisation du travail aujourd'hui, non pas celui de l'hôpital public, et encore moins celui de ce bloc opératoire particulier", explique Jérôme Le Maire sur Arte.
Reste que ce "rouleau compresseur" décrit par le personnel prend une dimension particulière dans le milieu médical. Pour Christophe Prudhomme, porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), urgentiste au Samu de Bobigny et membre de la CGT, "l'hôpital ne peut pas fonctionner comme une chaîne de production de soins, car les gens qu’on a en face de nous ne sont pas des objets".
"Il ne faut pas se leurrer, ces difficultés (...) sont assez partagées", estime le professeur Rémi Salomon, élu au Comité médical d’établissement central, instance consultative de l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris) dans Libération. Mais, tempère Pierre-André Juven, sociologue spécialiste de la santé, "il existe des disparités assez fortes suivant les établissements, et Saint-Louis est un établissement assez tendu, comme les autres établissements parisiens et de grandes villes".
Certains font ce qu'ils peuvent, mais d'autres dirigent des hôpitaux comme s’ils dirigeaient une usine de yaourts
Christophe Prudhomme
Tous les secteurs de la santé semblent concernés par le phénomène. Dans les Ehpad, qui s'occupent des personnes âgées, une pratique a fait son apparition : le VMC. Comprendre "visage, mains, cul", une manière pour les soignants de faire la toilette de leurs patients en vitesse et de préserver une apparente propreté. "Mais le bain, ce n'est qu'une fois par mois parfois", ajoute Didier Birig, responsable de Force ouvrière Santé. "Cela crée une sensation de ne pas avoir bien fait son boulot, ça engendre un mal être."
"L'encadrement souffre aussi de cette politique, qui les contraint à faire pression sur le personnel, des pressions qu’eux-mêmes subissent", complète le syndicaliste. L'urgentiste Christophe Prudhomme rappelle, lui, que "certains directeurs ne peuvent plus sortir de leur bureau", de peur de se confronter aux employés.
"L'État a voulu mettre en place des managers de la santé, et a ouvert des écoles spécialisées pour ça, sauf que ces cadres n’ont jamais exercé la moindre activité médicale", résume Pierre-André Juven. Chargés de faire appliquer les restrictions budgétaires, "les directeurs sont entre le marteau et l'enclume", complète Christophe Prudhomme. "Certains font ce qu'ils peuvent, mais d'autres dirigent des hôpitaux comme s’ils dirigeaient une usine de yaourts".
Tout est centré autour de la même problématique : l'année prochaine, il y aura moins d'argent qu’aujourd’hui
Christophe Prudhomme
Si les symptômes de la maladie de l'hôpital crèvent les yeux dans le documentaire, les causes du mal transparaissent tout juste. Professionnels de santé et experts ont le même diagnostic : l'hôpital souffre d'asphyxie budgétaire. "Tout est centré autour de la même problématique : l'année prochaine, il y aura moins d'argent qu’aujourd’hui", résume Christophe Prudhomme, qui fait remonter cette dégradation au "tournant de la rigueur" de 1983.
Pour Didier Birig, la gestion de l'hôpital "sur un mode financier" remonte aux années 1990, mais surtout à un changement radical : le passage à la tarification à l'acte. Mis en place en 2004, ce nouveau système "consiste à financer les hôpitaux pour ce qu'ils font", explique Pierre-André Juven. "Ainsi, pour avoir de plus en plus de recettes, il faut de plus en plus d'activité, sauf que le personnel réclame au contraire plus de temps pour les patients", pousuit-il.
Une "spirale financière" illustrée dans le documentaire : lors d'une réunion, l'administration rétorque au personnel que plus de temps pour les patients signifie moins d'activité, donc moins de recettes, donc moins d'embauches. Un dialogue de sourds qui ne peut se résoudre, de l'avis de tous, que si certains hôpitaux sont de nouveau dotés en fonction de leurs besoins réels. Le nouveau projet de loi de finances pour la sécurité sociale (PLFSS) prévoit, en attendant, 4 milliards d'économies.
Une organisation inadaptée aux nouveaux maux ?
Faut-il également revenir sur la rationnalisation à marche forcée mise en place depuis des années ? Le PLFSS prévoit d'expérimenter un système de "forfait" pour sortir de la tarification à l'acte, et assurer en théorie une meilleure prise en charge du parcours du patient, parfois mis dehors trop vite afin de baisser la "durée moyenne de séjour", l'un des indicateurs au coeur de la gestion actuelle des hôpitaux.
Didier Birig rappelle que "60% des dépenses sont liées à des affections chroniques de longue durée chez les personnes de plus de 50 ans, ce sont des problèmes complexes à prendre en charge en équipe". En d'autres termes, résume-t-il, "on ne guérit pas du diabète, on ne guérit pas d’une insuffisance respiratoire". Difficile pour lui d'appliquer la tarification à l'acte à ce type de soins.
"Après avoir visionné le film de Jérôme Le Maire, la direction de l'AP-HP a déclaré avoir "appris des choses", tout en qualifiant le documentaire de "film à thèse", qui serait donc à charge contre l'organisation. Le réalisateur, quant à lui, remercie malgré tout l’AP-HP, qui l’a autorisé à "filmer sans condition" les coulisses de l'hôpital et l'intimité de ceux qui nous soignent.
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