Des hôpitaux aux transports en passant par les cinémas, les alertes aux punaises de lit s'enchainent en France depuis la rentrée, ravivant avec elles une certaine psychose.Entre 2017 et 2022, un foyer français sur dix a été infesté par des punaises de lit, selon l’Anses.Assiste-t-on à une recrudescence ? Éléments de réponse avec Marie Effroy, spécialiste de ces petits insectes suceurs de sang.
Un petit insecte foncé sur un siège en velours. Il aura suffi d'une photo partagée sur les réseaux sociaux avec une légende des plus explicites par une passagère de la SNCF pour réveiller le vent de panique autour des punaises de lit. Après de récentes alertes concernant des hôpitaux, des cinémas, des chambres d’internats, et même la zone d'attente pour étrangers de Roissy, les transports en commun, et en l'occurrence les rames de TGV, seraient-ils aussi infestés ?
En réaction à cette interrogation devenue virale concernant un train parti de la gare de l'Est à Paris mi-septembre 2023, la compagnie a réagi ce mercredi, contestant toute détection du nuisible. "À ce jour, nous n’avons eu aucune présence confirmée de punaises de lit dans nos TGV ces derniers mois", rassure la SNCF qui fait montre de "vigilance" en prenant "chaque signalement au sérieux". Des éléments de nature à rassurer les voyageurs qu'ont pu corroborer des spécialistes du petit insecte suceur de sang, contactés par TF1info.fr, assurant que l'insecte figurant sur la photo postée par la passagère était un coléoptère et non une punaise de lit.
Il n'en demeure pas moins qu'à en croire les signalements qui s'enchainent depuis l'été, de moins en moins de lieux, publics comme privés, semblent épargnés. Selon un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) publié fin juillet, un foyer français sur dix a été infecté entre 2017 et 2022. Alors, les punaises de lit sont-elles en train de se répandre partout en France ? Marie Effroy, présidente de la société de détection canine de punaises de lit, Eco-Flair, et membre de l'INELP (Institut National d’Étude et de Lutte contre la Punaise de lit), nous éclaire.
"Une explosion de cas cet été"
Assiste-t-on à une réelle recrudescence de punaises de lit ou y a-t-il une psychose autour de cet insecte ?
Marie Effroy : En réalité, on assiste aux deux. Il y a une réelle recrudescence des punaises de lit en France, cela ne fait aucun doute et ça concerne tous les secteurs privé et public, mais aussi tous les secteurs d'activités. Disons qu'avant, les signalements étaient plus exceptionnels, ça a augmenté de manière régulière depuis quatre ou cinq ans et là, ce qu'on constate désormais, ce sont des niveaux d'infestation de plus en plus élevés et de plus en plus en souvent. Dans le privé, concrètement, on a des immeubles entiers concernés, à niveau 6, c'est-à-dire que la structure comme l'habitat sont concernés, et ce qu'il se passe de plus en plus fréquemment, c'est que l'infestation se répand dans le quartier puis parfois à la ville. Cette année, on n'est pas surpris par tous ces signalements depuis la fin de l'été, parce que nous, experts, avons vu une explosion de cas avant l'été. Il y a souvent un laps de temps entre ce que nous voyons sur le terrain grâce à nos outils de détection et le moment où le grand public le constate, car les punaises de lit vivent cachées.
"Il y en a partout tout le temps et il va falloir vivre avec"
Comment expliquer cette propagation et doit-on s'attendre à pire ?
Ce que l'on pense, c'est qu'on a atteint un seuil d'infestation global avec des seuils sans précédent, c'est-à-dire qu'il y en a partout tout le temps et qu'il va falloir vivre avec, comme ça a été le cas aux États-Unis et au Canada il y a dix ans. D'où le côté anxiogène que l'on peut observer et cette sensation de psychose amplifiée par la méconnaissance globale de cet insecte.
