À LA LOUPE – Fin juillet, six jeunes Roannais ont subi les effets de biens étranges cigarettes. Les agresseurs avaient glissé de l'herbe chamanique à l'intérieur, une drogue aux effets dévastateurs, et en profitaient pour dépouiller leurs malheureuses victimes.
Vendredi 9 août, deux hommes ont été écroués, et deux autres placés sous contrôle judiciaire, alors qu'ils avaient volontairement intoxiqué des passants avec des cigarettes à l'herbe chamanique afin de les dépouiller. Au total, ce sont six victimes qui ont été recensées à Roanne, entre le 27 et le 30 juillet. Les deux individus en avaient profité pour soutirer à leurs victimes leurs effets personnels pendant que ces dernières étaient plongées dans un état délirant ou comateux.
Si pour l'instant le procureur de la Loire n'a pas confirmé la nature exacte du produit contenu dans ces cigarettes, les deux personnes écrouées ont déclaré avoir introduit de l'herbe chamanique pour "se rendre compte de l'effet produit". D'après les témoignages, un des jeunes intoxiqués était agressif envers les pompiers venus le secourir, tandis qu'un autre, plongé dans un profond délire, avalait du gravier.
L'herbe chamanique, une drogue qui semble mettre ses consommateurs totalement hors de contrôle. Mais de quoi parle-t-on exactement ?
De quoi parle-t-on ?
L’herbe chamanique, la chimique, le cannabis chimique, le spice... Plusieurs désignations différentes pour une seule réalité : les cannabinoïdes de synthèse. Initialement développés à des fins thérapeutiques, les cannabinoïdes de synthèse sont détournés, depuis les années 2000, pour leurs effets psychoactifs comparables à ceux THC, le nom de la substance active du cannabis. Sous forme de poudre ou de cristaux, les cannabinoïdes de synthèse sont diluées dans l’alcool – type alcool à 90° – puis séchés. Ils sont ensuite introduits sous forme de mélange de plantes à fumer.
Comme le rappelle Drogue Info Service, les cannabinoïdes de synthèse ne contiennent pas de THC, mais des molécules qui imitent les effets du cannabis. Toutefois, ces cannabis de synthèse sont "plus puissants, plus dangereux et plus addictifs que le cannabis naturel."
Si les faits de Roanne semblent constituer les premier cas de victimes de cette drogue en métropole, l'herbe chamanique faisait déjà des ravages à Mayotte et à la Réunion. Les conséquences sont dramatiques pour ces territoires d'outre-mer, où elle est appelée la chimique. D'après un rapport de l'Office français des drogues et des toxicomanies de 2018, la consommation de la chimique frappe en premier lieu "dans les milieux marqués par la précarité" et réduit "drastiquement les chances d’intégration sociale en accentuant les tendances au décrochage scolaire." Sans oublier le développement des trafics. "Les nécessités de la dépendance appellent d’importants besoins monétaires, de l’ordre d’une centaine d’euros par jour, qui exercent un effet renforçant sur une délinquance et une criminalité déjà en hausse", poursuit le rapport.
Quels en sont les effets ?
Les consommateurs recherchent avant tout des effets récréatifs comme un sentiment de détente, de bien-être ou de légère d’euphorie. Problème : d’après une étude de 2014 publiée dans la revue scientifique Drug Alcohol Dependence, les effets de ce THC provenant de ce cannabis de synthèse sont "2 à 100 fois supérieurs", en raison de la plus forte capacité du corps à assimiler le produit.
Une sorte de "super-cannabis", donc, aux conséquences néfastes pour les consommateurs : troubles psychiques – anxiété, état d’agitation, idées suicidaires, auto-agressivité, paranoïa, troubles psychotiques, troubles cardiovasculaires, tachycardie, hypertension artérielle, douleurs thoraciques, infarctus du myocarde – et neurologiques – convulsions, pertes de connaissance. Dans le cas de Roanne, une victime a été retrouvée dans un état de délire, tentant d’avaler des graviers. Sur internet pullulent des vidéos troublantes où on aperçoit des individus aux gestes incontrôlés ou en position léthargique sur le sol.