Pour ce qui concerne le pic de cet été, l'un des prismes d'explication, ce sont les températures particulièrement élevées. Car même si les punaises de lit vivent à l'intérieur, elles se calent sur la saisonnalité et avec un été très chaud comme l'on a eu, elles ont eu un cycle de vie et de développement accéléré. Pour illustrer, les punaises de lit se mettent en sommeil, ou diapause, sur des températures basses, mais pas mortelles, c'est-à-dire entre 4 et 10 degrés. Au-delà, jusqu'à 10 degrés, leur rythme de développement est plus lent. Aux alentours des 18-24 degrés, on considère qu'il est relativement normal, c'est-à-dire que le cycle de développement est de 7 à 10 jours. Mais au-dessus de 24 degrés et bien au-delà, comme cet été, le cycle est plus rapide et peut n'être que de 4-5 jours.
Par contre, contrairement aux idées reçues, l'environnement et le type de support (tissu, cuir, métal, bois) n'impactent pas son développement, uniquement conditionné par l'hôte, donc l'humain. La punaise de lit n'est pas une colonisatrice, elle ne saute pas et ne vole pas, elle se déplace avec nous. Son repas sur l'homme dure entre quinze et vingt minutes, et elle ne reste jamais, car elle n'aime pas le mouvement, donc dès qu'elle le peut, elle va se poser et se réfugier : partout. Donc sa propagation est bien liée à nos déplacements. Plus on se déplace, plus on voyage et plus il y a de risques. D'ailleurs, la pandémie de Covid l'a très bien illustré : les infestations s’étaient un peu calmées. Le dernier point que l'on peut noter, c'est que la méconnaissance globale qui persiste sur la punaise de lit (les gens ne retiennent que le fait qu'il faut en avoir peur) donne lieu a de mauvais réflexes qui profitent aux infestations.
"C'est chronophage, c'est couteux et ça a un impact psychologique important"
Quels sont ces mauvais réflexes qui persistent et quelles sont au contraire les recommandations de rigueur ?
On le voit, il y a de nombreuses personnes qui appliquent des méthodes qui ne marchent pas, voire qui vont empirer l'infestation, donc rendre la vie avec les punaises plus longue. L'exemple le plus courant, c'est d'aller dormir dans une autre pièce du domicile en déplaçant ses affaires, car cela fait se déplacer les punaises. L'autre, c'est de dépenser des sommes d'argent conséquentes pour changer de lit par exemple alors que le nouveau sera, lui aussi, infesté sans traitement ou d'acheter des produits insecticides du commerce qui ne sont pas efficaces contre les punaises de lit et font donc perdre du temps et potentiellement se propager l'infestation. Souvent, quand on intervient chez les gens en tant que professionnels, ils ont déjà plus dépensé en essayant de se débrouiller qu'en faisant appel à un expert directement.
Or, ce qu'on observe chez les particuliers concernés par les punaises de lit, c'est que c'est chronophage, c'est couteux et ça a un impact psychologique très important. Pour ne pas perdre de temps et en arriver là, si on en a les moyens, une expertise canine fonctionne très bien pour de la détection précoce ou encore faire appel à des gens formés qui font des inspections visuelles régulières en prévention. Contrairement aux insecticides du commerce, le traitement utilisé par les professionnels contient certaines molécules qui contrent justement les résistances des punaises de lit à ces produits. Ils sont donc plus nocifs pour l'homme, c'est pour ça qu'ils ne sont pas vendus en libre-service, mais sont efficaces.
En matière de prévention, pour calmer la psychose, la meilleure des recommandations, c'est de ne pas s'affoler, d'apprendre à bien connaitre cet insecte et d'observer. Dans les hôtels, quand un client se réveille avec des boutons, il va souvent les attribuer d'emblée aux punaises de lit et quand on intervient, on se rend compte qu'il n'y en pas. Les boutons participent à un faisceau d'indices. Les traces de déjection, à savoir des points noirs qui ressemblent à des taches d'encre, en sont aussi et éventuellement des traces de sang sur les tissus.