Entre 2012 et 2016, le service d’urgence du Centre hospitalier de Mayotte a réalisé, avec l’aide du Centre d'intervention en région Océan Indien, une comptabilisation systématique des patients victimes de la chimique. Les résultats de cette observation sur cinq ans sont très inquiétants : au total, durant la période qu'a duré l'enquête, "49% des recours aux urgences étaient probablement liés à la consommation de cannabinoïdes de synthèse." L’urgence vitale a été rapportée pour 4% des patients, 19% d’entre eux furent hospitalisés et des personnes sont décédées.
L’âge médian de consommation est de 23 ans. Le plus jeune consommateur observé avait seulement 8 ans. Enfin, il s’agit essentiellement d’une consommation masculine, les hommes représentant 84% des consommateurs observés.
Quelle est l'origine de cette drogue en France ?
Dans le cadre de sa thèse de fin d’études, la docteure Amandine Fleury retrace la genèse de ce fléau. D’après ses recherches, le tout premier importateur de cannabinoïdes de synthèse était un métropolitain installé à Mayotte qui travaillait pour le conseil général. "Après la lecture d’articles grand public sur les nouveaux produits de synthèse parus en 2009, écrit la chercheuse, ce consommateur régulier d’alcool et de cannabis décide d’importer via internet des cannabinoïdes de synthèse pour son usage personnel."
Après une phase de test de recherche du bon dosage des effets psychotiques souhaités – sans tomber dans les conséquences néfastes –, il se lance dans le commerce de cannabinoïdes de synthèse en 2012. Il profite ainsi d’une absence de législation sur ces substances nouvelles. Il reçoit les colis directement de Chine sur son lieu de travail, le conseil général.
Bien que totalement clandestin, son trafic rencontre un certain succès et cette nouvelle drogue est rapidement surnommée la chimique. Son essor s’explique aussi par la difficulté soudaine d’accès au chanvre, habituellement importé par les bateaux de clandestins, la France ayant durci au même moment la lutte contre l’immigration illégale.
Le temps passant, le trafiquant originel perd vite son monopole (il sera finalement arrêté en 2014). Les consommateurs se plongent à leur tour dans la fabrication et le trafic, et faire leur propre dosage en achetant, eux aussi, les produits sur internet. La chimique devient rapidement un fléau et les urgences de Mayotte enregistrent les premiers cas d’overdose dès 2013 sans comprendre, à l'époque, l'origine de l'étrange mal que subissaient les patients.
Pourquoi cette nouvelle drogue a-t-elle pu proliférer ?
Comment cette nouvelle drogue a-t-elle pu prospérer aussi facilement à Mayotte, puis à la Réunion ? Si après plusieurs mois d’enquête en 2013 et 2014, les douanes et la polices de Mayotte ont pu repérer les transactions bancaires vers la Chine et les importations de ces colis suspects, les autorités se sont heurtés à une difficulté. En effet, impossible d'arrêter des individus pour trafic de drogue pour des produits qui non classés comme stupéfiants en France. Un vide juridique qui profita à l’essor de la chimique. Finalement, l’inspectrice pharmacienne de santé publique de Mayotte considéra ces substances seront comme "médicament par fonction".
Le premier trafiquant peut enfin être arrêté pour "exercice illégal de la profession de pharmacien" et se retrouvent en prison. D’autres arrestations suivront. Mais, coup de théâtre, les 13 personnes interpellées seront relâchées rapidement suite à une décision de la Cour de justice de l’Union européenne. S'exprimant pour une affaire similaire en Allemagne, les juges européens considèrent que "les mélanges de plantes aromatiques contenant des cannabinoïdes de synthèse et consommés comme substituts de la marijuana ne sont pas des médicaments". Le fondement juridique des arrestations à Mayotte tombe car les trafiquants n’ont pas exercé illégalement l’activité de pharmacien. L’année suivante, en 2015, Mayotte connaîtra un pic d’admission aux urgences à cause de la chimique et les vidéos de toxicomanes déambulant comme des ‘zombies‘ pullulent alors sur les réseaux sociaux.
Les cannabinoïdes de synthèse sont finalement ajoutés à "la liste des substances classées comme stupéfiants" par décret en mars 2017. Une liste que les autorités doivent régulièrement compléter, de nouvelles substances considérées comme cannabinoïdes de synthèse faisant leur apparition sur le marché de la drogue. Les consommateurs risquent jusqu’à 3.750 euros d’amende et 1 an de prison, les trafiquants jusqu’à 7 500 000 euros d'amende et encourent la réclusion criminelle à perpétuité.
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